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pour violation des règles de la compétence et fausse application de l'art. 182 C. forest., sur quoi la Chambre criminelle a statué le 30 mai en ces

termes :

LA COUR,

Sur le moyen unique du pourvoi, pris de la violation des règles de la compétence et de la fausse application de l'art. 182 C. forest., en ce que l'arrêt attaqué, au lieu de statuer de plano sur la prévention, s'est déclaré incompétent pour apprécier la légalité d'actes administratifs qui ne présentaient ni obscurité ni ambiguïté, et en a renvoyé préjudiciellement l'interprétation à l'autorité administrative:

Attendu, en fait, que le préfet de Maine-et-Loire a pris, à la date du 5 mai 1894, un arrêté autorisant de Russon, lieutenant de louveterie de l'arrondissement de Baugé, à organiser, sous la surveillance des agents forestiers et de la gendarmerie, deux battues pour la destruction des sangliers dans la forêt de Chalonnes et, par extension, dans les communes de Chalonnes, Dourzé et Chigné, avec faculté de s'adjoindre, pour ces opérations, le nombre de personnes de son choix qu'il jugerait utile;

Attendu que, par une première lettre, en date du 5 mai 1894, adressée au sous-préfet de Baugé avec une ampliation dudit arrêté, le préfet explique et complète ainsi qu'il suit la disposition de son arrêté concernant la surveillance des battues par les agents forestiers: « L'art. 1er porte que ces battues devront avoir lieu sous la surveillance des agents forestiers et de la gendarmerie. Ce devoir de surveillance des battues par les agents de l'Administration forestière résulte tant des termes que de l'esprit de l'arrêté du 19 pluviôse an V et de l'ordonnance de 1814... Il suffit, d'ailleurs, qu'ils aient été dùment informés de la date et du lieu de la battue en temps utile »; que, par une seconde lettre, en date du 10 mai 1894, également adressée au sous-préfet de Baugé, le préfet détermine en ces termes le sens et la portée de son arrêté, en ce qui concerne l'emploi des chiens dans les battues :

<«< L'emploi des chiens dans les battues n'a pas plus besoin d'être spécifié dans les autorisations que l'emploi des armes à feu. Ce sont des mesures implicitement indiquées comme indispensables pour assurer la bonne réussite de l'opération; >>

Attendu qu'en exécution de l'arrêté et des deux lettres explicatives précitées une battue a été effectuée, le 12 mai 1894, dans les bois de de Talhouët, et qu'à la suite d'un procès-verbal dressé par son garde particulier et constatant que cette battue avait eu lieu avec l'emploi de chiens courants et sans l'assistance effective des agents forestiers, le demandeur, agissant en qualité de partie civile, a fait citer de Russon, Cordelet et Hubé en police correctionnelle sous la prévention de chasse sur le terrain d'autrui sans le consentement du proprićtaire;

Attendu que le préfet de Maine-et-Loire ayant, sur cette poursuite, élevé un déclinatoire tendant à l'incompétence de l'autorité judiciaire, par le motif que les prévenus n'avaient fait que se conformer à l'arrêté préfectoral du 5 mai 1894 et aux instructions contenues dans les deux lettres qui avaient suivi cet arrêté, le tribunal correctionnel de Baugé et, après lui l'arrêt attaqué, tout en main

tenant la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur le fond du litige, ont déclaré qu'il y avait lieu, prejudiciellement, d'interpréter les instructions préfectorales qui constituaient des décisions administratives, que l'autorité judiciaire était incompétente pour se livrer à cette interprétation et que, par suite, il y avait lieu de surseoir à statuer au fond jusqu'à ce que cette interprétation eût été donnée par l'autorité administrative compétente;

Attendu, en droit, que, s'il est vrai que l'autorité judiciaire, lorsqu'elle se trouve en présence d'actes administratifs dont le sens et la portée sont obscurs et ambigus, doit surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité compétente les ait interprétés et expliqués, cette règle ne saurait recevoir d'application lorsqu'il s'agit d'actes dont les dispositions ne présentent ni obscurité, ni ambiguïté; que, dans ce dernier cas, en effet, il ne s'agit plus d'une question d'interprétation, mais de l'appréciation à faire au point de vue légal, et dans leur rapport avec la loi pénale, d'actes ayant par eux-mêmes un sens clair et précis ; que cette appréciation est du ressort de l'autorité judiciaire;

Attendu, dans l'espèce, que les instructions du préfet complétant son arrêté du 5 mai 1894 et faisant corps avec ledit arrêté, ne pouvaient prêter à aucune ambiguïté, qu'il en résultait que les battues autorisées par lui pour la destruction des sangliers pouvaient avoir lieu avec l'emploi des chiens et que, si la surveillance de ces battues par les agents de l'Administration forestière était prescrite par l'arrêté du 19 pluviôse an V, il suffisait pour la régularité desdites battues que les agents de cette Administration eussent été dùment informés, en temps utile, de la date et du lieu de ces battues; que l'unique question soumise aux juges correctionnels, lesquels étaient seuls compétents pour la résoudre, était donc de savoir si, ainsi que le soutenaient les prévenus, la battue, dans les conditions où elle avait été effectuée, était régulière et légale, ou si, au contraire, ainsi que le prétendait la partie civile, elle n'avait pas, par suite de l'emploi des chiens et de l'absence des agents forestiers, bien qu'ils eussent été dùment appelés, été faite en violation des prescriptions de l'arrêté du 19 pluviôse an V, et si, par suite, elle ne constituait pas le délit prévu et puni par l'art. II 22 de la loi du 3 mai 1844;

Attendu qu'il suit de là que l'arrêt attaqué, en déclarant qu'il y avait lieu d'interpréter les instructions administratives dont s'agit, et en ordonnant qu'il serait sursis à statuer au fond jusqu'à ce que cette interprétation eût été donnée par l'autorité administrative, a méconnu les règles de sa propre compétence et formellement violé par fausse application l'art. 182 C. forest.;

Par ces motifs,

Casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers, Chambre correctionnelle, du 27 octobre 1894, et, pour être statué à nouveau sur l'appel interjeté par de Talhouët du jugement du Tribunal correctionnel de Baugé, du 16 juillet 1894, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Rennes.

MM. Sevestre, rapp.; Sarrut, av. gén. M. Sabatier, av.

La Cour d'appel de Rennes, statuant comme cour de renvoi, a rendu, le 20 novembre 1895, l'arrêt suivant:

LA COUR

Considérant qu'aux termes de son arrêté, en date du 5 mai 1894, le préfet

de Maine-et-Loire avait autorisé le sieur de Russon, lieutenant de louveterie de l'arrondissement de Baugé, à faire deux battues au sanglier dans la forêt de Chalonnes, et par extension dans les communes de Chalonnes, Denezé et Chigné, et ce, sous la surveillance des agents forestiers et de la gendarmerie, et à la condition notamment de prévenir le service forestier et la gendarmerie au moins vingt-quatre heures à l'avance du jour et du lieu des opérations;

Considérant que dans une lettre du 5 mai, accompagnant l'ampliation de cet arrêté, adressée au sous-préfet de Baugé, le préfet de Maine-et-Loire, après avoir rappelé que les battues devaient avoir lieu sous la surveillance des agents forestiers et de la gendarmerie, ajoutait. « Il suffit, d'ailleurs, qu'ils aient été dûment informés de la date et du lieu de la battue en temps utile ; » que, dans une seconde lettre du 10 mai, répondant à des questions que lui avait posées son subordonné, le préfet disait que l'emploi des chiens dans les battues n'avait pas plus besoin d'être spécifié dans les autorisations que celui des armes à feu;

Considérant que, le 8 mai, de Russon écrivit au garde-brigadier de la forêt de Chandelais en l'invitant à assister à la battue qui devait avoir lieu le 12 mai, à Chalonnes, et, en cas d'empêchement, à s'y faire représenter;

Considérant qu'au jour fixé une vingtaine de personnes armées de fusils prirent part à la battue et que, vers onze heures du matin, le nommé Chopin, garde particulier du marquis de Talhouët, ayant rencontré MM. de Russon, Cordelet et Hubé en action de chasse dans la forêt de Bareilles, dressa procèsverbal du fait, constatant que l'on chassait à l'aide de trois rabatteurs et de quatre chiens courants, qu'un piqueur appuyait de la voix et de la trompe, et qu'aucun agent forestier n'assistait à la battue, lequel procès-verbal a été régulièrement affirmé et enregistré ;

Considérant que les trois prévenus ont été cités devant le Tribunal correctionnel de Baugé à la requête du marquis de Talhouët, qui forma contre eux une demande en 100 francs de dommages-intérêts; mais que le Tribunal, faisant droit au déclinatoire présenté par le préfet, décida qu'en présence de l'arrêté du 5 mai et des deux lettres qui l'ont suivi, il y avait lieu à interprétation d'actes administratifs, se déclara incompétent à cet effet, et, tout en restant saisi de la cause, renvoya les parties devant l'autorité compétente pour l'interprétation particulièrement des deux lettres ci-dessus ;

Considérant que, soit qu'on envisage ces lettres comme des actes administratifs au même titre que l'arrêté lui-même et comme faisant corps avec lui, soit qu'on estime qu'elles en sont absolument distinctes et qu'elles n'en contiennent qu'un commentaire, on doit constater qu'elles sont aussi claires dans leurs termes que l'arrêté auquel elles se réfèrent; qu'elles contiennent l'une et l'autre une sorte de post-scriptum à cet arrêté, en énonçant, la première, qu'il suffit que les agents forestiers et la gendarmerie aient été informés en temps utile de la date et du lieu de la battue; la deuxième, que l'autorisation donnée par la battue implique la faculté d'employer des chiens, mesure pouvant être regardée comme indispensable pour assurer la bonne réussite de l'opération;

Considérant qu'on se trouve ainsi en face de documents ne présentant ni obscurité, ni ambiguïté, que l'autorité judiciaire est compétente pour apprécier tant au point de vue légal que dans leur rapport avec la loi pénale; que c'est donc à tort que les premiers juges ont sursis à statuer au fond jusqu'après examen et interprétation par l'autorité administrative des lettres explicatives

qui ont suivi l'arrêté du 5 mai; qu'il s'agissait et qu'il s'agit encore de rechercher quelle est la valeur légale de ces documents, en les rapprochant de l'arrêté du 19 pluviôse an V, si les prévenus se sont ou non conformés à leurs prescriptions, et si, dans l'un ou l'autre cas, ils ont commis le délit de chasse qui leur est reproché ; que, pour cela, il est nécessaire d'évoquer le fond; Au fond:

Considérant que la faculté accordée aux préfets par l'arrêté de pluviôse d'autoriser, dans certains cas, des battues ou des chasses générales dans les bois des particuliers pour la destruction des animaux nuisibles, est une atteinte portée, dans l'intérêt général, au droit de propriété qui comprend le droit de chasse ; que, dans le but de limiter cette faculté à ce qu'exige le bien public le législateur devait en soumettre l'exercice à des conditions spéciales, rigou reuses, et que c'est ce qu'il a fait en exigeant, dans les art. 4 et 5, que les battues, qu'elles soient autorisées par le préfet ou par les corps administratifs, soient exécutées sous la direction et la surveillance des agents forestiers ;

Considérant que les agents dont il est ainsi parlé sont ceux désignés sous le § 1, art. 2, de l'ordonnance du 1er août 1827 ou leurs délégués; mais que cette dénomination d'agents ne comprend ni les simples gardes, ni même les brigadiers;

. Considérant qu'étant ainsi constitués, d'après le vœu de la loi, chefs de la battue, leur présence effective est impérieusement exigée pour que celle-ci puisse avoir lieu et qu'elle est d'autant plus nécessaire, d'ailleurs, qu'ils doivent, aux termes de l'art. 6 de l'arrêté de pluviôse, dresser procès-verbal de chaque battue pour en fournir un extrait au ministre des Finances;

Considérant qu'à la différence de la chasse la battue ne comporte pas l'emploi de chiens, mais de traqueurs ; que toutefois les préfets, qui peuvent autoriser des chasses, pourraient aussi permettre d'employer des chiens dans une battue, mais qu'il faudrait que ce point fùt nettement précisé dans leurs arrêtés, une chasse avec chiens pouvant être beaucoup plus préjudiciable au gibier qu'une battue proprement dite;

Considérant que, ces principes étant posés, si l'on envisageait les deux lettres des 5 et 10 mai comme faisant corps avec l'arrêté préfectoral et formant avec lui un tout indivisible, il faudrait déclarer cet arrêté illégal dans son ensemble, en ce qu'après avoir dit que la battue aurait lieu sous la surveillance des agents forestiers, il aurait ensuite énoncé que leur présence effective n'était pas nécessaire et qu'il suffirait de les prévenir du jour et du lieu de la battue ; Mais considérant que les dites lettres ne sont point des actes administratifs, lesquels ne peuvent revêtir cette forme, et qu'elles n'ont d'autre caractère que celui d'une correspondance; qu'on y voit le préfet, répondant à diverses questions à lui adressées par son subordonné, interpréter et commenter lui-même son arrêté du 5 mai dans un sens d'ailleurs non conforme à la loi; qu'au surplus le préfet avait si bien compris que lesdites lettres ne pouvaient s'identifier avec son arrêté, qu'il ne les a point notifiées au conservateur des forêts, lequel n'a eu connaissance que de l'arrêté proprement dit ;

Or, considérant que cet arrêté, pris en lui-même abstraction faite de la correspondance, ne contient aucune disposition qui soit contraire aux prescriptions de l'arrêté du 19 pluviôse an V; que, par son art. 1er, il autorise, en effet, le lieutenant de louveterie à organiser deux battues sous la surveillance des agents

forestiers; que si l'art. 2 porte que le permissionnaire devra prévenir le service forestier au moins vingt-quatre heures à l'avance, cette disposition, qui n'a trait qu'au mode de convocation des agents, ne contredit nullement la précédente et ne signifie point qu'on pourra se passer de leur présence;

Considérant que cet arrêté n'autorisait en aucune façon l'emploi des chiens dans les battues;

Considérant qu'il est constant, d'une part, qu'aucun agent ni même aucun préposé du service forestier n'assistait à la battue du 12 mai 1894; que, d'autre part, ainsi qu'il résulte du procès-verbal régulier dressé par le garde du marquis de Talhouët, vers onze heures du matin, cette opération se faisait à l'aide de trois traqueurs et de quatre chiens courants, excités par un piqueur, et qu'au nombre des chasseurs, armés de fusils, se trouvaient les trois prévenus, qui n'en ont pas moins continué à chasser jusqu'au soir;

Considérant qu'en prenant ainsi part à cet exercice de Russon, Cordelet et Hubé ont doublement contrevenu à l'arrêté préfectoral du 5 mai 1894 et à l'arrêté du 19 pluviôse: 1o en se livrant à une battue au sanglier dans les bois du marquis de Talhouët, hors la présence de tout agent forestier, c'est-à-dire sans contrôle et sans surveillance; 2o en se servant de chiens de chasse dans une simple battue qui ne comportait pas l'emploi de ces auxiliaires;

Considérant que l'absence constatée des agents laisse indifférente la question de savoir s'il était nécessaire de se concerter avec eux, ou s'il suffisait de les prévenir; qu'il est d'ailleurs constant que le lieutenant de louveterie s'est borné à inviter à la battue un brigadier à qui son service, ce jour-là, n'a pas permis de s'y rendre ;

Considérant que les prévenus ne sauraient donc se retrancher derrière l'arrêté préfectoral du 5 mai pour échapper à la poursuite dont ils sont l'objet et qu'il en serait de même dans l'hypothèse où cet arrêté serait envisagé comme se complétant par les lettres des 5 et 1o mai, parce qu'alors il devrait être déclaré illégal; qu'il y a lieu de reconnaître qu'ils ont ainsi chassé sur le terrain du marquis de Talhouët sans sa permission et que, par ce fait, ils lui ont causé un préjudice que la Cour est à même d'apprécier;

Par ces motifs,

Dit que c'est à tort que les premiers juges, tout en retenant la connaissance du procès, ont tardé à statuer jusqu'après interprétation par l'autorité administrative des deux lettres des 5 et 10 mai relatives à l'arrêté du 5 mai 1894; dit qu'il n'y avait lieu à interprétation; réforme en conséquence le jugement du Tribunal de Baugé dont appel;

Évoquant et faisant ce que les premiers juges auraient dû faire, déclare de Russon (Marie-René), Cordelet (Louis-Henri) et Hubé (René-Henri), coupables du délit de chasse sans autorisation sur le terrain de de Talhouët, et vu les art. 11 de la loi du 3 mai 1844, 52, 55 C. pén., 194 C. instr. crim. et 1382 Ç. civ., lesquels sont ainsi conçus :....

Condamne de Russon, Cordelet et Hubé à 25 francs d'amende chacun et solidairement tous trois à 100 francs de dommages-intérêts envers de Talhouët ; Condamne la partie civile en tous les dépens, y compris ceux exposés devant la Cour d'Angers, sauf son recours contre les condamnés qui en seront définitivement et par corps tenus envers elle, sous la même solidarité; et fixe au minimum la durée de la contrainte par corps, etc.

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