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occasions de la rappeler aux respect dû à nos grands écrivains. « Point de ces phrases légères, Sophie; en >> fait de science, comparer l'opinion et l'autorité de » M. de Buffon à la mienne, c'est comparer l'aigle au » moineau...... Ne parlons jamais du génie qu'avec le » respect que nous lui devons.» Je pourrais citer plusieurs autres preuves de cette modestie vraie, qui ne peut être qu'à l'usage des hommes supérieurs, puisqu'on n'en peut tenir compte à la médiocrité.

Il ne faut pas s'étonner que ces lettres où il épanchait son indignation contre ses persécuteurs, offre souvent des traits d'une ironie mordante, et des sarcasmes amers. Un M. de R.... alors gouverneur du château de Vincennes, a le malheur de se trouver souvent sous ses coups. C'est apparemment le même qu'il a signalé dans son ouvrage sur les prisons d'état, et qui, offensé du ton et des manières de son prisonnier, lui dit un jour: Monsieur, sachez que je représente le Roi. Eh bien! monsieur, lui repliqua Mirabeau, j'en suis fâché pour le Roi, il est grotesquement réprésenté. Ses plaintes contre son père ont trop souvent ce caractère d'amertume et de causticité; mais dans les accens de son plus profond désespoir, la voix de la nature se fait encore entendre: « Veux-tu, dit-il, que j'attende ma liberté de celui qui » me refuse mes plus pressans besoins? Eh! qui ne sait >> combien les méchans vivent plus que les bons?..... Ah! >>> quelle que soit sa cruauté, je ne me familiariserai jamais » avec l'idée de n'attendre du repos que de la mort d'un >> père! » Ce mot de repos, au surplus, ne paraît pas offrir une idée bien nette. Il n'est peut-être pas sans intérêt de voir comment le définissait cet homme dont la vie jusqu'alors si agitée n'était que le prélude d'une vie bien autrement agitée et tumultueuse. « Cependant, je sou» pire après le repos que je regarde, après l'amour, » comme le seul bien réel de la vie, qu'il est insensé de » sacrifier à l'amour de la gloire; mais ce repos passif où » je suis engourdi m'est aussi insupportable que perni>> cieux..... L'action m'épuise, le repos me tourmente; » il semble que la nature ne me laisse que le choix de » de la fatigue ou de l'ennui. » A le voir soupirer ainsi

lui

après le repos, on peut croire qu'il se trompait sur la nature de son ame, comme il se trompait sur la nature de son talent, lorsqu'il ébauchait une tragédie. Quelques vers de lui qu'il envoya à sa maîtresse, n'annoncent pas que la langue poétique dût jamais être la sienne. Son goût et ses études avaient une autre direction.

J'ai peut-être déjà trop cédé à l'envie de réunir et de rapprocher quelques traits de caractère épars dans les quatre volumes de lettres de Mirabeau. Je finis par celuici qui pourra achever de faire connaître l'homme, et donner de lui une idée bien contraire à celle que beaucoup de gens ont pu s'en former. Qui ne croirait en effet que né, comme il semblait l'être, pour les tourmentes d'une révolution ou d'un état démocratique, il eût fait une étude particulière de la finesse et de l'astuce? Cependant cette opinion se trouve démentie par ses lettres où il traite la finesse de vue courte qui aperçoit et grossit les objets voisins, et ne voit qu'un nuage dans l'éloignement; et si l'on voulait (ce qui pourra paraître puéril), chercher dans les lettres écrites de Vincennes l'explication des principes qui ont dirigé la conduite politique de Mirabeau, ne pourrait-on pas dire que ce fut en effet par l'audace plus que par l'intrigue qu'il se trouva à la tête d'un parti, et conțint les autres jusqu'à sa mort?

L'édition que nous annonçons des lettres de Mirabeau, n'en offre qu'un choix. Il plaira plus que l'édition originale à ceux qui ne cherchent dans ces lettres que le langage de la passion et du sentiment. Ceux qui n'y veulent voir que les lettres d'un homme d'esprit devenu si intéressant à connaître, regretteront de n'y pas trouver les lettres à son père, les mémoires aux ministres pour sa défense, « chefs-d'œuvre, dit Laharpe

qui réunissent à une dialectique victorieuse, une élé»gance noble, sans jamais passer la mesure en rien. » LANDRIEUX.

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MESSIEURS, j'ai toujours aimé la littérature ancienne; dans ma jeunesse je faisais mes délices de la lecture des poëtes grecs et latins; aujourd'hui, par un goût plus conforme à mon âge, je me plais sur-tout à l'érudition que les modernes, et sur-tout les Allemands, développent pour nous faire mieux sentir, mieux apprécier leurs écrits. Je ne suis cependant qu'un simple amateur, je quête par-tout des lumières; et depuis que le Mercure a réunì à son domaine la littérature ancienne et étrangère, je suis un de vos lecteurs les plus assidus. C'est en cette qualité, Messieurs, que je vous demanderai compte à vous-même d'un oubli que je ne puis vous pardonner. Depuis un an, au moins, il paraît en Allemagne une nouvelle traduction en vers de Tibulle, dont l'auteur est le célèbre M. Voss; depuis six mois que j'en suis instruit, j'en attends tous les samedis l'annonce dans votre feuille: pourquoi n'at-elle pas encore paru ? Vous me direz, peut-être, qu'une traduction allemande d'un poëte latin ne peut être jugée qu'en Allemagne, et que d'ailleurs la réputation de M. Voss est faite en qualité de traducteur vous me direz que son extrême fidélité... N'allez pas plus loin, Messieurs, car je conviens de tout ce que vous avancez, et de tout ce que vous pourriez avancer encore : mais ce n'est pas sur la traduction de M. Voss que je m'attendais à vous voir exprimer votre sentiment; son mérite est de peu d'intérêt pour les lecteurs à qui votre feuille est destinée : c'est sur la préface de cette traduction, sur les notes qui l'accompagnent, que je voudrais qu'on m'éclairât, et vous allez voir, Messieurs, que la chose en vaut bien la peine.

Vous savez sans doute, aussi bien et mieux que moi, que les érudits les plus profonds ont été fort embarrassés jusqu'à ce jour sur plusieurs points qui regardent Tibulle. Les simples littérateurs n'y regardent pas de si près : ils lisent ordinairement les deux premiers livres de ce poëte aimable; ils en sentent les beautés, le charme inexprimable, et cela leur suffit ; ils sentent bien aussi en commençant le troisième livre que le ton du poëte a changé, mais ils no cherchent point à s'en expliquer la cause; plus ils avancent

dans ce livre, plus l'ennui les gagne; aussi est-il rare qu'ils le finissent; s'ils vont jusqu'au bout, c'est avec très-pen d'attention; ils n'entament guères le quatrième, et ne relisent jamais que les deux premiers.

Mais cette conduite fort naturelle de la part du lecteur qui ne veut que jouir, ne saurait convenir à celui qui veut s'éclairer afin d'éclairer les autres. Ces lecteurs-là doivent tout lire, et tout lire avec la plus grande attention; aussi leur arrive-t-il souvent de trouver des pierres d'achoppement dans les chemins qui paraissaient le plus unis au lecteur vulgaire. Ainsi le quatrième livre de Tibulle est composé d'élégies plus courtes que les autres ; tantôt il semble que le poëte y parle pour lui-même ; tantôt, et plus souvent encore c'est un jeune homme nommé Cerinthe, et une jeune femme nommée Sulpicie, qui semblent s'adresser des billets doux. Tous ces billets sontils de Tibulle? De très-habiles gens le nient, et veulent qu'ils aient été réellement écrits par une dame romaine de la famille Sulpicia, et par un jeune Grec nommé Cerinthe. Ces mêmes savans ne disputent point à Tibulle son troisième livre; mais ce livre a causé entre eux de longs débats sur l'âge de son auteur En effet, tout ce que Tibulle dit de lui-même dans les deux autres, tout ce qu'Ovide nous apprend de lui et tous ses rapports avec Horace, prouvent qu'il était à-peu-près du même âge que ce grand lyrique, et parconséquent de vingt ans plus jeune que l'auteur de l'Art d'aimer. Ces preuves sont si évidentes que la plupart des savans n'ont pu s'y refuser; et cependant Dacier et d'autres, appuyés d'un passage de la cinquième élégie du troisième livre, ont soutenu que Tibulle était né la même année qu'Ovide, sans qu'on puisse leur en savoir mauvais gré; car ce passage est si formel, le poëte y indique si précisément l'année de sa naissance, que pour en nier la date il a fallu soutenir que le vers qui la contient est interpolé.

Telles sont, Messieurs, les difficultés que vous connaissiez, sans doute et que l'on peut résumer ainsi : Le quatrième livre d'Elégies attribué à Tibulle est-il de lui ou de Sulpicia? Tibulle était-il de l'âge d'Ovide ou de celui d'Horace? M. Voss répond dans sa préface et dans ses notes à ces questions: voyons d'abord comment il a résolu la dernière.

Vous devinez sûrement qu'un homme qui réunit, comme M. Voss, l'esprit et le talent poétique à la plus vaste éru

dition, ne pouvait être de l'avis de ceux qui font Tibulle contemporain d'Ovide; mais, en adhérant au sentiment opposé, en faisant valoir les preuves dont on l'appuye, il ne se laisse pas amener aussi facilement à supprimer d'autorité ce vers de la cinquième Elégie du livre III, où le poëte dit qu'il est né l'année de la mort des consuls Hirtius et Pansa, date qui est aussi celle de la naissance d'Ovide. Quoique ce vers se retrouve mot à mot dans Ovide, il me semble que la réserve de M. Voss est louable; car je n'aime pas que l'on se permette légèrement de toucher aux écrits des anciens; et d'ailleurs, dit fort bien M. Voss, qu'aurez vous gagné à supprimer ce vers? Le reste du passage subsiste, l'Elégie, le livre entier subsiste, le poëte s'y montre comme un jeune homme de vingt-ans, sans éclat et sans fortune, recherchant en mariage une beauté sage, nommée Neèra, fille de bourgeois aisés et honnêtes; et parlant enfin de suicide lorsqu'elle refuse de l'épouser. (Lib. III, El. 3, 23. El. 2, 11-24; 4, 93. El. 1, 23. El. 2, 7.) Qu'y a-t-il de commun entre un obscur adolescent, un amoureux transi de cette espèce, et l'aimable, le brillant Tibulle, chevalier romain, qui à vingt ans possédait encore le riche patrimoine dont il parle dans sa première Elégie (v. 19) et dans ses félicitations à Messala, ou du moins conservait, même après le partage des terres, une médiocrité bien éloignée de l'indigence, et qui, loin de se livrer à des amours si sérieux et si tragiques, avait à trente ans Délie pour maîtresse, et riait le premier de ses infidélités ?

Je ne suivrai pas M, Voss dans toutes les inductions par lesquelles il commence à faire soupçonner que l'auteur du troisième livre d'élégies attribué à Tibulle est un autre poëte que Tibulle; mais je crois que l'on sera bien aise de trouver ici le parallèle qu'il établit entre la manière de ces deux auteurs. L'amant de Neèra, dit-il, ne sait dire autre chose que j'aime, on me rebute, je veux mourir. On ne trouve point chez lui cette vivacité d'expression qui nous charme dans Tibulle; il ne lui échappe aucun trait de ce goût pour la vie champêtre propre à l'amant de Délie et de Némésis; rien chez lui ne retrace le plaisir que prenait Tibulle à vivre au milieu des laboureurs et des burgers, à célébrer les fêtes des dieux rustiques, à rendre hommage aux antiques lares du toit paternel. Dans l'occasion même où l'amant de Neèra avait le plus grand intérêt à lui peindre en beau les plaisirs qui l'attendaient à la campagne après

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