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« Aujourd'hui, le payeur unique du département, c'est le trésorierpayeur général (qui remplit les deux fonctions attribuées autrefois au receveur général et au payeur), en vertu du décret du 21 novembre 1865 (art. 1o). Il suit évidemment de tout ce qui précède que le trésorierpayeur général a seul qualité pour recevoir, dans chaque département, les significations de l'opposition ou du transport sur les traitements des fonctionnaires de l'État. Cela est incontestable et est incontesté pour les traitements supérieurs à 2.000 francs.

« Il nous reste maintenant à savoir si la loi du 12 janvier 1895, en << disant dans son art. 6 que l'exploit de saisie-arrêt sera signifié au <«< tiers saisi ou à son représentant, préposé au paiement des salaires ou << traitements dans le lieu où travaille le débiteur saisi, » a abrogé la législation que nous venons d'étudier pour les traitements qui ne dépassent pas 2.000 francs. Voilà bien notre question.

<< Eh bien, nous le disons tout de suite, le silence gardé à cet égard dans les discussions qui ont eu lieu soit à la Chambre soit au Sénat rend une pareille abrogation bien peu vraisemblable. Nous ne reviendrons pas en détail sur les travaux préparatoires que nous avons relevés dans notre réquisitoire écrit et que M. le rapporteur vous a rappelés. Mais nous retenons seulement ceci : c'est que la formule de l'art. 6, dernier paragraphe, a pour origine une simple note commentant les derniers mots de l'art. 3 du projet de M. Jacquemart. Cet article, vous le savez, portait que « la saisie-arrêt serait autorisée en justice de paix, sur simple <«< cédule, sans frais, qu'il y eût titre ou non, par le juge de paix du can<«<ton où elle devait être pratiquée »? Quel était ce juge de paix ? La note disait que c'était celui du canton où s'acquièrent les salaires qu'il s'agissait de saisir-arrêter. D'après l'exposé des motifs, c'était celui du tiers saisi, c'est-à-dire le juge de paix du canton où se produit le salaire frappé de saisie-arrêt. La note et l'exposé des motifs étaient donc d'accord sur ce point.

<< Nous allons revenir dans un instant à cet exposé des motifs. Mais notons d'abord que, au moment où la discussion va s'engager à cet égard, il n'est question que des «< salaires des ouvriers ». Ce n'est que plus tard qu'on a introduit dans la loi « les appointements ou traitements des employés ou commis et des fonctionnaires ne dépassant pas 2.000 francs », et qui ne sont saisissables que pour un dixième comme les salaires des ouvriers et gens de service, mais ces derniers, quel qu'en soit le chiffre (art. 1er). Or, lors de cette discussion, M. Fré déric Grousset combattit la compétence du juge de paix du domicile du tiers saisi et réclama celle du juge de paix du domicile du débiteur, en

vertu, disait-il, des principes généraux de la procédure. Par parenthèse, c'était là une erreur, puisque ces principes, consacrés par l'art. 558, admettent la compétence de l'un et de l'autre. Mais cette erreur ne fut pas relevée, pas plus que l'interprétation donnée par la note aux mots << domicile du tiers saisi ». Seulement l'article fut renvoyé à la commission, et, en définitive, soit à la Chambre, soit au Sénat, la compétence exclusive du juge de paix du domicile du débiteur saisi fut admise. Quant à la disposition primitive elle disparut complètement, ainsi que le commentaire de la note, dans la première délibération.

« Ce n'est que sur l'amendement Chovet, présenté au Sénat entre les deux lectures et sans qu'aucune explication ait été fournie, soit devant la commission, soit dans un rapport supplémentaire, soit dans la discussion ultérieure des deux Chambres, que nous voyons apparaître la disposition qui est devenue le § 3 de l'art. 6. Or quelle peut être la portée d'une disposition ainsi improvisée, pouvons-nous dire, et, dans tous les cas, indiscutée? Son origine ne la restreint-elle pas. Peut-on croire que M. Chovet ait eu la pensée de proposer par sa formule l'abrogation de toutes les lois, de tous les règlements qui avaient reconnu comme valables et comme seules valables, les saisies-arrêts pratiquées entre les mains du payeur unique du département, c'est-à-dire du trésorierpayeur général? Peut-on croire que la Chambre et le Sénat aient voulu cette abrogation? Comment l'auraient-ils voulue, puisque personne n'a songé à exprimer cette volonté? On aurait donc fait de l'abrogation sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose?

<< Non, Messieurs, cela n'est pas admissible. Et pour avoir une idée très nette des préoccupations du législateur,il suffit de consulter l'exposé des motifs où, à propos de la question de compétence du juge de paix du domicile du tiers saisi, nous lisons ceci : « Par le juge de paix du << lieu du tiers saisi, il faut entendre le juge de paix du canton où se << produit le salaire frappé de saisie-arrêt. Cela est très important. Il << peut arriver, en effet, que le tiers saisi n'ait pas son domicile légal << dans la localité où est occupé l'ouvrier, que ce domicile en soit même <«< éloigné. Par exemple (retenez ceci, Messieurs), les compagnies de «< chemins de fer ont leur siège à Paris, et elles occupent en province <«< des milliers d'ouvriers et d'employés, sur lesquels très souvent sont << formées des oppositions. Dans l'esprit du projet de loi, le juge de paix

compétent pour autoriser la saisie-arrêt, en pareil cas, sera celui de la « localité où travaille l'ouvrier, parce que cet ouvrier et son fournis«seur pourront se rendre devant lui sans grand déplacement, sans << perte de temps et sans frais. »

« Vous le voyez, Messieurs, il ne s'agit là que de l'ouvrier. Et il importe peu, au point de vue que nous examinons en ce moment, que cette compétence du juge de paix du tiers saisi ait été abandonnée plus tard, pour y substituer exclusivement celle du domicile du débiteur saisi. Ce qui survit à l'article projeté, c'est la préoccupation des intérêts de l'ouvrier. Nous croyons donc avoir le droit de dire que c'est le souvenir de l'art. 2 de la proposition Jacquemart qui a inspiré M. Chovet. Comme M. Jacquemart, il a sans doute songé surtout aux compagnies de chemins de fer et à toutes autres grandes entreprises industrielles. Ces établissements ont des succursales en divers lieux, et M. Chovet a eu certainement la pensée de prévenir toutes les difficultés qui pourraient naître de la centralisation des saisies-arrêts au siège social, et de faciliter la comparution personnelle des parties, et surtout de l'ouvrier saisi, devant le juge de paix. Quant à l'établissement principal tiers saisi il a toujours un préposé, c'est-à-dire, pour employer l'expression de la loi, «< un représentant dans le lieu où se gagnent les salaires, où travaille le débiteur saisi ». On est ainsi certain, d'une part, que la saisiearrêt aura son effet utile, et, d'autre part, que la procédure sera plus facilement suivie par toutes parties. Or, c'est là le double but de la loi. Il est ainsi toujours atteint.

<< Mais si l'on applique cette règle aux traitements dus par l'État aux fonctionnaires, ce que nous avons dit précédemment prouve que le but principal, qui consiste à assurer l'effet de la saisie-arrêt, pourrait souvent ne pas l'être, et cela devrait suffire pour justifier notre pourvoi.

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Cependant le mot « traitement » a été inséré dans l'art. 6, et c'est maintenant qu'il faut serrer la question de plus près et nous demander si le § 3. de cet article, introduit dans la loi sans le moindre commentaire, a pu avoir pour résultat d'abroger, sur le point dont s'agit, les règlements antérieurs de notre administration financière. Nous sommes convaincu qu'il n'en peut être ainsi.

« Il y en a une première raison. C'est que ce paragraphe trouve tout naturellement une application suffisante pour les saisies-arrêts pratiquées sur les traitements de tous fonctionnaires autres que les fonctionnaires de l'État. Et comme ces mots fonctionnaires de l'État ne se trouvent nulle part dans la loi, il est permis d'affirmer que cette catégorie de fonctionnaires reste en dehors de ses prévisions, du moins pour la procédure de saisie-arrêt, qui se trouvait régie, au moment où elle a été faite, par des dispositions spéciales.

<«< Faut-il citer les fonctionnaires aux traitements desquels s'applique sans difficulté ce paragraphe? Voici, entre autres, les fonctionnaires

rétribués en tout ou en partie sur les fonds départementaux. Voici encore tous les fonctionnaires communaux, que le maire a le droit de nommer, de suspendre et de révoquer, voici le receveur municipal, le préposé en chef de l'octroi, le personnel de la police municipale et rurale, les gardes des bois de la commune (art. 136, nos 5 et 6,de la loi du 5 avril 1884). Voici encore, même depuis que la loi du 19 juillet 1889 a mis à la charge de l'État leurs traitements, les fonctionnaires de l'instruction. primaire, en ce qui concerne les suppléments de traitement figurant dans la loi sous le nom d'indemnité départementale, d'indemnité de résidence ou de suppléments communaux pour études surveillées (art. 12, 23 et 25 de cette loi), etc.

« Cette observation faite (et elle nous paraît importante), achevons notre démonstration.

« L'Administration des finances croit pouvoir puiser un argument dans l'avis du Conseil d'État du 12 mai 1807, approuvé par l'empereur le 1er juin suivant. Cet avis a décidé que l'art. 1041 C. pr. civ., en abrogeant «toutes lois, coutumes, usages et règlements relatifs à la procé<< dure civile », n'avait pas abrogé les règles de procédure intéressant spécialement les administrations publiques. Nous n'en argumentons pas, quoique le décret du 18 août 1807 ait fait application de cet arrêt à la matière même qui nous occupe, et rappelé ce principe que, « pour les <«< affaires qui intéressent le gouvernement, il a toujours été regardé «< comme nécessaire de se régir par des lois spéciales, soit en signifiant «< la procédure, soit en produisant des formes différentes ». Et pourquoi n'aurons-nous pas recours à cet argument? Parce que, comme on vous l'a déjà fait remarquer, le Code de procédure est une loi générale, et que, d'après des principes constants, cette loi générale ne pouvait tacitement abroger les lois régissant des matières spéciales, à moins que l'intention contraire ne résultât d'une façon évidente de l'objet ou de l'esprit de ce Code, ce qui n'est pas, malgré la formule de l'art. 1045. Pour abroger une loi spéciale, il faut, en principe, une nouvelle loi spéciale. <«< Et alors la véritable question qu'il faut se poser est celle de savoir si la loi de 1836, l'ordonnance de 1838 et le décret du 18 mai 1862, qui sont des lois spéciales, ont été abrogés par la loi du 12 janvier 1895, qui est aussi une loi spéciale. Or, l'art. 17 de cette loi n'a abrogé les lois et décrets antérieurs «< qu'en ce qu'ils ont de contraire ». Nous n'avons donc plus qu'à rechercher si l'art. 8, § 3, de la loi de 1895, relatif aux traitements, est contraire à l'art. 13 de la loi de 1836 et aux autres règlements qui régissent notre administration financière. C'est le seul point que nous ayons à examiner aujourd'hui, laissant de côté et réser

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vant, suivant nos habitudes, toutes autres questions que peut soulever et qu'a même déjà soulevées l'application de cette loi, notamment celle qu'a tranchée le jugement du juge de paix du Blanc du 27 novembre 1895, que nous avons mentionné dans notre réquisitoire écrit.

<< S'il y a incompatibilité, il faudra reconnaître l'abrogation. Mais si la conciliation est possible, il faudra la nier.

<< Eh bien! Messieurs, à notre avis, non seulement la conciliation est possible, mais encore les termes mêmes de l'art. 6, § 3, appliqués au cas qui nous occupe, condamnent la thèse du jugement. Pourquoi ? Parce que, contrairement à ce que dit le jugement, le percepteur, entre les mains duquel la saisie-arrêt a été faite, « n'est pas le représentant du tiers << saisi préposé au paiement... des traitements dans le lieu où travaille « le débiteur saisi ». Et il en est de même, disons-le immédiatement, des receveurs particuliers et autres préposés aux caisses de l'État.

<< Pour le prouver, il suffit d'abord de rappeler tout ce que nous avons dit sur l'organisation financière de notre pays, telle qu'elle est réglée par la législation antérieure à la loi de 1895, et puis de remarquer que cette législation est incontestablement en vigueur pour toutes créances sur l'État appartenant aux entrepreneurs de travaux publics, aux fournisseurs, etc..., et même pour les traitements supérieurs à 2000 francs. De telle sorte que, si la thèse du jugement pouvait triompher, il faudrait nécessairement remanier notre organisation financière et établir, à côté de la réglementation ancienne, une autre réglementation toute spéciale pour les saisies-arrêts pratiquées sur des traitements ne dépassant pas 2.000 francs. Cela n'est guère admissible.

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<< Mais enfin, que résulte-t-il des lois spéciales qui régissent la matière? Le voici lorsqu'une saisie-arrêt est opérée sur le traitement d'un fonctionnaire, quel est le tiers saisi? Évidemment c'est l'État. Quel est son mandataire, «son représentant préposé au paiement du traitement»? Évidemment, c'est le trésorier-payeur général, et lui tout seul. Car c'est sur sa caisse que le mandat de paiement est délivré, parce qu'il a seul la qualité légale de payeur. Sans doute, il n'a pas le droit de modifier la somme portée au mandat par l'ordonnateur (ministre ou préfet, suivant les cas). Mais s'il a une opposition en mains, il peut et doit fixer la somme à payer au fonctionnaire, et consigner la somme saisissable, pour faire face à l'opposition.

<< Maintenant, de deux choses l'une. Ou bien le fonctionnaire voudra se faire payer par sa caisse, et alors il paiera lui-même; ou bien le fonctionnaire préférera se faire payer à la caisse du percepteur, du receveur particulier, etc..., et alors le trésorier-payeur général mettra le « Vu

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