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vestis chez nous les ministres des affaires étrangères, l'excessive irresponsabilité dont ils jouissent ou qui les accable. La possibilité d'une erreur et les tentations innombrables au crime, que l'absence de contrôle peut favoriser, constituent à nos yeux un danger toujours imminent pour la sécurité de la France dans ses relations avec l'extérieur. Lord Beaconsfield avec sa campagne d'Afghanistan est une preuve éloquente de la justesse de notre opinion; la crise ministérielle actuelle nous fournit un exemple non moins probant de la puissance d'un ministre à produire sans le vouloir, à créer même intentionnellement, des surprises politiques désagréables toujours, malfaisantes souvent, dangereuses quelquefois.

Pour mettre cette vérité en complète évidence, nous avons à faire l'historique de la Crise, et, en cette occurrence, notre méthode habituelle, celle de nous taire et de laisser parler les documents authentiques, nous paraît la meilleure à employer:

1. Sénat, séance du 15 mars 1880; déclaration de M. de Freycinet, ministre des affaires étrangères, président du conseil. « Je n'ai qu'un mot à dire au Sénat. A la fin de la première délibération, M. Dufaure a adressé au gouvernement un appel que nous ne saurions laisser sans réponse. Il a exprimé l'espoir qu'entre les deux délibérations le gouvernement pourrait trouver une transaction sur laquelle l'accord pourrait se faire. Malgré notre désir de conciliation et malgré notre déférence pour l'illustre orateur qui nous avait adressé cet appel, nous n'avons pas apporté une formule nouvelle parce que l'article 7 était déjà à nos yeux une transaction; l'article 7 étant repoussé, il ne nous reste plus qu'à appliquer les lois, et le gouvernement doit rester dans la situation où ce vote l'a placé. >>

2.- Chambre des députés, séance du 16 mars 1880.- Ordre du jour proposé par M. Devès, accepté par le gouvernement, voté à une majorité de 338 voix contre 147 sur 485 votants:

« La Chambre, confiante dans le gouvernement et comptant sur sa fermeté pour appliquer les lois relatives aux congrégations non autorisées, passe à l'ordre du jour. »>

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3. Décret relatif aux Congrégations non autorisées 29 mars 1880, art. 9.« Toute congrégation ou communauté qui, dans le délai ci-dessus imparti, n'aura pas fait la demande

d'autorisation avec les justifications prescrites à l'appui, encourra l'application des lois en vigueur. »

4. Discours de M. Gambella à Cherbourg, 10 août 1880. (Extrait). - « La fortune tourna contre nous, et, depuis dix ans, il ne nous est pas échappé un mot de jactance ou de témérité. Il est des heures, dans l'histoire des peuples, où le droit subit des éclipses, mais, dans ces heures sinistres, c'est aux peuples de se faire les maîtres d'eux-mêmes, sans tourner leurs regards exclusivement vers une personnalité; ils doivent accepter tous les concours dévoués, mais non des dominateurs; ils doivent attendre dans le calme, dans la sagesse, dans la conciliation de toutes les volontés, libres de leurs mains et de leurs armes au dedans comme au dehors.

« Les grandes réparations peuvent sortir du droit : nous ou nos enfants pouvons les espérer, car l'avenir n'est interdit à personne.

« Je veux, en deux mots, répondre à une critique qui a été formulée à cet égard; on a dit, quelquefois, que nous avons un culte passionné pour l'armée, cette armée qui groupe aujourd'hui toutes les forces nationales, qui est recrutée, non plus maintenant parmi ceux dont c'était le métier d'être soldats, mais bien dans le plus pur sang du pays; on nous reproche de consacrer trop de temps à l'examen de la progression de l'art de la guerre, qui met la patrie à l'abri du danger; ce n'est pas un esprit belliqueux qui anime et dicte ce culte, c'est la nécessité, quand on a vu la France tomber si bas, de la relever, afin qu'elle reprenne sa place dans le monde.

« Si nos cœurs battent, c'est pour ce but et non pour la recherche d'un idéal sanglant; c'est pour que ce qui reste de la France nous reste entier; c'est pour que nous puissions compter sur l'avenir et savoir s'il y a dans les choses d'ici-bas une justice immanente qui vient à son jour et à son heure.

« C'est ainsi, messieurs, qu'on mérite de se relever, qu'on gagne les véritables palmes de l'histoire; c'est à elle qu'il appartient de porter un jugement définitif sur les hommes et sur les choses; en attendant, nous sommes des vivants et on ne nous doit qu'une égale part de soleil et d'ombre, le reste vient par surcroît.

5. Discours de M. de Freycinet à Montauban, 17 août 1880 (Extrait). -« Ce mot, messieurs, m'amène à vous entre

tenir, je le ferai du reste très brièvement, d'une question dont nos adversaires ont cherché à faire grand bruit, et avec laquelle ils s'étaient flattés d'influer sur les élections. Vous avez yu avec quel succès! Je veux parler des congrégations non autorisées et des décrets du 29 mars. On nous dépeint comme des ennemis de la religion. Je ne crois pas, pour ma part, avoir à protester contre cette accusation, j'ai toujours respecté, je respecte profondément la religion. Au surplus, personne ne la menace sérieusement, et, s'il en était besoin, le gouvernement que j'ai l'honneur de présider, saurait, croyez-le bien, la protéger et la défendre. Mais il ne faut pas que, sous prétexte de religion, des associations que le Concordat n'a pas prévues prétendent se placer au-dessus des lois. C'est au moment où les entreprises de ces associations dans le domaine de l'enseignement excitaient de vives appréhensions, que nous avons été mis en demeure par l'un des pouvoirs publics d'appliquer les lois. Nous avons fait cette application sur la plus puissante et la plus célèbre de toutes, sur la Compagnie de Jésus. Nous l'avons dissoute. Nous avons ainsi donné une satisfaction immédiate au sentiment de la chambre des députés, en même temps que nous avons fourni une preuve indiscutable de la force du gouvernement et de l'autorité des lois qu'on avait osé contester. Quant aux autres congrégations, le décret spécial qui les vise n'a pas fixé la date de leur dissolution; il nous a laissé maîtres de choisir notre heure. Nous nous règlerons, à leur égard, sur les nécessités que fera naître leur attitude, et, sans rien abandonner des droits de l'État, il dépendra d'elles de se priver du bénéfice de la loi nouvelle que nous préparons, et qui déterminera d'une manière générale les conditions de toutes les associations laïques aussi bien que religieuses.

« Permettez-moi, en terminant, messieurs, de vous dire quelques mots de notre politique étrangère. Vous voyez périodiquement, dans les journaux qui nous sont hostiles, des bruits plus ou moins inquiétants sur l'état de nos relations, sur de prétendues tentatives d'intervention plus ou moins inopportunes, auxquelles se laisserait aller le gouvernement de la République, sur de soi-disant complications naissantes. Eh bien, ne croyez rien de tout cela. Jamais la situation n'a été meilleure. La France, il est vrai, est sortie de l'isolement auquel l'avaient condamnée les événements, et elle a repris sa place dans la politique générale. L'isolement ne saurait convenir longtemps à un grand pays; il ne saurait convenir ni à ses in

térêts ni à sa dignité. Mais de là à la politique d'aventures il y a fort loin, et cette distance, nous ne la franchirons jamais. Je connais trop, pour ma part, les sentiments de ce pays, qui veut résolument la paix, pour rien faire qui puisse la compromettre. Ayez foi dans cette assurance, et laissez passer les rumeurs contraires sans vous en émouvoir.

« Vous le voyez, messieurs, la situation est bonne au dedans et au dehors: au dehors, c'est la paix, la paix profonde, la paix sans jactance comme sans faiblesse; au dedans, c'est le calme, la sécurité, le travail; c'est une prospérité financière sans précédent, c'est une activité commerciale et industrielle qui dépasse toutes les prévisions, c'est un ordre matériel que rien ne trouble et qui repose non seulement sur la fermeté du gouvernement, fermeté dont personne ne doute, mais, ce qui vaut mieux encore, sur la sagesse des populations. »>

6. Lettre de l'archevêque de Paris et de l'archevêque de Rouen à tous les évêques de France, 19 août 1880 (1).

(( Monseigneur,

«Le conflit soulevé par les décrets du 29 mars paraît entrer dans une voie d'apaisement. Le gouvernement avait été blessé du refus qu'avaient fait les congrégations de solliciter l'autorisation. Il avait attribué cette attitude à des motifs politiques; et, dans ces derniers temps, il a laissé voir qu'une déclaration qui désavouerait de leur part de semblables intentions lui donnerait une satisfaction suffisante.

« Une haute autorité qu'il est inutile de nommer ici, mais à laquelle vous et nous, Monseigneur, nous devons la plus entière déférence, autorise les congrégations à signer et à présenter au gouvernement la déclaration dont nous joignons ici le modèle. Le sens de ce document est connu à l'avance de ceux à qui il doit être adressé ; et tout fait espérer qu'il les affermira dans les dispositions bienveillantes qui paraissent devoir les animer en ce moment.

« Nous avons été chargés, Monseigneur, de vous faire connaître la décision ci-dessus mentionnée, en vous priant d'envoyer le modèle de déclaration aux supérieurs et aux supérieures des communautés non reconnues établies dans votre diocèse, pourvu qu'elles n'aient pas en dehors du diocèse de (1 Note. La lettre ci-dessus a été livrée à la publicité par la Gazette du Midi, le 19 septembre 1880.

supérieurs majeurs (généraux ou provinciaux), car, dans ce cas, l'adhésion de ces supérieurs majeurs suffirait pour tout l'institut.

« Vous voudrez bien, Monseigneur, engager les supérieurs (hommes et femmes) à signer le document dont il s'agit et à vous le retourner le plus tôt possible, car il y a des motifs sérieux de se hâter. Vous aurez la bonté d'envoyer les exemplaires signés à l'archevêque de Paris, qui les transmettra à qui de droit.

<< Toute cette affaire demande une grande discrétion; aucune communication ne doit en être donnée à la presse.

<< Veuillez, Monseigneur, agréer l'expression de nos sentiments respectueux et bien dévoués.

Signé « H. Card. DE BONNECHOSE,

:

Arch. de Rouen. »>

Signé: «J.-H. Card. GUIBERT,

Arch. de Paris. »

7. Déclaration des Congrégations et formule d'adhésion (1), -« A l'occasion des décrets du 29 mars, une partie de la presse a dirigé de vives attaques contre les congrégations non autorisées, les représentant comme des foyers d'opposition au gouvernement de la République.

« Le prétexte de ces accusations était le silence observé par ces congrégations, qui en effet n'ont pas demandé jusqu'ici l'autorisation que le second décret les mettait en demeure de solliciter.

«Le motif de leur abstention était cependant tout autre que celui qu'on leur prête, et les répugnances politiques n'y avaient aucune part. Convaincus que l'autorisation, qui, dans l'état actuel de la législation française, confère le privilège de la personnalité civile, est une faveur et non une obligation, elles n'ont pas cru se mettre en opposition avec les lois en continuant de vivre sous un régime commun à tous les citoyens.

« Ce n'est pas qu'elles méconnaissent les avantages attachés à l'existence légale ; mais elles ne pensaient pas qu'il leur convînt de rechercher ces avantages dans des circonstances qui (1) Note. - Cette pièce portant la signature d'un grand nombre de supérieurs de congrégations, a été remise au ministère de l'intérieur et des cultes, le 31 août 1880. Elle a été livrée à la publicité le même jour par le journal la Guyenne.

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