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croyait menacés par les glissements d'un terrain communal en pâturage, proposé de le soumettre au régime forestier, afin de le convertir en bois.

Le conseil municipal contestant l'opportunité de cette mesure, le litige fut porté devant le conseil de préfecture, conformément aux prescriptions de l'art. 90 (dernier alinéa) du Code forestier.

Une expertise contradictoire fut ordonnée à l'effet de'constater l'état des lieux et d'établir les avantages ou les inconvénients que présentait la gestion de la commune.

L'expert de l'Administration des forêts et celui de la commune ayant conclu tous deux à l'abandon du projet de soumission au régime forestier, il est intervenu, à la date du 9 mars 1887, l'arrêté suivant :

LE CONSEIL :

Considérant qu'il résulte des rapports des experts qu'il n'y a pas lieu de soumettre au régime forestier le terrain communal dont il s'agit; qu'il y a donc lieu d'homologuer le rapport des experts et de repousser la demande de l'Administration forestière;

En ce qui concerne les frais :

Considérant que la partie qui succombe doit être condamnée aux frais;

Considérant que le conseil a été saisi de cette affaire sur un rapport du Conservateur des forêts en date du 9 octobre 1885; que, par conséquent, l'Administration des forêts, c'est-à-dire l'État, doit être condamnée aux frais,

ARRÊTE:

La demande de soumission au régime forestier est rejetée.

L'État, en la personne de M. le préfet de la Haute-Savoie, est condamné aux frais liquidés à 300 francs, soit 150 francs par expert. »

L'Administration supérieure a cru devoir accepter cette décision au fond; elle a renoncé à poursuivre la conversion en bois du terrain litigieux; mais la disposition de l'arrêté du Conseil, qui condamnait l'État aux dépens, a été déférée au Conseil d'État par M. le Ministre de l'agriculture.

Le pourvoi, formé uniquement contre cette condamnation, a été accueilli par une décision du Conseil d'État, du 3 février 1888, ainși

conçue :

Le Conseil d'État statuant au contentieux.
Sur le rapport de la section du contentieux.

Vu le recours du Ministre de l'agriculture, ledit recours enregistré au Secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le 8 juin 1887, et tendant à ce

JUIN 1888.

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qu'il plaise au Conseil réformer un arrêté du Conseil de préfecture du département de la Haute-Savoie, en date du 9 mars 1887, dans celle de ses dispositions par laquelle ledit arrêté, après avoir statué sur une contestation relative à un projet de conversion en bois de terrains en pâturages appartenant à la commune d'Essert-Romand, a condamné l'État aux frais de l'expertise;

Ce faisant, attendu qu'aucune disposition de loi n'autorisait le Conseil de préfecture à mettre en pareille matière les honoraires de l'expert de la commune à la charge de l'État ;

Décider que c'est à tort que l'État a été condamné à payer la totalité des frais de l'expertise; mettre les honoraires dus à l'expert de la commune à la charge de ladite commune;

Vu l'arrêté attaqué;

Vu la lettre, en date du 19 juillet 1887, par laquelle le préfet de la HauteSavoie déclare que le recours ci-dessus visé a été communiqué à la commune d'Essert-Romand à son maire en exercice qui n'a pas présenté d'observations en défense en la forme régulière ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu l'article 90 du Code forestier;

Ouï M. Chareyre, auditeur en son rapport;

Ouï M. Gauvrain, maître des requêtes, commissaire du gouvernement en ses conclusions;

Considérant que la contestation dont le Conseil de préfecture était saisi et qui était relative à un projet de conversion en bois de terrains en pâturages appartenant à la commune d'Essert-Romand n'était pas de celles dans lesquelles des dépens peuvent être mis à la charge de l'État ; que, dès lors, le Ministre de l'agriculture est fondé à soutenir que c'est à tort que le Conseil de préfecture a condamné l'État à payer les honoraires dus à l'expert de la commune ;

DÉCIDE:

ARTICLE PREMIER.

dus à son expert.

La commune d'Essert-Romand paiera les honoraires

ARTICLE 2. L'arrêté ci-dessus visé du Conseil de préfecture est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

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OBSERVATIONS. La décision qui précède est conforme à une jurisprudence constante.

Avant 1864, aucune loi ni règlement ne permettait, soit au Conseil de préfecture, soit au Conseil d'État, de prononcer des dépens à la charge ou au profit de l'Administration, quelle que fût la nature des litiges portés devant eux.

Cette situation a été quelque peu modifiée par le décret du 2 novembre 1864, relatif à la procédure devant le Conseil d'État et dont l'article 2 porte que « les articles 130 et 131 du Code de procédure <«< civile sont applicables dans les contestations où l'Administration << agit comme représentant le domaine de l'État et dans celles qui sont

« relatives, soit aux marchés de fournitures, soit à l'exécution des << travaux publics, aux cas prévus par l'article 4 de la loi du 28 pluviôse << an VIII >>.

Bien que cette disposition ait été spécialement édictée pour le Conseil d'État, elle peut être, par analogie, étendue aux Conseils de préfecture pour lesquels le règlement des dépens devait, aux termes de la loi du 21 juin 1865 (art. 14), faire l'objet d'un décret et d'une loi ultérieurs qui n'ont pas encore été provoqués.

Mais il est certain que la contestation dont le Conseil de préfecture de la Haute-Savoie se trouvait saisi n'était pas de celles qui vise le décret du 2 novembre 1864, puisqu'elle n'intéressait ni le domaine de l'État ni le Trésor public.

L'Administration, qui ne poursuivait que ce qu'elle croyait être l'intérêt de la commune, ne pouvait être condamnée aux dépens. Chaque partie devait payer son expert, comme elle eût dû payer, en cas de tierce-expertise, la moitié des honoraires dus au tiers expert. (Ordonnances des 8 janvier 1836, 25 janvier 1839 et 20 novembre 1840.)

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No 35.- COUR DE NÎMES (1гe Chambre). - 5 JANVIER 1887.

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Forêt communale. - Exploitation de phosphates. Validité du contrat de - Compétence.

concession.

Le contrat par lequel une commune concède l'exploitation d'un gisement de phosphates existant dans une forêt communale est un contrat de droit civil, alors même qu'il a été passé en la forme administrative.

En conséquence, l'autorité judiciaire est compétente pour connaître des contestations auxquelles peut donner lieu ce contrat.

Il importe peu que la forêt soit soumise au régime forestier, l'Administration forestière n'étant, dans ce cas, investie que du droit de surveillance sur les extractions.

HARDISSON ET GASTAL C. COMMUNE DE SAINT-MAXIMIN.

Ainsi jugé dans des circonstances que fait connaître suffisamment l'arrêt dont la teneur suit :

LA COUR: Attendu que le maire de la commune de Saint-Maximin a assigné devant le tribunal d'Uzès Gastal et Hardisson, pour voir annuler pour défaut de consentement de la commune (art. 17 et 18 de la loi de 1837, 1108 du Code civil), l'adjudication tranchée en leur faveur, le 5 avril 1884, du droit d'extraire les phosphates de chaux gisant dans la forêt communale;

Attendu que les défendeurs ont opposé à cette demande une exception d'incompétence prise de ce que l'adjudication critiquée était un acte administratif dont la connaissance échappait à la juridiction ordinaire;

Attendu que s'il faut reconnaître que le bail d'extraction consenti le 5 avril 1884 l'a été dans la forme administrative, cette circonstance ne suffirait pas pour donner à l'acte le caractère d'acte administratif, si au fond il n'est qu'un acte de gestion ou d'aliénation par la commune d'un bien faisant partie de son domaine privé; que ce n'est pas à la forme de l'acte, mais à son objet, qu'il faut s'attacher pour apprécier s'il est régi par le droit commun et soumis à la jurisprudence des tribunaux civils;

Attendu, en fait, qu'un gisement de phosphate de chaux ayant été découvert dans la forêt communale de Saint-Maximin, et divers oblateurs s'étant présentés pour acquérir le droit d'en faire l'extraction, le maire prit la résolution de mettre aux enchères la concession du droit d'extraction pour une durée de neufs ans ;

Qu'à cet effet il dressa, le 10 mars 1884, un cahier des charges fixant à 6 francs la tonne, le prix à payer à la commune, et obligeant en outre l'adjudicataire à verser à la caisse municipale, pour être donnée aux inventeurs, la somme de 60,000 fr.;

Attendu que ce cahier des charges fut approuvé par le préfet le 11 mars 1884, et l'adjudication tranchée au profit d'Hardisson et Gastal, le 5 avril 1884, par le sous-préfet, assisté du maire et de deux conseillers municipaux de la commune de Saint-Maximin;

Attendu que, par cet acte, la commune aliénait pour un prix minimum de 8,000 francs par an, augmenté des 60,000 francs qu'elle déléguait à titre d'indemnité aux inventeurs, un bien à elle propre;

Que cet acte, qu'on le considère comme une vente ou comme un bail, constitue évidemment un contrat de droit civil régi par le droit commun et justiciable des tribunaux ordinaires;

Qu'il est vrai, le préfet a approuvé les clauses du cahier des charges et présidé, par son délégué, à l'adjudication; qu'en ce faisant, il a exercé la tutelle administrative à laquelle sont soumises les communes dans la gestion de leurs biens; que, pour s'être accomplie avec l'assistance de cette tutelle, l'adjudication du 5 avril 1884 n'a pas perdu son caractère de contrat de droit civil;

Qu'on ne saurait davantage soutenir que l'autorité judiciaire est incompétente parce qu'il s'agit d'extraction de phosphates à opérer dans une forêt communale soumise au régime forestier; qu'en effet, si l'Administration forestière est investie d'un droit de surveillance sur les extractions à opérer dans un bois soumis au régime forestier, art. 169 de l'ordonnance d'exécution du Code forestier, il n'en résulte nullement que les litiges concernant les baux d'extraction ressortissent à la juridiction administrative;

Que c'est dès lors à bon droit que le premier juge s'est déclaré compétent pour connaître de la demande ;

Par ces motifs,

Confirme.

Du 5 janvier 1887. - Cour de Nîmes (1re Chambre). M. Gouazé, 1er prés.

(Journal la Loi, du 27 septembre 1887.)

OBSERVATIONS.-L'exploitation d'un gisement de phosphates a été concédée dans une forêt communale soumise au régime forestier; postérieurement, la commune soutient que le contrat n'est pas valable, parce que le consentement n'a pas été donné conformément aux règles légales. Cette question de nullité, l'arrêt de Nîmes le reconnaît avec raison, est une question de droit civil, du ressort des tribunaux ordinaires, nonobstant l'intervention de l'autorité administrative dans la confection du contrat.

Dans l'espèce, la commune est-elle valablement engagée? Ce point n'était pas en discussion dans l'instance, et les circonstances de fait ne sont pas assez complètement développées dans le texte de l'arrêt pour qu'on puisse décider. Sans doute, l'adjudication a eu lieu à l'intervention du maire et de deux conseillers municipaux, avec un cahier des charges approuvé par le préfet, mais il semble bien que l'Administration forestière a été tenue à l'écart; l'autorisation requise par l'art. 144 C. for. pour que l'enlèvement puisse avoir lieu sans délit, n'aurait donc pas été donnée (Cpr. art. 169, ord. régl. et ord. du 4 déc. 1844 : « S'il s'agit des bois des communes et des établissements publics, l'autorisation est donnée par les maires ou administrateurs, sauf l'approbation du conservateur des forêts, qui règlera les conditions et le mode d'extraction. » C'est ce que devra décider le tribunal civil, sur le renvoi de la Cour, qui s'est bornée à statuer au sujet de l'exception d'incompé

tence.

No 36. CASS. CIV. 14 Janvier 1885.

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Les tribunaux civils, juges d'un débat, sont exclusivement compétents pour statuer sur une inscription de faux incident formée par l'une des parties en cause et par conséquent sur son admissibilité, alors même qu'il s'agirait d'un acte passé en la forme administrative (1) (L. 16-24 août 1790, tit. 2, art. 13).

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(1) Il y a des précédents de jurisprudence en sens contraire. V. Cass., 6 juillet 1810; 21 mai 1827; Douai, 6 juin 1853 (S. 1854, 2, 15. - P. 1855, 2, 317); Trib. de Grasse, 7 juin 1880, sous Cass. 12 déc. 1881 (S. 1882, 1, 353. - P. 1882, 1, 859).

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