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Tétranger. Se précipiter, exprimer les regrets les plus touchans, se combler de malédictions, ce fut l'affaire d'un instant. Je suis perdu, si vous vous plaignez, on me renverra de la maison, dit à voix basse l'inconnu, qui bientôt offre de porter sur-le-champ l'habit chez un dégraisseur du voisinage. L'offre est acceptée : l'étranger se dépouille : l'inconnu emprunte une serviette au restaurateur: l'habit part, la croix de diamans le suit; le dîner s'achève; le café paraît, les liqueurs lui succèdent : l'étranger est bien lesté, mais il se trouve un peu leste pour la saison. L'habit ne revient point: la patience se perd: les éclaircissemens arrivent, et l'espoir s'en va. On est obligé de convenir que la tactique de l'inconnu était savante et bien combinée.

Voici un autre fait dans lequel le hasard a joué au filou un tour perfide. Un commissionnaire se présente chez le sieur Hossart, homme d'affaires de M. le sénateur Lespinasse, et lui remet une boîte cachetée, avec une lettre écrite d'Orléans. Dans cette lettre on annonce à M. Hossart qu'on lui fait passer, pour son maître, douze onces de racines de dattier de la Martinique, stomachique, purgative et journalière. On demande 42 francs tant pour le prix que pour le port: la somme est à l'instant payée. La boîte, au lieu de la précieuse racine, ne contenait que de la fécule de pomme-de-terre. Le même commissionnaire se présente ensuite avec une pareille lettre et une boîte semblable chez une femme-de-chambre de la dame Tourin : mais celle-ci ne veut payer qu'après avoir consulté M Denys, notaire, chez lequel elle se rend avec le commissionnaire; le sieur Hossart se trouve à la porte de ce notaire, reconnaît l'homme, le fait arrêter et conduire chez le commissaire de police. Le commissionnaire déclare qu'il est chargé de cette boîte et de la lettre par un homme qui l'attend pour recevoir l'argent qu'on doit lui remettre. En effet, on s'empare d'un nommé Géronville, arrêté et précédemment emprisonné pour des faits du même genre. Le tribunal de police correctionnelle a, par son jugement du 17 de ce mois, acquitté le commissionnaire qui n'avait été qu'un instrument passif, et condamné Géronville à cinq ans d'emprisonnement, à 50 fr. d'amende, et à rester pendant cinq autres années sous la surveillance de la haute police.

-M. Beffroi de Reigny, connu jadis sous le nom du Cousin-Jacques, et dont la muse était depuis long-tems

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devenue muette, vient de payer le tribut à la nature, après avoir vu mourir avant lui tous les enfans de cette muse. Le Club des bonnes gens et Nicodème dans la lune, qui devaient leur succès éphémère aux circonstances, passèrent avec elles. Les lunes du cousin excitèrent la curiosité sans la satisfaire; elles n'eurent point un cours réglé ; elle s'affaiblirent et bientôt furent totalement éclipsées. Le public et leur auteur ne demeurèrent pas long-tems cousins. M. de Reigny fit la musique de ses opéras : les mauvais plaisans prétendirent qu'ils n'en valaient pas mieux. On assure que depuis plusieurs années la raison du Cousin avait déménagé nous ne savons jusqu'à quel point ce bruit était fondé, mais l'usage qu'il en fit pendant quelque tems semble autoriser à y croire. On n'a oublié pas dans que la conversation, à table, au salon, dans l'antichambre, le Cousin notait tout ce qu'il entendait, prenait les noms, prénoms, âges, de ceux qui s'offraient à ses yeux; le tout pour être rangé suivant l'ordre alphabétique, dans un ouvrage informe qu'il projettait, dont le contenu ne devait avoir aucun rapport avec le titre, quoique l'un et l'autre fussent très-bizarres, et qui n'a jamais eu son exécution.

Nous n'avons point, comme le veulent les gens tourmentés d'une bile noire, dégénéré de la vertu de nos ancêtres. J'en trouve la preuve dans cinquante-neuf almanachs chantans qui paraissent ou paraîtront ce mois-ci, et seront tous prêts pour les étrennes. Nos pères chantaient, nous chantons, nos petits enfans chanteront. Nous avons la voix fausse, mais nous n'en chantons pas moins avec gaîté. Cela vaut mieux que d'avoir le spleen.

Il paraît une brochure intitulée : Coup-d'œil sur les imperfections de la chaussure et les incommodités qui en proviennent, suivi d'un procédé ingénieux qui a l'avantage de corriger les unes et de faire disparaître ou de prévenir ics autres. Elle est de M. Sakoski, bottier au Palais-Royal, qui veut absolument qu'un soulier soit fait pour le pied qui doit s'y renfermer: c'est une prétention fort ridicule. Nos chapeaux sont-ils faits pour nos têtes? est-il une partie de nos vêtemens qui soit faite pour le membre qu'elle doit ou couvrir ou renfermer? S'avise-t-on de faire descendre la taille de nos habits jusqu'à la chute de nos reins? Ne fait-on pas nos hauts-de-chausses pour envelopper par leur extré mité supérieure notre poitrine; et bientôt, terminés par une fraise, ne feront-ils point partie de notre col? Pour

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quoi donc un soulier aurait-il la forme d'un pied? M. Sakoski va se brouiller avec tous les cordonniers el savetiers de la capitale, mais nos aristarques ne pourront lui dire, ne sutor ultra crepidam.

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L'an passé M. Bouilly nous donna pour nos étrennes les Contes à sa fille, cette année il nous fait cadeau des Conseils à sa fille. Nous souhaitons que ce nouvel ouvrage ait autant de succès que le Des critiques premier. blâment l'auteur d'avoir dit qu'il s'abstenait ordinairement de toute prétention littéraire. Est-ce parce qu'on sait à quoi s'en tenir, ou parce qu'un auteur a tort de s'abstenir de toute prétention? Ce sont pures chicanes, qui, je l'espère, ne décourageront ni le faiseur de contes, ni le donneur de conseils; et l'année prochaine, si Mlle Flavie (c'est le nom de la fille de M. Bouilly) prend un mari, nous aurons les Adieux à ma fille, mais non pas les Adieux au public,qui désire que l'auteur devienne grandpère pour faire encore des contes à ses petits-enfans.

Il a paru, dans la première quinzaine de ce mois, une douzaine d'ouvrages. L'un des plus piquans est le recueil des Lettres de Madame la marquise du Deffant à M. Horace Walpole. La marquise se plaint toujours de l'ennui qu'elle éprouve toujours elle meurt d'ennui, et comme elle a vécu quatre-vingts ans, on peut conclure que l'ennui est un poison fort lent. C'était par bizarrerie qu'elle tenait ce langage, car elle était riche, avait une bonne table garnie de gourmands qui payaient leur écot par une conversation instructive; des amis dont quelques-uns devinrent amans, et par-dessus tout cela, le plus commode des maris que sa femme congédiait, rappelait suivant son caprice pour le renvoyer et le rappeler encore.

Un traducteur fécond, ne trouvant plus rien à traduire, vient d'inventer un genre de reliûre en carton verni, ayant avec les tabatières faites de la même substance, quelqu'analogie. Il a commencé par couvrir ses chères et nombreuses traductions. En bon père de famille, il s'est fait tailleur pour habiller ses enfans. Mais on craint que ce nouveau procédé ne soit peu solide et que reliûres et traductions ne passent de compagnie, à moins que, n'y touchant pas, on ne les mette sous verre: ce qui serait un marché fort avantageux pour ceux qui sont condamnés à

tout lire.

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HISTOIRE. BIOGRAPHIE. On a déjà eu occasion dans plusieurs journaux d'y annoncer la prochaine publication d'un ouvrage biographique dont M. P. V. A. Laboubée, avocat et juge suppléant au tribunal de première instance de Bordeaux, s'occupe depuis plus de vingt années.

Nous croyons utile de donner quelques développemens à cette annonce, et cela dans l'intérêt du public et de l'ouvrage de M. Laboubée.

Cet auteur laborieux, pénétré de l'importance des biographies locales pour la formation d'un Dictionnaire biographique général, s'est appliqué pendant toute sa vie, à puiser dans les papiers des familles, dans les archives, dans les bibliothèques de la Guienne, une foule de renseignemens authentiques qu'il a joint aux faits non moins précieux que la tradition orale lui a transmis sur les hom mes célèbres dont il a entrepris d'écrire l'histoire.

Les administrations municipales de Bordeaux et les préfets du département de la Gironde n'ont pas laissé sans encouragement le zèle vraiment patriotique de M. Laboubee, et les arrêtés qui constatent, ce fait honorable pour les dépositaires de l'autorité, sont imprimés par ordre chronologique dans une brochure in-4° que nous avons sous les yeux.

La plupart de nos lecteurs connaissent par expérience P'utilité de nos bibliothèques historiques de la Bourgogne, du Poitou, etc. dans les études et les recherches qui ont trait à l'histoire de la France; ils savent que ce n'est que dans ces répertoires locaux qu'on trouve cette abondance cette variété de détails, dont les auteurs des histoires na→ tionales sont toujours obligés de faire le sacrifice, mais que les érudits aiment cependant à rencontrer dans leurs lectures.

La Guyenne, l'une des plus vastes provinces de l'ancienne France, et qui a donné le jour à des hommes de génie, tels que Montaigne, Montesquieu, Fénélon, etc., méritait peut-être plus que tout autre de fixer les méditations des savans. Depuis long-tems on se plaignait avec raison de voir dans les bibliothèques un vide qui, grâce à l'ouvrage de M. Laboubée, va cesser d'exister. Ainsi les hommes célèbres qu'a produits la Guyenne seront mieux appréciés, et cette biographie locale, susceptible d'être rédigée avec une perfection qui en rende la lecture instructive

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pourra nous faire connaître des noms oubliés, quoique dignes de la postérité.

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Encouragé par plusieurs hommes de lettres distingués auxquels l'auteur a communiqué son manuscrit, nous ne doutons pas qu'il ne se détermine à publier bientôt le premier volume de sa Bibliothèque de la Guyenne, et nous pensons que cet important ouvrage honorera également et la province qui en fait le sujet, et l'écrivain recommandable qui consacre les plus belles années de sa vie à ce travail ingrat, mais utile. J. B. B. ROQUEFORT.

INSTITUT IMPÉRIAL. La Classe d'histoire et de littérature anciennes de l'Institut impérial, a élu, dans sa séance du 13 de ce mois, M. Amaury-Duval, à la place vacante par la mort de M. Ameilhon. Le 19, S. M. F'Empereur a donné son approbation au choix de la Classe. M. Amaury-Duval a remporté successivement trois prix, à l'Institut, sur des questions d'histoire et d'archæologie. Il est auteur d'un ouvrage sur les sépultures chez les anciens, du grand ouvrage de Paris et ses monumens, de plusieurs dissertations et mémoires archæologiques, etc. Il a coopéré à la traduction des Voyages de Spallanzani dans les Deux-Siciles, et à la rédaction de la Statistique de la France, publiée il y a quelques années, en 7 vol. in-8°.

On vient de mettre en vente chez MM. Michaud frères, rue des Bons-Enfans, n° 34, les Noces de Thétis et de Pelée, poëme de Catulle, traduit en vers français par M. GINGUENE, membre de l'Institut; avec une préface. historique et critique, un appendice, composé de plusieurs notes ou petites dissertations sur quelques endroits de cette préface; des variantes pour le texte du poëme, tirées des plus anciennes éditions et des manuscrits, et des notes pour la traduction. Le tout forme un volume in-18, du même format que les Fables de l'auteur, qui se trouvent à la même adresse. M. Ginguené rappelle dans un Avertissement qu'il a fait cette traduction en 1802, et qu'il la lut publiquement à l'Institut dans la séance d'avril 1803. It indique en peu de mots pourquoi l'impression de tout son travail a été retardée jusqu'à ce moment, et pourquoi il s'est enfin décidé à le publier. Nous en rendrons compte

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