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la Calle et Bougie, ont été fréquemment ravagées par des incendies dus tant à la négligence ou à l'imprudence qu'à la malveillance des populations indigènes, qui souvent y cherchaient simplement le moyen de procurer de nouveaux pâturages à leurs bestiaux.

Mais jamais ces incendies n'ont été aussi violents et n'ont occasionné autant de désastres qu'au mois d'août 1881.

A aucune époque, la superficie dévastée n'a été aussi étendue, le nombre des victimes n'a été aussi élevé, et les pertes subies n'ont été aussi considérables.

Dans les premiers jours du mois d'août, d'assez nombreux incendies avaient été signalés sur divers territoires souvent très éloignés les uns des autres.

Ils purent être assez rapidement éteints et les pertes furent presque insignifiantes. Malheureusement, vers le 17 août, ils éclatèrent de nouveau, presque simultanément et en bien plus grand nombre, sur des points disséminés sur une très grande étendue. Du 20 au 25 août, ils prirent une violence qu'on n'avait jamais vue, et se propagèrent avec une effrayante rapidité, depuis Aîn-Mokra, dans l'arrondissement de Bône, jusqu'aux environs de Djidjelli, dans l'arrondissement de Bougie, en traversant les territoires de Jemmapes, Filfilla, Saint-Charles, Collo, dans l'arrondissement de Philippeville, et d'ElMilia, dans l'arrondissement de Constantine, sur une distance totale d'environ 200 kilomètres.

Plus de 200 victimes périrent dans les flammes; près de 1.000 gourbis. furent détruits; de nombreux bestiaux furent perdus; et la superficie boisée dévastée par le feu s'éleva à 91.535 hectares, appartenant pour 42.003 hectares à l'Etat; pour 7.911 aux domaines des communes, et enfin pour 41.621 aux particuliers.

Les pertes subies ont été évaluées, par la Commission supérieure constituée à cet effet, à la somme de 9 millions 936.114 fr. 31, se répartissant comme suit:

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Dès le début, l'autorité avait eu la preuve que les incendies étaient dus à la malveillance et résultaient d'un concert préalable des indigènes.

Leur simultanéité sur des points si nombreux et si éloignés les uns des autres, la rapidité avec laquelle ils s'étaient propagés, l'indifférence, le mauvais vouloir et souvent le refus absolu des populations indigenes appeléesà

donner leur concours pour 'combattre le fléau, la découverte de matières inflammables destinées à activer les foyers, enfin l'arrestation, dans plusieurs localités, d'un assez grand nombre d'indigènes, pris en flagrant délit au moment où ils allumaient le feu, et déférés plus tard à la justice, ne pouvaient laisser aucun doute sur les véritables causes du sinistre, et sur l'application à faire de la responsabilité collective édictée par la loi du 17 juillet 1874.

Or, cette loi du 17 juillet 1874, qui a eu pour but de prévenir, autant que possible, les incendies, d'en punir les auteurs et d'en indemniser les victimes, porte :

‹ ART. 5. —En tout territoire civil ou militaire, indépendamment des condamnations individuelles encourues par les auteurs ou complices des crimes, « délits ou contraventions, en cas d'incendies de forêts, les tribus et les douars pourront être frappés d'amendes collectives, dans les formes et conditions ci-après.

‹ ART. 6. — Ces amendes seront prononcées par le Gouverneur général, en << conseil du Gouvernement, sur le vu des procès-verbaux, rapports et propo<sitions de l'autorité administrative locale, les chefs de tribus ou de douars << préalablement entendus par ladite autorité.

Le produit des amendes sera versé au Trésor; il pourra être affecté en tout «ou en partie à la réparation des préjudices causés par les incendies. Dans << ce cas, le Gouverneur général dressera l'état de répartition et le notifiera « aux parties lésées. Le recours au Conseil d'État sera ouvert à celles-ci, dans « le délai de deux mois, à partir de la notification, contre les décisions prises par le Gouverneur général à leur égard.

« Lorsque les incendies, par leur simultanéité ou leur nature, dénoteront de « la part des indigènes un concert préalable, ils pourront être assimilés à des << faits insurrectionnels, et, en conséquence, donner lieu à l'application du séquestre, conformément aux dispositions actuellement en vigueur de « l'ordonnance royale du 31 octobre 1845. »

C'est en vertu de ces deux articles que le Gouverneur général, dès le 31 août 1881, prit, en conseil de Gouvernement, un arrêté frappant, en principe, du séquestre collectif, les territoires, douars ou fractions, à désigner ultérieurerement par des arrêtés spéciaux, où les incendies auraient été reconnus être le résultat d'un concert de la part des indigènes, et déclarant que des amendes collectives proportionnées au degré de culpabilité et au dommage causé seraient imposées aux populations qui n'auraient pas donné leur concours pour combattre l'incendie et en faire arrêter les auteurs.

Les autorités locales se mirent immédiatement à l'œuvre, et poursuivirent, tant sur les circonstances de l'amende que sur l'attitude et la conduite des populations, des minutieuses enquêtes qui ne firent que confirmer l'administration dans ses précédentes convictions.

De son côté le service forestier procéda à la reconnaissance des superficies atteintes par le feu et à l'évaluation des pertes subies par les divers propriétaires de forêts : État, communes, propriétaires ou locataires.

Enfin une Commission, instituée par le préfet de Constantine, fit l'estimation des dommages éprouvés par les colons ou indigènes, dans les propriétés non forestières de l'arrondissement de Philippeville.

Les résultats de ces enquêtes, les procès-verbaux de constatation, les propo

sitions pour les chiffres des pertes, furent soumis à une Commission supérieure, composée d'un conseiller de Gouvernement, président; du conservateur des forèts, du directeur des domaines du département, du conseiller général de la circonscription et d'un membre désigné par le préfet.

Cette Commission se transporta elle-même sur les lieux, visita la plupart des territoires incendiés, contrôla les résultats des enquêtes et les chiffres des évaluations, entendit les indigènes, obtint l'adhésion de tous les propriétaires de forêts, sauf un, aux évaluations de dommages faites par le service fores. tier, et formula ensuite ses conclusions dans un long rapport, où, après avoir fixé le chiffre total des dommages, établi le degré respectif de culpabilité de chaque collectivité, signalé quelques indigènes qui s'étaient fait remarquer par leur courage et leur dévouement, elle proposait les pénalités qu'il lui paraissait juste d'infliger à chacune des collectivités auxquelles devait être appliquée la loi de 1874.

Les conclusions de cette Commission furent alors présentées à l'examen du Conseil de Gouvernement, qui en modifia quelques-unes et transmit les propositions définitives au Gouverneur général. Ratifiant les avis émis par cette Assemblée, le Gouverneur, aux dates des 26 et 27 juillet 1882, prit cinquante, neuf arrêtés frappant de séquestre ou d'amendes collectives les tribus, douars ou fractions reconnues coupables.

Trente-huit de ces arrêtés apposaient le sequestre sur divers territoires. Les vingt et un autres prononçaient, contre autant de groupes d'indigènes, des amendes collectives, variant entre une fois et dix fois le produit annuel de l'impôt.

Mais à la suite de renseignements complémentaires, le séquestre prononcé contre une des tribus fut transformé en une amende collective, par un arrêté du 17 juin 1884.

D'un autre côté, deux arrêtés des 9 septembre 1882 et 26 juin 1883 avaient frappé du séquestre nominatif un groupe d'indigènes au nombre de 80 qui avaient pris une part très active aux incendies et que leur dissémination sur le territoire ne permettait pas d'atteindre collectivement.

En somme, trente-neuf arrêtés ont prononcé le séquestre et vingt-deux ont infligé des amendes collectives.

Il convient d'ajouter que chaque arrêté spécial exemptait des pénalités certaines catégories d'individus, et qu'après enquête, 302 indigènes ont bénéficié de cette disposition tant au point de vue des amendes qu'au point de vue du séquestre.

Les amendes collectives prononcées par les divers arrêtés s'élevaient à la somme de 323.046 fr. 53, sur laquelle, à la date du 30 juin 1889, 287.861 fr. 47 étaient recouvrés, 26.013 fr. 54 en recouvrement et 9.171 fr. 25 tombés en non-valeurs.

En vertu des pouvoirs que lui confère l'article 6 de la loi de 1874, M. le Gouverneur général, par un arrêté du 2 avril 1884, fit une répartition d'une première somme de 258.431 fr. 96 entre les divers intéressés, à l'exception du domaine de l'État.

Mais, en somme, le produit total des amendes qui pourrait être ainsi dist‹ibué ne pouvait pas dépasser 313.850 fr., soit moins de 4 0/0 des portes subies, sans meme tenir compte de celle du domaine de l'État.

Cette indemnité eût été absolument illusoire. Aussi, comme cela avait été fait à la suite des incendies de 1877, M. le Gouverneur général songea-t-il à chercher dans les produits du séquestre de nouvelles ressources qui lui permettraient de donner une plus forte indemnité aux divers sinistrés.

Il recula cependant devant les conséquences extrêmes du séquestre qui auraient abouti à la confiscation pure et simple de tous les territoires frappés. Il ne crut pas prudent de déposséder complètement et de pousser peut-être ainsi à bout de nombreuses populations, 'auxquelles on devait, en tous les cas, imposer de très lourds sacrifices.

La répression devait être sévère et rigoureuse; il était d'ailleurs indispensable de réunir aux forêts domaniales ou privées les enclaves dont la possession par les indigènes favorisait les incendies et constituait un danger permanent; enfin, même pour prévenir le retour de pareilles catastrophes, il paraissait nécessaire de faire pénétrer la colonisation sur plusieurs de ces territoires, en affectant à ce service une partie des terres qui seraient séquestrées. Mais il était sage de limiter strictement ces prélèvements aux besoins à satisfaire, et de laisser au moins aux indigènes les terres nécessaires pour leur permettre de vivre, de payer l'impôt et même de reconstituer leur fortune. Guidé par ces considérations, M. le Gouverneur général décida que les collectivités frappées par le séquestre seraient admises à le racheter moyennant la cession d'une partie de leurs terres et le payement de taxes en argent.

Les bases de ce rachat furent établies, après avis des autorités locales et du préfet de Constantine, par le Gouverneur général en Conseil de Gouvernement. Elles furent fixées à des taux variant entre 20 et 40 pour 100 de l'avoir mobilier et immobilier des groupes indigènes, suivant le degré de leur culpabilité respective.

Pour appliquer ces dispositions et opérer la liquidation du séquestre, il fallut procéder à de longs et minutieux travaux.

De nombreux commissaires-enquêteurs furent chargés de recenser l'actif mobilier et immobilier de chaque collectivité et d'établir un compte spécial par individu, de manière à fixer le montant de la taxe de rachat pour le groupe entier et pour chacun de ses membres, après élimination des indigènes exemptés du séquestre.

Il fallut ensuite désigner les tribus, douars ou fractions qui se rachèteraient uniquement en argent, et ceux qui devraient subir des prélèvements territoriaux, soit dans l'intérêt du service forestier, soit dans l'intérêt de la colonisation, la valeur de ces prélèvements devant, d'ailleurs, venir en déduction des taxes de rachat.

Enfin il était nécessaire de fixer les conditions dans lesquelles certains indigènes, étant dépossédés de leurs terres, par suite des prélèvements, pour une valeur supérieure à la charge leur incombant, seraient indemnisés et installés sur d'autres points du territoire.

Dans ces conditions, l'Administration a pensé que dans tous les territoires où devaient avoir lieu des prélèvements, le meilleur moyen d'arriver à une solution équitable, tout en donnant une certaine satisfaction aux indigènes par la délivrance de titres de propriété réguliers, serait de constituer la propriété individuelle, et de réservér la partie qui resterait disponible pour un lotissement entre les divers propriétaires expropriés.

Ces opérations préliminaires sont aujourd'hui à peu près terminées. D'une manière générale, et sauf quelques points qu'il y aura lieu de reviser, elles ont établi que dans 21 douars, tribus ou fractions, comprenant une superficie de 158.000 hectares, il y aura lieu d'effectuer des prélèvements territoriaux, et de créer la propriété individuelle.

Sur ces 158.000 hectares, il serait prélevé une superficie de 17.269 hect. 27 ares d'une valeur de 2.050.363 fr., répartie comme suit :

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Terrains destinés à être réunis aux forêts domaniales......

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Terrains destinés à être réunis aux forêts particulières....

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Prélèvements pour la colonisation..

11.594 62

1.591.058

17.269 27 2.050.363

dont 14.826 hect. 92 ares d'une valeur de 1.777.489 francs seraient attribués à l'État soit pour le service forestier, soit pour la colonisation.

D'après le recensement effectué, l'actif mobilier et immobilier des tribus, douars ou fractions frappés du séquestre s'élève à......

13.431.800

Au taux fixé pour chaque groupe, les taxes de rachat représenteraient une somme de..

4.169.098

soit environ 33 pour 100.

Si l'on en déduit la valeur des prélèvements territoriaux, évalués ci-dessus à......

2.050.363

il resterait comme solde à payer en argent.

Si à cette somme on ajoute le produit des redevances locatives fixées à une somme égale à l'impôt annuel, qui seront payées, depuis l'apposition du séquestre, jusqu'au commencement de la perception des taxes de rachat, par les collectivités ayant conservé la jouissance de leur territoire, ce produit étant évalué environ à. et qu'on déduise du total......

les frais d'exécution occasionnés par les diverses opérations de la liquidation du séquestre, soit environ.....

resterait comme somme en argent à provenir du séquestre... Si on y ajoute la valeur des prélèvements territoriaux en faveur des forêts particulières, évaluée ci-dessus à.....

on obtient une valeur totale de.......

2.118.735

700.000 2.818.735

170.000 2.648.735

272.874 2.921.609

à provenir du séquestre et qui pourrait être distribuée aux sinistrés, en argent ou en terrains, en outre du produit des amendes collectives, 313.850 francs.

Mais si la loi de 1874, par son article 6, autorise M. le Gouverneur général à affecter tout ou partie du produit des amendes collectives à la réparation des dommages causés, elle n'a pas prononcé la même affectation pour les produits du séquestre. Elle est restée muette sur ce point. Et chaque fois que le Gouverneur général croit devoir recourir à cette mesure, le Gouvernement est obligé de solliciter une loi spéciale du Parlement.

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