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aussi leur loi salique. Comme ils ne savent pas même lire, ils ont fort peu d'officiers de justice, et les procès ne sont jamais surchargés de pièces d'écriture; mais ils ont des avocats, et notre auteur espagnol assure qu'ils font grand cas de l'éloquence et de la rhétorique. Je ne sais si le discours du cacique Colocolo, rapporté par dom Ercilla, est réel ou inventé à plaisir ; mais si Colocolo l'a réellement prononcé, il s'ensuit qu'on peut être fort grand orateur sans avoir étudié les institutions de Quintilien, et le traité des études de notre sage Rollin. Leur code pénal est fort sévère sur quelques points, et fort indulgent sur d'autres. Un mari peut tuer sa femme, un père ses enfans, sans que qui que ce soit y trouve à redire; mais une femme qui manque de fidélité à son époux est impitoyablement mise à mort. On traite aussi fort mal les sorciers, quand ils emploient leur savoir à nuire à leurs voisins. Un sorcier est ou brûlé à petit feu, ou tué à coup de flècles. La sainte inquisition ne ferait pas mieux. Les autres délits sont punis par la peine du talion. Oculum pro oculo, dentem pro dente.

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Les Araucans n'entretiennent point d'armée sur pied; mais dès que le grand conseil a pris la résolution de faire la guerre, on procède au choix d'un généralissime. Ce chef militaire se nomme Toqui; il reçoit du conseil la hache, de pierre et le serment de fidélité. Son autorité est absolue; il ordonne les enrôlemens, fixe les contingens, et distribue les grades. L'armée des Araucans est de cinq à six mille hommes. Elle est composée de cavalerie et d'infanterie. La cavalerie est trèsbonne; car les Araucans ayant senti les avantages de cette sorte d'arme dans leurs combats avec les Espagnols, parvinrent à se procurer de bonnes races de chevaux, les élevèrent avec soin, et s'exercèrent eux-mêmes au manége, de sorte que dix-sept ans après leurs premières défaites, ils furent en état d'opposer aux Espagnols des escadrons aussi bien dressés que les leurs.

Les armes des Araucans sont la lance, l'épée et la massue. Jusqu'à présent il n'ont pu parvenir à se procurer de la poudre. Si l'on en croit une vieille tradition. fort accréditée parmi les Espagnols, la première fois que

les Araucans virent des nègres au service des Espagnols, ils s'imaginèrent que c'était avec leur peau noire et ténébreuse qu'on faisait de la poudre ; ils en firent un prisonnier, le tuèrent, le réduisirent en charbon et le pilèrent. Le peu de succès de cette expérience les ayant détrompés, ils renoncèrent au plaisir de brûler et de piler des nègres. Rien n'égale le courage et l'intrépidité des Araucans. Dès que le signal de la bataille est donné, its s'élancent sur l'ennemi en poussant des cris effroyables et bravent tous les dangers; au moment même où l'artillerie ravage leurs rangs, ils font tous leurs efforts pour pénétrer dans le centre de l'armée ennemie. Ils savent que les premières lignes sont exposées à une mort certaine, et cependant ils se disputent la gloire de s'y placer. Les premiers bataillons tombent; ils sont aussitôt remplacés par d'autres, jusqu'à ce qu'ils puissent joindre l'ennemi et combattre corps à corps.

Les dépouilles du vaincu appartiennent à celui qui s'en empare. Les prisonniers de guerre sont esclaves, jusqu'à ce qu'ils soient rachetés; mais ils arrive quelquefois qu'on choisit un de ces malheureux pour l'immoler aux mânes des guerriers morts aux champs de l'honneur, Le sacrifice est affreux. On amène la victime sur un cheval sans oreilles et sans queue; on lui fait creuser une fosse, on prononce des imprécations sur sa tête et sur les guerriers les plus célèbres de son pays, on lui fracasse le crâne d'un coup de massue, on lui arrache le cœur, le Toqui et tous les officiers de l'armée le sucent; les soldats creusent ses os pour en faire des flûtes; portent sa tête sur une pique, et célèbrent leur victoire par des hurlemens barbares. Si le crâne du malheureux prisonnier n'est pas entièrement brisé, on en fait une coupe' où l'on boit dans les grandes solennités. Telles étaient, il deux mille ans, y a les mœurs des nations européennes aujourd'hui si délicates et si polies.

Les Araucans reconnaissent un grand esprit qui gouverne le monde et qu'ils appellent le grand-toqui; ils lui donnent des ministres inférieurs qui sont chargés de régler les petits détails d'administration, tels que les saisons, les vents, les tempêtes, la pluie et le beau

tems. Ils admettent aussi un mauvais génie qui se fait un plaisir malin de troubler l'ordre et de molester le grand-toqui; ils l'appellent le Guecubu, c'est notre Satan sous un autre nom. Leurs dieux inférieurs sont mâles et femelles; mais les femelles sont toujours vierges, car la génération n'a pas lieu dans le monde intellectuel. Idée raffinée, s'écrie notre écrivain espagnol, et qu'on n'attendrait pas d'une nation sauvage.

J'en demande pardon à sa seigneurie, mais cette idée me paraît plus inconséquente que raffinée; car, si la reproduction n'a pas lieu dans le monde intellectuel, à quoi bon la différence des sexes? Il y aurait bien plus de raffinement à faire tous les dieux comme les fourmis et les abeilles, du genre neutre.

Les Araucans n'entretiennent ni temples, ni prêtres. Ils supposent que la divinité n'a besoin d'être appaisée que quand on l'a offensée. Ils lui font peu de prières, et le seul sacrifice qu'ils lui accordent, est la fumée de quelques feuilles de tabac qu'ils regardent comme un parfum très-agréable, même pour des nez célestes. Dans leurs affaires importantes, ils consultent des devins, des sorciers ou charlatans qu'ils appellent Dugols, parleurs; parce que dans tout pays la parole est le premier des charlatanismes. Ils croient aux revenans, aux enchanteurs, aux esprits follets, et même aux loups-garous. Ils sont d'accord sur l'immortalité de l'ame, mais divisés d'opinion sur sa destinée. Va-t-elle en enfer, en paradis, en purgatoire? Les mauvaises ames sont-elles grillées, fustigées par des furies ou des démons? les bonnes reçoivent-elles des récompenses dignes de leurs vertus ? c'est ce que les plus habiles théologiens du lieu n'oseraient décider. Quelques philosophes prétendent que toutes les ames se reposent indistinctement, et que les actions de ce bas monde sont de trop peu d'importance pour que le grand-toqui s'en occupe. Dans ce cas, quoi bon faire des ames immortelles?

à

On garde parmi eux le souvenir d'un grand déluge qui détruisit le genre humain presque tout entier. Le peu d'hommes qui se sauva vécut sur une île flottante qui fournit à leurs premiers besoins. Cette tradition paraît

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n'avoir rien de commun avec celle du déluge de Noé. Les Araucans attribuent ce grand événement à des tremblemens de terre et à l'éruption des volcans: idée plus naturelle que celle d'un déluge occasionné par l'effet de pluies longues et violentes.

L'auteur espagnol entre dans beaucoup d'autres détails sur l'industrie, les sciences, les arts et l'esprit des Araucans. Tous ces détails sont curieux et instructifs, mais sont-ils toujours bien avérés ? J'ai de la peine à croire que les Araucans aient porté les connaissances astronomiques assez loin pour diviser leur année avec autant de justesse et de précision qu'on le suppose. L'année, dit-on; est divisée en douze mois de trente jours chacun, comme celle des Egyptiens et des Persans; on y ajoute cinq jours pour en compléter le cours. Les mois avaient d'abord été réglés sur la période lunaire; mais elle a été réformée par des observateurs plus exacts, et se règle maintenant sur le cours du soleil. Les étoiles sont partagées en constellations qui prennent leur nom du nom bre des étoiles qui les composent. Ainsi les pléiades sont appelées consublas, c'est-à-dire, constellations de six étoiles. Ils savent aussi distinguer les planètes, étudier leurs cours, et discerner la différence de leurs mouvemens; il n'est pas jusqu'aux comètes qui n'aient été l'objet de leurs méditations, et mon auteur m'assure qu'ils professent à leur égard la même doctrine qu'Aristote, et qu'ils les regardent comme des exhalaisons cé lestes qui s'enflamment dans les régions supérieures des

airs.

J'avoue que tout cela me paraît un peu fort pour des peuples barbares qui ne savent ni lire, ni écrire, et dont tout le système arithmétique se règle sur les doigts de la main. Les Chinois, qui depuis tant de siècles possèdent des philosophes et des lettrés, n'ont pu parvenir encore à composer un calendrier exact, et les Araucans, étrangers à tous les bienfaits de la civilisation, auraient un système astronomique aussi parfait que les Européens! Il faudrait pour le croire une dose de foi que le ciel ne m'a pas encore départie.

SALGUES.

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CHOIX DES LETTRES DE MIRABEAU A SOPHIE. Quatre vol.
in-18, ornés des portraits de Mirabeau et de Sophie.
Prix, 5 fr., et 6 fr. franc de port.-A Paris, chez
L. Duprat-Duverger, rue des Grands-Augustins, n°

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LA publication des Lettres originales, en 1792 ne pouvait ajouter beaucoup à l'éclat qu'avaient fait, ans auparavant, la liaison de Mirabeau avec Mine de Monnier, et les suites de cette liaison. Il est donc permis. de douter que ce soit par un sentiment des bienséances, dégagé de tout autre intérêt, qu'alors et depuis, des censeurs chagrins ont blâmé la publicité donnée à ces mêmes lettres, comme une indiscrétion coupable et un tort grave fait aux familles respectables qui y sont nommées. On pourrait d'ailleurs faire observer qu'en cette circonstance, personne n'eut véritablement à se plaindre d'un abus de confiance ou d'une violation de dépôt. Tout le monde sait par quelle suite d'événemens aussi extraordinaires qu'impossibles à prévoir, les manuscrits originaux passèrent entre les mains du premier éditeur. Celui qui pouvait en être regardé comme le véritable propriétaire, était un lieutenant de police qui, par une singulière condescendance, s'était fait l'intermédiaire de la correspondance des deux amans emprisonnés : et certes, à l'époque où les lettres parurent, ce n'était pas le desservir ni accuser son ministère, que de montrer qu'il en avait su quelquefois tempérer la rigueur par des actes de bienveillance. Ce fut une infidélité plus condamnable qui livra au public le premier recueil connu des lettres de Mme de Sévigné, que sa famille se refusait -opiniâtrement à laisser imprimer. Cependant peu de monde le sait, et personne n'y pense; on jouit du larcin, sans se mettre en peine si un éditeur plus avide peut-être, que sensible au mérite de ces lettres, a eu le droit d'en faire imprimer en Hollande une copie frauduleuse et tronquée. Dieu lui fasse paix ! que la terre lui soit légère ! comme disaient les anciens; et s'il se trouve de nos jours, quelque trésor pareil entre les mains de

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