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dit S. Auguftin; ne foiez point de ces hommes. parcffeux, froids & lâches qui ne pensent qu'à eux, & ne dites pas comme eux en vous-même: Qu'ai-je affaire de me mêler des pechez d'autrui ? Il me fuffit d'avoir foin de mon ame, & de la conferver pure devant Dieu. Quoi donc, ajoute ce Pere, ne vous fouvient-il point de ce ferviteur qui cacha le talent de fon maître, & qui ne voulut pas le faire profiter? Fut-il condanné pour. l'avoir perdu, & ne le fut-il pas au contraire pour l'avoir gardé fans en raporter aucun gain?

Il ne faut pas conclure de là, qu'il fuffit d'avoir quelques talens exterieurs pour se produire de foi-même, & pour s'ingerer dans les charges & dans les dignitez Ecclefiaftiques. Avec tous les talens imaginables il faut encore deux chofes, la vocation & la vertu. J. C. avoit tous les dons & toutes les graces du S. Efprit, & cependant il n'a point pris de lui-même la qualité de Pontife; & perfonne, dit l'Apôtre, ne fe doit élever à cet honneur, s'il n'y elt apellé de Dieu. C'eft lui qui Heb. si allume la lampe, & c'est lui qui la doit mettre fur le chandelier: & fi ce n'eft lui qui la place, elle ne fera pas recompenfée de la lumiére qu'elle aura répandue, mais elle fera punie de la temerité avec laquelle elle fe fera placée elle-même.

Et qu'on ne dife pas, qu'on ne va plus chercher, comme autrefois, les hommes habiles & vertueux, & que s'ils ne fe produifoient eux-mêmes, leurs talens demeureroient enfouis & inutiles. La vocation vient de Dieu, quoique par le ministére des hommes. Il eft toujours le Toutpuiffant, & il faura bien mettre dans fa vigne les ouvriers qu'il lui plaira. Celui qu'on n'envoie point, peut fe tenir cependant en repos, & apliquer au falut de fon ame toutes les lumiéres &

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toutes les graces dont il eft rempli. Il fe doit tenir trop heureux d'être en fureté dans le dernier rang de la Maifon de Dieu, & croire que Dieu épargne fa foibleffe, en ne l'expofant pas à tous les dangers qui acompagnent les charges de l'Eglife, & contre lefquels on ne fe peut foutenir que par une protection toute particuliere du Seigncur, mais qu'on n'a pas droit d'atendre de lui, quand ce n'eft pas par fon ordre qu'on eft dans le peril. Ce n'eft point là enfouir le talent, c'est atendre le commandement du maître, pour ne l'emploier que felon fa volonté. On condanne le ferviteur pareffeux & lâche, mais on condanne auffi le préfomtueux. Le ferviteur fidéle ne s'avance pas de lui-même, parce qu'il n'est pas fuperbe ; & il eft tout prêt de marcher quand on l'envoiera, parce qu'il n'eft pas paresseux.

La vertu n'est pas moins neceffaire que la vocation. Pour enfeigner aux autres la loi de Dieu, il faut favoir pratiquer ce qu'on enfeigne; pour relever ceux qui font tombez, il faut être debout; pour reconcilier les pecheurs avec Dieu, il faut être bien auprès de lui; enfin pour manier les chofes faintes, il faut être faint. Quelque vertu qu'on ait, dit S. Gregoire, on ne doit entrer dans le Ministere de J. C. qu'y étant contraint; & quiconque n'a point de vertu, ne doit jamais y entrer, quelque violence qu'on lui faffe. Ceux qui ont des talens fans vertu, les emploient & les font profiter, mais pour eux, & non pour lear maître. L'efprit de vanité, d'interêt & d'ambition qui les a pouffez dans l'Eglife, regne auffi dans toutes leurs fonctions, & fouille en eux les actions les plus faintes. Ils peuvent bien convertir des ames, & ils en font ravis à cause de l'honneur qui leur en revient; mais ils n'en feront pas

moins punis de cette ufurpation facrilege qu'ils font de l'emploi où Dieu ne les a pas apellez, & du profit que l'argent de leur maître, & non le leur, a fait entre leurs mains.

Les bons & fidéles ferviteurs travaillent quelquefois de toutes leurs forces, & ne voient aucun fruit de leur travail : mais J. C. les confole par ces paroles qu'il met en la bouche du maître de ce ferviteur pareffeux: Vous deviez donner mon argent aux banquiers, & je l'aurois retiré avec interêt. Ce n'eft que la parcffe que Dieu condanne en fes Miniftres, & non le fuccès de leurs travaux. Il veut qu'ils plantent & qu'ils arrofent, & il fe referve l'acroiffement. Il leur ordonne de panfer les malades, mais c'cft lui qui les guérit. Ils font donc de l'argent de leur Seigneur l'emploi qu'il leur ordonne d'en faire, & il en retire le fruit qu'il lui plaît; ils travaillent avec zele, parce qu'il leur eft commandé de travailler; fi c'eft avec fuccès, ils font humbles, & ne s'atribuent pas un fruit qu'ils favent bien ne venir que de Dieu; fi leur travail eft inutile à ceux qu'ils voudroient fervir, ils ne s'abatent point, étant affurez que la recompenfe de leur obéiffance & de leur fidélité ne peut être perdue.

Si les perfonnes que Dieu apelle au Ministere de fon Eglife, ne doivent pas enfouir les talens & les dons particuliers qu'ils ont reçus pour le service des autres, puifque Dieu leur en doit faire rendre comte, chaque fidéle, dit S. Gregoire, doit auffi prendre garde à l'ufage qu'il fait de tous les biens foit de la nature, foit de la fortune, foit de la grace que Dieu lui a mis entre les mains. Tout vient de Dieu, & tout doit être raporté à lui. L'autorité d'un pere fur les enfans & d'un maître fur fes ferviteurs, le moien que

les richeffes donnent de faire l'aumône, le credit qu'on peut avoir auprès des Puiffances toutes les bonnes qualitez foit de l'efprit, ou du corps, comme la force, la fanté, le bon fens, l'intelligence, &c. font autant de talens qu'il faut faire profiter, en les emploiant felon les defirs de Dieu. Le riche qui n'affitte pas le pauvre, le Superieur qui ne fait pas fervir & adorer Dicu par fes inferieurs; le favori qui n'emploie pas fon credit pour empêcher l'innocent d'être oprimé, ou pour le tirer de l'opreffion; ce font autant de ferviteurs infidéles qui ne raportent pas à leur Seigneur le profit qu'il atend de l'argent qu'il leur a donné. Tout peut fervir, & tout eft talent à une ame fidele. Celui-là même qui n'eft capable de rien, fait de fon incapacité un talent qui raporte à fon maître, s'il en eft plus humble, plus docile, moins entreprenant, &c. Soions feulement bons ferviteurs, & aimons celui que nous fervons; & nous trouverons moien d'emploier tout à son service, de tirer de tout l'acroiffement de fa gloire, & le falut de nos

ames.

Seigneur, à qui nous devons rendre comte de ce que nous avons reçû, & par confequent de tout ce qu'il y a de bien en nous, puifque c'est vous qui étes l'auteur de tout bien; ne nous donnez pas feulement les talens que nous devons faire profiter, mais donnez-nous encore le bon ufage de ces talens; ne permettez pas que la pareffe ou la crainte nous faffe cacher ce qui doit être public, ni que l'interêt ou la vanité nous faffe raporter à nous ce qui ne doit être emploié que pour votre gloire.

LE XVIII. MAI,

SAINT VENAN T. Semi-double.

Aint Venant étoit natif de Camerino, où il fouffrit un glorieux martyre à l'âge de quinze ans dans la perfecution de Dece qui commença l'an 250. Antiochus gouverneur de la ville, le fit foueter & charger de chaînes : on lui apliqua des lamples ardentes, & on le pendit la tête en bas, afin qu'il reçût la fumée du feu qu'on avoit allumé fous lui. Sa conftance convertit un Officier nommé Anaftafe, qui fut batifé dans l'eau, & peu après dans fon fang. On folicita encore Venant de facrifier aux Dieux; & parce qu'il refufa de le faire, on lui caffa les dents, & on le jeta dans un fumier. On l'expofa aux lions, qui ne lui firent aucun mal, & on le traîna fur les chardons & les épines. On le precipita du haut d'un rocher ; & parce que Dieu le fauva encore miraculeufement, on le traîna de nouveau dans des chemins fort rudes, où il fit fortir de l'eau d'une pierre, pour foulager la foif exceffive de fes bourreaux. Plufieurs devinrent par ce miracle les compagnons de fa foi, & en même tems de fa couronne, le Gouverneur aiant fait trancher la tête au Saint, & à tous ceux qu'il avoit convertis.

Combien de couronnes en une feule ! combien de martyrs pour un feul Martyr! Seigneur, quelle abondance de maux & de peines aux yeux des hommes ! quelle abondance de graces & de gloire aux yeux de vos Saints & de vos Anges!

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