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net M. de S*** qui jusque-là n'avait pas voulu troubler les premiers transports des deux amans. Il les conduisit tous deux chez l'amie de sa nièce, et quelques jours après leur mariage fut célébré sans aucun appareil; l'amour et l'amitié firent tous les frais de la noce, et dès le lendemain les deux jeunes époux reprirent le chemin du Bourbonais.

Ils n'étaient plus qu'à quelques lieues de Moulins, lorsqu'ils furent surpris par la nuit. Les ténèbres devenant insensiblement plus épaisses, Emilie craignit de continuer plus long-tems sa route dans des chemins que le postillon pouvait à peine distinguer. Elle manifesta le désir de s'arrêter jusqu'au lendemain dans la première ferme. Le postillon exécute cet ordre, et après quelques minutes il entre dans la cour d'une vaste métairie. Eugène et Emilie demandent au fermier de vouloir bien leur donner à souper et à coucher pour cette nuit. Les bons habitans des campagnes sont hospitaliers; le fermier et la fermière s'empressent d'offrir aux voyageurs un souper frugal; puis on leur donne une chambre dans laquelle est un bon lit. Ils se couchent après s'être entretenus quelque tems de la bonhomie et de la cordialité de leurs hôtes. Chère Emilie! dit Eugène, que j'aime une vie simple et tranquille ! Vois ces bons fermiers, comme ils ont l'air heureux! ils ne sont pas riches, mais ils ont le nécessaire et peuvent encore donner l'hospitalité. Je travaillerai comme eux, et près de toi je serai plus heureux dans la médiocrité que je ne l'étais, sans toi, au milieu de toutes les superfluités de l'opulence.

Emilie sourit; un doux sommeil ferma bientôt leurs yeux, et ils ne se réveillèrent qu'à huit heures du matin.

Après s'être levés, les deux époux sortent de la ferme. Emilie a manifesté le désir de faire une petite promenade à pied aux environs de cette belle métairie. A peine sontils sortis de la cour du fermier, qu'ils entrent dans une autre cour d'une vaste étendue, et plantée d'arbres magnifiques. Eugène aperçoit à droite et à gauche de belles avepeu de distance un château fort nues d'ormeaux, et à élégamment bâti. Ah! ah! dit-il, quelle est cette jalie est riant, dit Emilie. Il est délicieux, reprend Eugène. De beaux arbres, des eaux pures et abondantes, une charmante perspective.... Cette habitation. est un séjour enchanteur. Ah! ma chère Emilie! voilà ce que j'aurais dû t'offrir si.....-Ne rappelons point le passé, dit Emilie; nous nous aimons, nous sommes réunis, nous n'avons rien à regreter. Eugène est curieux de visiter

terre ?

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Ce

pays

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l'intérieur du château. Il rencontre un domestique et lui demande si les maîtres de cette maison l'habitent en ce moment. Pas encore, lui répond le domestique, mais nous les attendons; si vous le désirez, monsieur, il vous est bien permis d'entrer.

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On les conduit dans un salon fort bien meublé. Emilie fait asseoir Eugène sur une ottomane; le jeune homme promène un œil admirateur sur l'ameublement, sur les glaces, et répète à plusieurs reprises : quel est donc l'heureux propriétaire de ce joli château? Et si c'était toi? lui dit Emilie. Je suis curieux de le connaître, pours uit Eugène sans avoir l'air d'entendre le peu de mots qu'Emilie a prononcés; comment se nomme-t-il? Eugène de Croizerolles, répond Emilie en fixant les yeux sur les siens pour saisir tout ce qui se passait dans son ame, et elle répète encore son nom. Eugène se tait. Il interroge à son tour les yeux d'Emilie. Il ne peut concevoir que ce parc, ces avenues,. ces bois, ces prairies, cette ferme puissent appartenir à sa femme ou à lui. Si cependant Emilie plaisante, il trouve le jeu bien cruel. Quelque coupable qu'il ait été, il la croyait trop généreuse pour le punir de cette manière. Il hésite encore une larme roule dans ses yeux; mais Emilie ne l'a pas plutôt aperçue qu'elle se jette dans ses bras : oui, mon cher Eugène, lui dit-elle, oui, tout ceci t'appartient puisque mon amour te le donne. Deux mots feront cesser ton étonnement. Tu sais qu'avant ton départ pour Paris, Mme d'Orban, ma tante, m'avait fait appeler auprès d'elle Sa fille unique était dangereusement malade, et ma tante était dans de violentes inquiétudes pour un enfant qu'elle idolâtrait. Malgré tous mes soins et ceux de sa mère, ma jeune cousine mourut. Ma pauvre tante, qui ne respirait que pour elle, n'avait cessé de pleurer et de veiller pendant la longue et douloureuse maladie qui venait d'emporter cequ'elle avait de plus cher au monde; elle ne tarda pas à suivre sa fille au tombeau. Mme d'Orban avait une grande fortune; touchée de mes soins et de mon attachement, elle m'a fait sa legatrice universelle. J'ai vendu ses biens qui m'éloignaient d'un pays où j'ai reçu le jour, où mon amour pour toi a pris naissance, et j'ai acheté cette jolie terre avec l'espoir de te l'offrir. Pardonne si le plaisir de la surprise que j'ai voulu te ménager....Ne parle point de pardon, mon Emike, interrompit Eugène. Tu n'as pas voulu m'affliger, je le sais. A qui la faute enfin si cette surprise pe pouvait manquer d'avoir pour moi un peu d'amertume?

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encore "

ma punition est bien légère; plût au ciel qu'en voulant te
ménager une autre surprise je ne me fusse pas allité d'autre
châtiment!..--Pendant un moment son front s'obscurcit
mais reprenant bientôt sa sérénité : non, dit-il,
non, je ne suis point jaloux, ma chère Emilie, ce triomphe
t'appartenait. Toi seule tu méritais de réaliser ces projets
rians que j'avais su former et que des passions développées
subitement par une, prospérité inattendue m'ont empêché
d'exécuter! que d'amour! quelle générosité, quelle délica-
tesse! et j'avais pu!
Brisons-là, mon ami, inter-
rompt vivement Emilie. Bien d'autres à ta place n'auraient
pas été plus sages que toi. J'ai toujours oni dire que les
beaux projets formés dans l'infortune, étaient souvent
démentis par la prospérité. Et moi, dit Eugène en l'em-
brassant de nouveau, je sens qu'on a bien raison lorsqu'on
dit le hasard peut nous procurer une fortune brillante,
et durable ne peut nous être offert
mais qu'un bonheur pur
ADRIEN DE SARRAZIN.
que par la vertu.

que

....

-

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SPECTACLES.

VARIÉTÉS.

Théâtre-Français.

L'Auteur et le

Critique, comédie nouvelle en un acte et en vers.
Le critique et l'auteur.qui figurent dans cette comédie
ne ressemblent guères à ceux que nous voyons tous les
jours. Valcour le journaliste, est un jeune homine plein
de talent et de goût, d'une conscience littéraire incorrup-
tible, qui ne dit jamais que ce qu'il pense, et se fait tout
bas un reproche des petites méchancetés dont sa profession
lui fait un devoir. Fontalbin l'auteur est un bon homme
plein de modestie; il ne se croit pas un être privilégié
parce qu'il a fait un livre ; et quoiqu'il attende avec impa-
tience le jugement qui en sera porté dans les journaux, il
n'a fait, ni fait faire aucune démarche auprès des journa-
listes. Cependant il quitte la province qu'il habite ordinai-
rement, et vient observer à Paris l'effet de son livre; mais
il est déterminé à ce voyage par un motif encore plus
pressant. Il vient demander en mariage, à Dolmon son
ami, sa fille Emilie, et il doute encore moins du succès
de sa demande que de celui de son ouvrage; mais le sort
semble se plaire à le contrarier. Il arrive chez Dolmon, il
y trouve Emilie amoureuse de Valcour; il
y reçoit un

journal où son ouvrage est mis en pièce; il y rencontre Valcour traité par Dolmon comme un fils, et auteur de l'article funeste. Voilà sans doute un auteur mis à de terribles épreuves; mais Fontalbin en sort victorieux. I obtient pour Valcour une place importante, qui lui permet de renoncer à la critique; il lui cède la main d'Emilie et décide Dolmon à la lui donner. Il lui pardonne enfin sa critique, et ce n'est pas le moins noble de ses efforts. Tout finīt ainsi au gré de tout le monde, car Fontalbin, trompé dans sa double espérance, oublie sa disgrâce pour jouir du bonheur qu'il procure à Emilie et à Valcour.

- Telle est l'action assez faible de ce petit ouvrage. On voit que les caractères ont une teinte trop uniforme de bonté, que rien ne pouvait y fournir des scènes bien gaies, des situations fortement comiques; et le public a remarqué ou plutôt il a senti tous ces défauts. La représentation a été froide et languissante; il y a eu plus d'applaudissemeus que de marques d'improbation, mais si peu des uns et des autres, que l'auteur, quoique demandé, n'a pas eu trop grand tort de garder l'anonyme, et de retirer sa pièce, comme on l'assure, après cette seule représentation. Bien des gens, cependant, auraient regardé comme un succès la manière dont on l'a reçue, et nous croyons qu'elle aurait été encore mieux accueillie si elle eût été jouée avec plus d'intelligence et de chaleur. La versification en est élégante, le dialogue naturel, le ton excellent. On y a saisi plusieurs vers heureux, et quelques traits de caractère. Si cet ouvrage est le coup d'essai de l'auteur anonyme, ́un échec de cette nature ne doit pas le décourager.

Fleury a rendu avec son talent ordinaire le rôle de l'Anteur. Mlle Mars a été charmante dans celui d'Emilie. Saint-Fal a eu l'air d'essayer le rôle de Dolmon au lieu de le jouer, et Armand a expédié sans réflexion celui du Critique. M. B.

Théâtre de l'Impératrice. -Première représentation des Projets de Sagesse, comédie en un acte et en vers de M. de Latouche.

Le sujet de cette petite comédie était susceptible de plus grands développemens ; l'auteur avait assez de matière pour faire trois actes. Alors il aurait pu, dès le premier, préparer ses incidens de manière à alimenter plus long-tems la gaîté du spectateur : mais il aurait fallu, pour parvenir à un tel but, qu'il eût fouillé davantage la mine qu'il a dé

espace

couverte. Toutefois, quoiqu'il ait borné os plaisirs, it serait injuste d'exiger de lui plus qu'il ne pouvait faire dans le cadre étroit qu'il a choisi. Lorsque, pendant le court d'un acte, on sait exposer, nouer et dénouer plaisamment son action, on a atteint le but que tout auteur comique doit se proposer. Voici les ressorts que M. de Latouche a mis en usage pour y parvenir. Un jeune homme de vingt ans, revenu des erreurs de sa jeunesse, convaincu que les plaisirs mondains laissent toujours un vide affreux dans le cœur de l'être qui pense, ne veut plus consacrer son tems qu'aux arts et à des études sérieuses: il vient, pour cet effet, dans le faubourg Saint-Germain ; il prend une bonne résolution, s'enferme avec Justinien, Domat et quelques autres auteurs de droit, et leur dit

:

Venez, accourez tous 9

Je veux vivré, penser et dormir avec vous.

Il fait serment de fuir le jeu, les duels, les plaisirs de la table et sur-tout les jolies femmes. Il se met au régime, congédie son valet, dont l'humeur mondaine pourrait lui faire abandonner ses projets, et savoure un moment en paix les plaisirs de la solitude mais l'on voit bientôt arriver deux jolies femmes et deux jeunes élégans du quartier d'Antin qui, ayant découvert la retraite du nouveau converti, viennent remettre sous ses yeux les travers auxquels il voulait renoncer. Il est follement amoureux d'une de ces deux dames; sa voix de sirène, son regard agaçant l'attirent malgré lui vers la table où le festin est préparé. Il résiste quelques instans, mais enfin la beauté l'emporte et il finit par y prendre place. Dès ce moment, adieu tous les projets de sagesse! il mange; il boit, il s'enivre, il joue, il signe une promesse de mariage, et, découvrant un rival dans un de ses amis, il sort pour se battre avec lui. Un coup d'épée le ramène encore à la raison, mais à une raison moins folle. Il connaît enfin la légèreté et la perfidie de ceux qui se disaient ses amis. Son tuteur arrive; et lui montre la promesse qu'il a retirée, moyennant une forte somme d'argent, des mains de celle qui l'avait trompé par une fausse tendresse. Enfin ce tuteur débonnaire lui pardonne, l'emmène avec lui pour lui faire épouser sa fille et arrange toutes choses pour le mieux ¿ ce que doit tou jours faire un tuteur de comédie.

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