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Son ouvrage, pour le style et les idées, me paraît aussi inférieur à celui du prince de Bénévent que l'assemblée législative était elle-même au-dessous de l'assemblée constituante. Condorcet, aux écoles de district substitua des instituts, déclama contre l'éloquence et la langue latine, et exclut la religion de l'enseignement. Les mathématiques, la physique, l'histoire naturelle, remplacèrent exclusivement l'étude des langues dont on méconnut la nécessité, sans songer qu'elles sont l'instrument indispensable de toutes les sciences, que leur étude est une logique perpétuelle, qu'il faut des efforts soutenus et commencés dès sa jeunesse pour apprendre à bien manier sa propre langue, et que ce rare talent n'est départi qu'à un petit nombre d'écrivains privilégiés : Pauci quos æquus amavit, etc. La philosophie, dans le plan de Ćondorcet, eut une chaire sous le titre d'Analyse des sensations et des idées, de morale, de méthode des sciences ou logique, de principes généraux des constitutions politiques.

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Ce plan n'eut pas non plus d'exécution. Tout disparut sous la faux révolutionnaire. Enfin, après dix-huit mois d'une horrible tourmente, l'ordre fait place au chaos, lois renaissent. On sent le besoin de rétablir l'instruction: une école normale est créée, douze cents jeunes gens arrivent de tous les points de la France pour y être instruits par les hommes les plus habiles dans tous les genres. Pendant cinq mois, ces maîtres donnèrent des leçons que la plupart de leurs disciples écoutaient avec une espèce d'enthousiasme. De nouveaux troubles s'élèvent: le pain manque dans Paris, les fonds dans le trésor public; et de toute cette vaste école, il ne reste que quelques volumes monumens de l'habileté des maîtres. La philosophie eut dans cette école une chaire sous le titre d'Analyse de l'entendement humain. Le professeur, un des premiers écrivains de la France, ne donna que deux leçons.

Les troubles n'ayant été que momentanés, la Convention reprit le travail de l'instruction. On décréta et l'on organisa une école centrale par chaque département. Dans tous les autres plans on avait établi plusieurs degrés d'instruction; ici (car je ne parle pas des écoles primaires), il paraissait n'y en avoir qu'un seul assez élevé. On avait, en quelque sorte, commencé l'édifice par le toit; les fondemens avaient été oubliés. Ici encore comme dans le plan de Condorcet, l'étude des langues avait été sacrifiée à celle

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des sciences physiques. La philosophie dans les écoles centrales fut enseignée sous le titre un peu circonscrit et resserré de Grammaire générale. Cette partie fut cultivée avec assez de zèle et d'intérêt; mais le tems seul pouvait en assurer et consolider le succès. Quoi qu'il en soit, dans les circonstances où l'on se trouvait, les écoles centrales rendirent de grands services: elles ont trouvé des défenseurs habiles dont l'autorité était d'un assez grand poids. On aurait peut-être pu en tirer parti, soit en formant des écoles inférieures qui leur eussent servi d'échelons, soit en faisant mieux connaître l'esprit de leur plan : mais le restaurateur des lettres et des sciences dans notre patrie, le grand monarque qui d'une vue générale embrassait el coordonnait déjà les institutions qu'il préparait à la France supprima ces écoles pour leur substituer des lycées, et bientôt après cette grande Université qui finira par surpasser ce que nos voisins ont de plus parfait en ce genre.

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La philosophie n'eut pas d'abord de chaire dans les lycées; mais admise dans les académies et dans les lycées de Paris, elle ne tarda pas à l'être dans ceux des départe

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anens. Les élèves de cette classe doivent être instruits sur la logique, la métaphysique, la morale et l'histoire des opinions des anciens philosophes. Les principes de l'enseignement philosophique ne peuvent plus être douteux d'après les livres que l'on recommande aux professeurs et dont ils doivent se pénétrer. Ces livres sont, parmi les anciens, les Dialogues de Platon, les Analytiques d'Aristote, Traités philosophiques de Cicéron, et parmi les modernes, Bacon, Descartes, Pascal, l'Essai de Locke sur l'entendement humain; l'Essai analytique des facultés de l'ame, par Charles Bonnet; Fénélon et Clarke sur l'existence de Dieu, elc. Le sort de la philosophie dans les écoles de la France me paraît désormais fixé. La méthode ancienne des scholastiques ne peut plus subsister avec les auteurs que l'on vient de nommer, et sur-tout avec la faculté de pouvoir enseigner en français. Cette méthode n'est en rapport avec aucune des sciences que l'on cultive aujour d'hui, avec la chimie, la physique, l'histoire naturelle, les mathématiques, et cependant la vraie philosophie doit éclairer la marche de ces sciences, en faire connaître l'ori gine et les progrès, et dévoiler les procédés secrets de l'esprit humain dans leur formation. Telle est celle de Locke et de Condillac. Tout autre mode serait, à chaque instant, convaincu de fausseté, et heurterait de front la raison et

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l'expérience, qui servent aujourd'hui de bases à toutes les parties de l'enseignement. On peut même dire de chaque science qu'elle est une véritable logique mise en pratique. Cependant, il faut l'avouer, la philosophie de Locke et de Condillac a encore des ennemis nombreux; et cela doi être. Les idées ne changent pas en un jour. On l'accuse favoriser le matérialisme, et on la confond avec ce qof appelle vulgairement la philosophie moderne. Je donnerai quelques éclaircissemens sur ce dernier point, après avoir répondu à l'accusation.

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La philosophie qui désormais paraît devoir présider l'enseignement n'est nullement favorable au matérialisme comme il est facile de s'en convaincre par le sentiment de ses fondateurs. Bacon, leur chef, dit positivement que « l'incrédulité est un attentat contre l'autorité et la puis sance de Dieu. Que Dieu s'est réservé les fondemens » de notre croyance, sans qu'il soit possible de les contester. Que les mystères sont les conventions de Dieu comme » les lois sont les conventions des rois. Qu'un peu de > philosophie mène à l'incrédulité, et que beaucoup de philosophie ramène à la religion. ▾ Un auteur qui s'exprime ainsi est bien éloigné d'être un matérialiste et de rien avancer qui soit contraire à la doctrine de l'immorta lité de l'ame. Locke a toujours été très-attaché à la religion chrétienne, dont il a même pris la défense dans un de ses écrits. Il a établi fortement l'existence de Dieu, et si, comme philosophe, il a paru jeter quelque doute sur l'immatérialité de l'ame, question qui n'a été bien éclaircie que depuis Descartes, il est certain qu'il croyait fermement à son immortalité. Condillac, plus positif encore, insiste sur la spiritualité de l'ame dans plusieurs endroits de ses écrits, et il est impossible de démontrer l'existence de Dieu avec plus de force et de clarté que lui. Bonnet enfin est le plus grand spiritualiste que je connaisse. Il a employé tout ce qu'il avait de force de tête et de logique pour établir l'immatérialité de l'ame. Il n'oublie rien pour faire sentir la possibilité de l'union du corps et de l'ame, et il revient à cette vérité dans cent endroits de ses ouvrages; on voit qu'il se faisait une gloire de la fortifier par tous les moyens qui étaient en son pouvoir. Quel auteur a jamais démontré avec plus, de force et d'éloquence la nécessité d'une cause première intelligente? et sa Contemplation de la Nature n'est-elle pas la réunion de toutes les preuves les plus convaincantes en

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faveur de la divinité? Jamais ces fondateurs de la saine philosophie n'ont attaqué aucune vérité morale, religieuse ou politique. La raison et la vertu ont dicté tous leurs écrits, .et leurs véritables disciples répandus en grand nombre dans toutes les parties de l'Europe ont marché constam➡ ment sur leur trace, et montré la même sagesse et la même modération.

Que fait-on cependant pour pouvoir condamner tout ce qui s'appelle philosophes et philosophie? On confond les Bacon, les Locke, les Condillac, les Bonnet qui n'ont écrit que pour diriger la marche de l'esprit humain, pour éclairer l'origine de ses opérations, avec les philosphes qui ont examiné nos institutions politiques et religieuses, et qui ont souvent scruté avec trop de hardiesse et de liberté les principes du pouvoir du trône et de l'autel. Quelle différence néanmoins dans ces deux espèces de philosophie! L'une, douce, paisible, pacifique, appuyée modestement sur les faits et l'expérience, ne s'est jamais occupée que de l'avancement des sciences; elle a guidé Lavoisier dans la réforme de la chimie, et guide encore tous les jours dans la médecine les Pinel, les Richerand, les Dumas, etc., et dans toutes les autres parties des connaissances humaines an assez grand nombre de savans illustres. L'autre, un peu inquiète et ambitieuse, n'a dû son existence qu'à la faiblesse de l'ancien gouvernement qui, faisant tout le contraire de ce qu'il aurait dû faire, souffrait patiemment qu'on lui dénonçât tous les abus, sans avoir jamais le courage ou d'en réformer aucun ou d'imposer un silence absolu. L'une prétend régler les empires, l'autre ne veut qu'éclairer l'esprit et le cœur. Peut-on avoir une marche plus opposée et un but plus différent? Mais, au reste, on peut dire pour la justification de ces philosophes politiques, qu'ils ont mis en avant beaucoup de vérités utiles et pratiques dont nous profitons aujourd'hui, et que s'ils revenaient en ce moment ils tiendraient un autre langage et penseraient bien différemment. Car enfin que voulaient-ils sur-tout? Que désirait Voltaire désigné comme leur chef? la tolérance et rien autre chose. Ce point une fois obtenu, Voltaire eût été le premier à défendre le trône et l'autel. Cette idée n'étonnera que ceux qui ne connaissent pas bien ses écrits. C'est donc bien vainement que l'on se plaît à attaquer des auteurs qui souvent penseraient comme leurs adversaires, s'il était possible qu'ils sortissent du tombeau

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c'est bien injustement que l'on confond la philosophie qui s'occupe de l'origine et de la marche de nos idées, avec celle qui s'est mêlée de politique et de religion.

Par un Abonné.

VARIÉTÉS.

CHRONIQUE DE PARIS.

ON a trouvé la femme forte que cherchait le grand roi Salomon; elle est au milieu de nous, et si l'on fait une nouvelle édition de la Galérie des femmes fortes du P. Lemoyne, on y verra certainement Mme de G.... figurer avec avantage auprès des Judith, des Arrie, des Jeanne d'Arc, etc. N'est-elle pas une femme forte, celle qui, à peine guérie des glorieuses blessures qu'elle avait reçues dans un premier choc, donne déjà le signal d'un nouveau combat? Elle n'a jamais compté ses ennemis, ni mesuré leurs forces. Elle attaque toujours, et dédaigne l'art des retraites. La plus belle retraite dont pourraient s'honorer des héros, ne lui paraît qu'une honteuse fuite. Après s'être escrimée toute sa vie (on sait avec quel succès) contre tous les hommes célèbres du dernier siècle, et même contre quelques personnages illustres de son siècle favori, c'est à la génération actuelle qu'elle adresse ses redoutables traits. Ce n'est ni Fénélon, ni J.-J. Rousseau, ni Voltaire, ni d'Alembert, etc. qu'elle attaque aujourd'hui ; elle est bien sûre de les avoir terrassés : ce sont tous i; les écrivains dont peut s'honorer notre siècle. Tremblez, MA. B. C. jusqu'à Z., tremblez. Vos pères et vos maîtres ont succombé sous ses coups. Cédez le champ de bataille.

Pourquoi avez-vous entrepris une biographie universelle? ou pourquoi n'empruntez-vous pas, pour l'exécution de cet ouvrage, les opinions et le style de Mme de G....? L'entreprise n'y gagnerait pas peut-être ; mais vous seriez tranquilles, si toutefois l'ardeur belliqueuse dont elle est animée pouvait lui permettre de laisser un peu de repos à ses rivaux de gloire.

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Mme de G.... n'a-t-elle donc point un ami qui puisse lui dire Pour Dieu, madame, reposez-vous; il en est tems. Vous avez une réputation littéraire fondée sur de véritables titres, et ce sont les ouvrages de votre jeunesse mais

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