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susrapporté de la Cour de Poitiers décide à bon droit que cette thèse est contraire au texte et à l'esprit des lois du 21 avril 1810 et 27 juillet 1880. L'art. 43 modifié (§§ 2 et 3) prévoit deux hypothèses et ouvre deux actions au propriétaire du sol l'occupation n'est que passagère, le sol peut être remis en culture au bout de l'an, comme il l'était auparavant; en ce cas, le propriétaire n'a qu'une action en indemnité. Si la non-jouissance du propriétaire se prolonge au-delà d'un an, ou si, après les travaux, la nature du terrain est tellement changée qu'il ne puisse être remis en culture comme auparavant, alors le droit du propriétaire va jusqu'à pouvoir forcer la mine à acquérir le sol occupé. Aux deux cas, les sommes à payer doivent être calculées au double. Il fallait bien permettre à la mine, entreprise d'utilité publique, d'empiéter Sur la propriété d'autrui puisqu'elle est enclavée, par la nature des choses; par suite il fallait bien imposer une servitude à la propriété du sol; mais on a trouvé une compensation par l'établissement de ces sommes doubles, fait exorbitant dont nos lois n'offrent pas d'autre exemple, pas même celle sur l'expropriation.

C'est un forfait d'un genre particulier. Telle est l'économie de la loi, très simple d'ailleurs. D'où la conséquence, a priori, qu'un concessionnaire occupant ne peut être astreint à payer au delà de l'une ou l'autre de ces indemnités doublées; que, ces indemnités ne se cumulant pas, et qu'après avoir payé l'une ou l'autre suivant l'hypothèse, il est délivré de toute obligation. Dans la situation créée par la première hypothèse, l'indemnité est établie à cause et en face des « travaux entrepris» qui ont déjà « détruit l'état de culture ». On ne s'explique pas comment, dans cette situation, il pourrait être alloué au propriétaire un chiffre d'indemnité supérieur à celui fixé à forfait par la loi. Par ce paiement la mine est libérée.

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Dans la situation créée par la deuxième hypothèse, le paiement du double prix d'acquisition libère de même l'occupant, qui devient à tout jamais maître du sol, comme le serait un acquéreur ordinaire. Mais le droit donné au propriétaire de forcer à l'acquisition au double n'est qu'une faculté dont il peut ne pas user. Il peut préférer garder son sol, c'était le cas dans l'espèce soumise à la Cour de Poitiers. Il arrive ainsi qu'il se place volontairement dans la première hypothèse qui se trouve perpétuée pour lui d'année en année, jusqu'à ce qu'il change d'opinion; et la situation ne peut être réglée que comme il vient d'être dit, par l'indemnité pure et simple du double produit. On ne peut s'expliquer davantage une indemnité supplémentaire. Ce propriétaire a fait son option. Il ne veut pas du double prix; qu'il se contente alors du double produit. Cette interprétation s'impose. Le tribunal distinguait deux indemnités de nature différente, l'une se rapportant à la dépossession et à la privation de jouissance, et l'autre à l'endommagement du sol. Il y avait là une erreur singulière. L'art. 43 ne distingue pas. Pourquoi suppléer à son silence très expressif? Non seulement il ne distingue pas, mais il résulte, au contraire, de l'étude attentive de son texte que, si le législateur a fixé des indemnités au double, c'est en prévoyant l'endommagement du sol. La preuve en est dans les membres de phrases: «..... sol qui ne peut plus être mis en culture >> exécution de travaux qui rendent cette culture impossible... » - « terrain endommagé... << la pièce de terre trop endommagée ou dégradée. » Dans le même ordre d'idées, on trouve encore un argument dans le § 5, ainsi conçu : « Le terrain à acquérir sera toujours estimé au double de la valeur qu'il avait avant l'occupation ». Avant l'occupation... C'est à ce moment qu'il faut remonter pour estimer la valeur du terrain. La loi a donc prévu la dépréciation que le terrain a subie dans l'intervalle. En effet, en peut-il être autrement? Et comment distinguer? Une mine occupe pour endommager, toute occupation suppose la dénaturation absolue du sol. Conçoit-on une mine qui se ferait administrativement autoriser dans le but de laisser le terrain dans son état de culture? On tombe dans l'absurde. De sorte qu'en fixant une indemnité particulière en cas d'occupation, la loi l'a fixée nécessairement en raison des conséquences fatales que cette occupation entraîne avec elle, et qui sont la dénaturation du sol. La distinction faite par le tribunal est inadmissible. De même, le dommage ne peut se dédoubler. Il ne tient pas à la circonstance que le terrain a perdu sa nature, il n'est pas augmenté par la plus ou moins grande dénaturation du sol; il tient à ce que la jouissance en est enlevée à son propriétaire

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Non bis in idem. Le Tribunal disait pour justifier sa théorie qu'« en cas de vente de la propriété partiellement occupée les consorts de Chantreau subiraient immédiatement la perte occasionnée par les dégradations. » La Cour de Poitiers avec raison a écarté cet argument. L'acquéreur entrera en possession de parcelles de prés ou terres arables qui lui rendront un revenu double; est-ce une cause de diminution dans la valeur vénale ? Faut-il trouver une cause de dépréciation dans le droit qu'aura toujours cet acquéreur de requérir leur acquisition à prix double? Sans doute, en thèse générale, une servitude est une gêne; celle-là au moins est largement payée, quel propriétaire rural ne voudrait à ce prix en supporter une semblable? Enfin, cette servitude n'est que temporaire, et l'acquéreur aux droits de ses vendeurs pourra exiger un jour la remise en état de ce terrain comme il était avant l'occupation Cette dernière observation nous entraine à un autre genre de considération. On voit, à la lecture de l'art. 43, que la loi suppose que les terrains occupés peuvent être ou ne pas être remis en état de culture au bout d'un (an § 2) ou après l'exécution des travaux (§ 3). Le propriétaire n'est ainsi assujetti qu'à une servitude temporaire; il doit retrouver son terrain tel quel. Ce n'est qu'à cette condition de la remise en état que la mine pourra s'affranchir de l'une ou l'autre de ses obligations, comme nous l'avons dit, suivant l'option du propriétaire. De même que le propriétaire a le droit d'exiger cette remise en état, de même la mine a le droit corrélatif d'y procéder, afin de se libérer. Il faut bien tenir compte de ce droit de la mine, et il faut bien en même temps le rapprocher de ce principe incortesté d'après lequel des indemnitės ne peuvent être allouées que pour un dommage actuel, certain, définitif, permanent. Ici le dommage n'est qu'éventuel. Ce n'est donc qu'à la fin de l'occupation qu'il faut se placer pour faire payer à la mine un supplément d'indemnité, le cas arrivant d'une remise en état impossible et incomplète. A ce moment s'ouvrira éventuellement le droit du propriétaire; avant ce moment il n'est pas né : l'allocation du double produit suffisant à l'indemniser dans l'intervalle comme il a été dit. Le jugement disait encore: «< Attendu qu'on ne saurait imposer arbitrairement au propriétaire l'obligation d'attendre que l'occupation ait cessé, courant les risques d'une insolvabilité de la compagnie concessionnaire ». L'argument est inopérant. Le propriétaire, en pareil cas, a, comme garantie, les installations de la mine et la mine elle-même. Il peut se faire qu'il ait même un privilège, le cas est discuté. En tout cas, il peut user du bénéfice offert par l'art. 15 de la loi de 1810 et demander caution. Le risque disparait donc. Le jugement ajoutait : « Attendu que le propriétaire peut, s'il le préfère, conserver son fonds, sans perdre le bénéfice du droit commun qui lui permet de réclamer la réparation du préjudice... » Il y avait là une pétition de principe. En effet, la question est précisément de savoir si, en conservant son fonds, le propriétaire peut invoquer le bénéfice du droit commun. C'est le point qu'il s'agit d'établir. Or nous sommes dans une matière spéciale, dans une loi d'exception. Le droit commun le cède à la loi spéciale. Le droit commun n'allouerait qu'une indemnité simple. Le propriétaire ne peut jouir à la fois de ces deux droits, l'un remplaçant l'autre. Il faut remarquer d'ailleurs qu'il n'y a, à ce point de vue, aucun argument à tirer du dernier paragraphe de l'art. 43. M. Brossard, rapporteur de la loi de 1880, explique, dans son rapport, que cette addition à l'ancien texte des art. 43 et 44 a été faite uniquement dans le but de faire cesser une vieille controverse, et se réfère, non pas aux dommages causés par les travaux exécutés à la surface en suite d'occupation, mais aux dommages qui sont la conséquence de l'exploitation souterraine; ceuxlà ne se paient qu'au simple (V. extrait du rapport, D. 81.4.34 en note). La théorie du tribunal de Niort conduirait aux conséquences suivantes : - 1o elle priverait la mine du droit de remise en état. Un considérant le dit en propres termes. 2o Elle priverait de même le propriétaire du droit d'exiger cette remise, puisqu'il est indemuisé d'avance. - 3° En outre, les installations de la mine se modifient incessamment et avec elles la prétendue dépréciation du sol. Faudra-t-il au fur et à mesure augmenter (ou diminuer) l'indemnité supplémentaire ? — 4o Nous avons vu comment la loi, dans le forfait qu'elle établit, fixe deux modes de libération pour la mine le paiement du double produit ou le paiement du double prix. Mais l'un ou l'autre, pas les deux à la fois. Or la dépréciation n'étant autre chose qu'une moins-value de l'immeuble, une partie de sa valeur vénale, le sys

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tème du tribunal amènerait à ce résultat que la mine paierait à la fois sous le premier mode et sous le second. 5o Le propriétaire peut changer d'avis et demander un jour (lui on son acquéreur) l'acquisition au double. Comment exercer ce droit, si déjà le propriétaire a reçu, avec l'indemnité de dépréciation, une part plus ou moins considérable de la valeur de la chose ! De même, nous avons dit, avec le 5 de l'art. 43, que c'était avant l'occupation qu'il fallait se placer pour estimer la valeur des terrains à acquérir..... Comment faire, si déjà le propriétaire a reçu des indemnités de moins-value? Seront-elles acquises à ce propriétaire? En fera-t-on au contraire la déduction? La théorie écartée par la Cour modifie la loi en substituant des calculs très compliqués à une réglementation très simple posée par elle par son forfait. 6o Supposons qu'une mine occupe dans son entier une propriété rurale et qu'elle en paie le double produit... Avec la théorie du tribunal, le propriétaire pourra encore par surcroit se faire payer des indemnités de moins-value. — Mais la loi lui parle de double disposition remarquable, précise, étudiée, il va arriver que ce propriétaire recevra le triple, le quadruple, le décuple. Est-il possible vraiment de supposer que des réglementations aussi singulières soient entrées dans la prévision du législateur de 1810 ? N'est-il pas plus juste au contraire de penser qu'il a voulu prévenir toutes contestations en établissant son forfait au double? Pour toutes ces raisons, la thèse du tribunal de Niort est condamnable. Elle contredit la loi dans son texte, dans son esprit ; elle viole aussi l'équité. La question était entière. La doctrine ne s'en est jamais occupée. Les auteurs l'ont étudiée lorsque les prétentions du propriétaire étaient d'obtenir des indemnités supplémentaires pour le surplus de leur héritage, mais ils n'ont pas imaginé que ce propriétaire, recevant le double produit de parcelles occupées, puisse obtenir en outre des indemnités de dépréciation pour les mêmes parcelles. Quant à la jurisprudence, elle n'offre aucune décision ayant résolu directement la question. V. Labori et Schaffhauser, Rép. encycl. du Dr. fr., v° Mines. Comp. Cass., 27 janvier 1885 (Gaz. Pal., 83.1.429).

N° 7.-COUR D'APPEL DE PARIS (2 Ch.).—7 Novembre 1895.

Servitudes. Passage. Enclave.

Fonds contigu à des routes forestières. Tolérance de l'Administration forestière pour le passage des riverains.

La demande tendant à faire fixer l'exercice d'une servitude de passage dans les termes de l'art. 682 C. civ. impose au demandeur l'obligation d'établir l'existence de l'enclave d'où résulterait son droit à cette servitude.

Spécialement, il n'y a pas enclave lorsque le fonds au profit duquel la servitude est réclamée est contigu à deux routes forestières qui aboutissent à un chemin de grande communication, encore bien que le caractère qui appartient à ces routes, comme dépendant du domaine forestier, les place en dehors du régime des chemins publics, et que la loi, en prévision d'un dommage illicite, frappe d'une amende le fait du passage avec chevaux et voitures sur les chemins des forêts, si, en fait, il existe, de la part de l'Administration forestière, une tolérance pour le passage des riverains.

LA COUR:

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LAMBERT c. VEUVE QUILLET.

Statuant sur l'appel interjeté par Lambert du jugement du Tribunal civil de Rambouillet du 23 juin 1893:

Considérant que la demande tendant à faire fixer l'exercice d'une servitude

de passage dans les termes de l'art. 682 C. civ, impose au demandeur l'obligation d'établir l'existence de l'enclave d'où résulterait son droit à cette servitude;

Considérant que le fonds au profit duquel la servitude est réclamée est contigu à deux routes forestières, lesquelles aboutissent au chemin de grande communication no 61 de Rambouillet à Houdan;

Considérant que si le caractère qui appartient à ces routes, comme dépendant du domaine forestier, les place en dehors du régime des chemins publics, et si la loi, en prévision d'un dommage illicite, frappe d'une amende le fait du passage avec chevaux et voitures sur les chemins des forêts, il n'en résulte pas qu'il ne puisse exister, de la part de l'Administration forestière, une tolérance pour le passage des riverains; qu'il est établi par les justifications produites. au cours des débats que ce passage s'exerce librement par les riverains pour l'exploitation de leurs terres dans les chemins forestiers en bordure et s'exerce ainsi spécialement dans les chemins dont s'agit, sous les yeux des agents de l'Administration qui l'autorise, à charge par ceux qui y ont recours de réparer les dégradations qu'ils auraient causées; qu'il n'existe donc pas pour les riverains une impossibilité actuelle de communiquer avec la voie publique, ni par suite, pour eux, la nécessité d'emprunter un passage sur les fonds voisins, sous prétexte d'enclave qui n'existe pas; que, par suite, la demande n'est pas justifiée dans les termes de l'art. 682;

Considérant, d'autre part, que l'art. 684 relatif au résultat des ventes ou partages de terrains est sans application à la cause, puisqu'il suppose l'enclave aussi bien que les articles précédents; que, quant aux faits articulés concernant l'exercice du passage, ils sont inadmissibles lorsqu'il s'agit d'une servitude discontinue qui n'est pas susceptible de s'acquérir par prescription;

Par ces motifs, et adoptant ceux des premiers juges;

Sans qu'il y ait lieu de recourir à la preuve offerte, et sans s'arrêter ni avoir égard à toutes les demandes, fins et conclusions de l'appelant dans lesquelles il est déclaré mal fondé, et dont il est débouté;

Met l'appellation à néant; ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet;

Condamne l'appelant à l'amende et aux dépens.

Présidence de M. Hua. M. Chérot, subst. du proc. gén. boul et Ledert, av.

M. Re

Note. Jugé à maintes reprises dans le même sens que le propriétaire d'un fonds qui use, pour l'exploiter, d'un libre passage sur un fonds voisin, ne peut, sous le prétexte que ce passage n'est que de pure tolérance, réclamer à titre d'enclave, un autre passage sur un héritage voisin, tant que celui dont il se sert ne lui est pas contesté: Cass., 30 avril 1835 (S. 35.1.7011; 27 février 1839 (S. 39. 1.493); Colmar, 10 mai 1831(D. 33.2.51); Chambéry, 13 mars 1882 (Gaz. Pal., 83.1. 34); Trib. civ. Provins, 30 novembre 1893 (Gaz. Pal., 94.1. supp. 21).-Sic: Demolombe, t. II, no 606; Aubry et Rau, t. III, § 343, p. 27; Laurent, t. VIII, no 77. V. cependant contra: Gavini, t. II, no 961.

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COUR DE CASSATION (Ch. civile). - 13 Novembre 1895.

Expropriation pour cause d'utilité publique.
nion. Décision. Nullité.

Juré.

Manifestation d'opi

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La décision du jury d'expropriation est nulle lorsqu'au cours des débats un juré a prononcé des paroles faisant indirectement connaître son opinion sur la valeur du terrain exproprié.

LA COUR

GUILLAUD ET AUTRES C. PRÉFET DE L'ISÈRE

Sur le premier moyen du pourvoi:

Vu l'art. 36 de la loi du 3 mai 1841;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal des opérations du jury qu'au cours des débats de l'affaire et au moment où l'avocat des expropriés demandait que les arbres complantés sur le terrain exproprié fussent réservés à ses clients en sus de l'indemnité en argent qu'ils réclamaient, un des jurés siégeant dans la cause a prononcé à haute voix les paroles suivantes : « Les arbres valent mieux que le terrain >> ;

Attendu que ces paroles faisaient indirectement connaître l'opinion de ce juré sur la valeur du terrain exproprié; que, dès lors, elles contrevenaient à la règle qui prescrit aux jurés l'impartialité dans l'accomplissement de leur mission; d'où suit la violation de l'article susvisé;

Par ces motifs et sans qu'il soit besoin de statuer sur le deuxième moyen du pourvoi :

Casse la décision du jury d'expropriation de Saint-Marcellin, du 25 avril 1895.

Présidence de M. Mazeau, premier président. Laguérie, rapp.; Desjardins, av. gén.

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MM. Villetard de

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En matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, les termes du serment prescrit par l'art. 36 de la loi du 3 mai 1841 sont exclusifs de toute modification dont le résultat serait de changer la substance du serment.

Spécialement, la décision du jury est nulle lorsque les procèsverbal des opérations constate que le serment prêté par les jurés a été de bien et consciencieusement remplir le mandat à eux confié.

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