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pourtant ils relèvent immédiatement, réserve faite des inféodations octroyées ou confirmées à l'archevêque de Narbonne et à l'évêque de Car

cassonne.

Pendant la fin du quatorzième et tout le quinzième siècle, les guerres nationales ou provinciales qui désolent et ruinent le pays affaiblissent le pouvoir central et ne lui permettent de donner aucun soin à l'administration de provinces aussi reculées.

On fait remonter à 1360 ou 1362, sous Charles V, la création de l'office de Grand-maître enquêteur et général réformateur des eaux et forêts de France. Jusqu'en 1554, il n'y a qu'un seul titulaire de cet emploi pour toute la France, sauf exception pour la Bretagne qui, considérée comme état indépendant, est pourvue en 1534, sous François Ier, d'un office semblable. Précédemment, en 1508, Louis XII avait autorisé le grand-maître de France à instituer des lieutenants pour le représenter aux sièges des différentes Tables de Marbre. Le dernier grand-maître unique, en exercice en 1554, est Clausse ou Claude de Fleury. En 1554, Henri II crée ou institue à nouveau sept offices de grand-maître aux sièges des Tables de marbre des Parlements de Toulouse, Bordeaux, Dijon, Aix, Grenoble, Rennes et Rouen.

Sous l'autorité directe du grand-maître, se trouvaient les maîtres et les lieutenants de grand-maître. Sous une appellation nouvelle, les maîtres ne sont autres que les anciens forestiers royaux, dont les attributions se sont étendues, de la chasse qu'elles comportaient exclusivement à l'origine, à toutes les matières se rattachant aux forêts ou à la pêche. Les maîtres des forêts ou maîtres enquêteurs ne prennent le nom de maîtres particuliers que vers 1554, lorsque l'office de grand-maître cesse d'être unique en France. Pecquet 1, dans le commentaire de l'ordonnance de 1669, dit que, dans la seule province du Languedoc, on comptait, en 1382, cinq maîtres enquêteurs des Forêts; il est certain d'ailleurs que l'office et le nom de maître ou maître enquêteur sont d'origine plus ancienne que ceux de grand-maître; d'après Baudrillart, ils remonteraient tout au moins à l'année 1291.

En 1309, sous Philippe le Bel, nous voyons Bertrand de Bourret, maître des forêts royales pour la langue d'Occitanie, résidant à Toulouse, déléguer Roger de Quevenac, notaire royal à Quilhan, pour évoquer par devers lui et résoudre un litige survenu entre la communauté d'Escouloubre et le nouveau forestier royal de cette localité, Jean Acarelli, au sujet de l'importance et de l'étendue des droits d'usage de cette commu

1.- Lois forestières, t. I, p. 188.

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nauté dans les forêts, montagnes et vacants royaux de son territoire. La commune d'Escouloubre conserve encore la charte originale à elle octroyée en cette occasion.

D'une pièce du xvre siècle que nous allons analyser, il résulte qu'en 1560 il n'y avait à Toulouse qu'un lieutenant de grand-maître, et, dans la région du Languedoc qui nous occupe (département de l'Aude), que deux officiers, ne portant pas encore le nom de maîtres, mais désignés celui de forestiers et résidant à Carcassonne et à Limoux. Le procureur du roi qui intervient en cet acte est celui de la maîtrise de Toulouse.

par

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Dralet et Baudrillart 2 font honneur à M. de Froidour 3, et uniquement à lui, de la réformation des usurpations, abus et malversations qui avaient amené la dégradation et tendaient à la ruine des forêts du Languedoc dans les Pyrénées. Cent ans avant lui cependant, une réformation avait été tentée ; à la vérité, elle avait plutôt abouti à constater les anciens abus qu'à les refréner; mais, de même que celle dont il va être question, la réformation de M. de Froidour ne porta pas immédiatement tous les fruits qu'on en pouvait attendre, et nous verrons dans une autre étude qu'en 1730, soixante ans après l'enquête de 1670, les malversations affectaient encore le caractère d'un mal invétéré et chronique.

Avant d'en venir au narré succinct de la première réformation forestière à laquelle procéda, en 1560, Laurens de Papus, et pour l'intelligence de l'exposé qui va suivre, il est nécessaire de donner un aperçu de la région dans laquelle la Commission dirigée par lui était appelée à procéder.

Le pays de Sault est un vaste plateau à l'altitude de 900 à 1100m, situé à l'ouest des villes de Quillan et d'Axat et délimité comme suit : à l'est, les escarpements rocheux de l'Aude et de son affluent l'Ayguette; au midi le massif montagneux de Madres (2.400m), le cours de l'Aude supérieure et la crête des Pailhères (2.000); à l'ouest, le cours de l'Hers, haut affluent de l'Ariège; au nord, les crêtes des forêts de Bélesta, Sainte-Colombe et Puivert, et le revers septentrional ou bac des forêts de Comefroide-Picaussel, du Trabanet et de Callong-Mirailles. Il confinait au pays de Fenouilhèdes, au Capsir, au Donezan et au Razès. Il correspond actuellement aux cantons de Belcaire en totalité et d'Axat et Quillan pour partie. Sa superficie est d'environ 370km carrés, dont moitié

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Description des Pyrénées, t. II, pp. 10-12, 45-47 et suiv.
Discours préliminaire.

· Dictionnaire des Forêts.

- Grand-maître enquêteur et général réformateur des Forêts.

à peu près est boisée. Le torrent du Rebenty, affluent de l'Aude, redoutépour l'abondance et la soudaineté de ses crues, et, plus au sud, l'Aude ellemême traversent le plateau de l'ouest à l'est et le divisent en trois bandes : au nord, une première terrasse, altitude 800 à 900", limitée au sud par la profonde et étroite fissure du Rebenty; une deuxième, altitude goo à 1.000, entre le cours du Rebenty et celui de l'Aude, et la troisième, la plus méridionale, altitude 1.000 à 1.100m, au sud d'un coude brusque de l'Aude. Cette dernière bande est souvent nommée le Roquefortès du nom de son principal village, Roquefort-de-Sault.

Séparées uniquement par la profonde faille calcaire du Rebenty, les deux premières terrasses ne forment à l'œil qu'un seul plateau ayant même horizon au nord, le sombre et long rideau de sapinières qui de Callong-Mixailles à Sainte-Colombe tantôt relève vers le ciel la noire dentelure de ses crêtes, tantôt se replie en combes ombreuses et froides; au nord-ouest, les sommets de la sapinière de Belesta que franchissent, incessamment poussés par le Cers, les nuages lourds de tempêtes et de neiges; à l'ouest, les croupes boisées de la Benague et les pics des forêts de la Plaine et de Comus, au-dessus desquels la cîme aiguë du SaintBarthélemy perce le ciel de sa tête neigeuse; au sud-ouest, la longue bande de Niave et des crêtes de Gébetx, les sapinières de la Fajolle et de Canelle et le lointain profil du Tarbezou; au sud, dominant les bacs des sapinières de Mazuby, Aspre et Rodome, la cîme d'Ourthizet, verte ou blanche selon la saison; plus loin le pic anguleux de Laguzou et les sommités des forêts de Gesse et de Navarre; en arrière-plan, le lourd massif de Madres; à l'orient enfin, la sapinière de Bessède et les forêts de Quirhaut et de Coudons avec deux échancrures en vue du pays de Fenouilhèdes. L'une, dessinant le confluent du Rebenty avec l'Aude, s'ouvre dans la direction du profil très aigu de la Serre d'Acquières, plus connue sous le nom de montagne de la Pradelle; l'autre, béant au nordest, donne passage à l'interminable ruban de route qui, parti 'du col des Sept-Frères, traverse de Belcaire à Belvis le plateau d'Espezel, se déroule à travers les gorges de Coudons et tombe, par des lacets aux multiples replis dans l'entonnoir de Quillan, mettant en communication la haute vallée de l'Hers avec la vallée de l'Aude.

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Ces deux terrasses sont très fertiles et produisent de belles récoltes en

1. Ce village tire vraisemblablement son nom des tournants anguleux ou coudes, que la configuration du terrain impose à la route de Luzenac à Quillan. En Languedoc et Provence les angles rocheux sont appelés coudons. V. le roman de Tamaris dans lequel George Sand explique de même le nom de la montagne calcaire de Coudon, près de Toulon. V. aussi Joanne, Guide de Provence.

céréales et plantes fourragères : celle d'Espezel, assise en terrain quaternaire et sur les calcaires inférieurs du terrain crétacé, compte quelques communes riches et populeuses, Belcaire, Espezel, Roquefeuil, et d'autres assez pauvres, Quirbajou, Coudons, Belvis, Camurac et Comus ; celle de Rodome, constituée à l'ouest par les calcaires inférieurs du terrain secondaire, au centre par des émergences de schistes cristallins et de granit, à l'ouest par des schistes calcaires ou des calcaires dolomitiques, a pour communes principales Aunat, Rodome et Bessède, et comme moindres villages Mazuby, Fontanes, Galinagues, le Clat et Artigues. Profondément encaissé entre elles coule, avec une pente de 43mm par mètre sur un cours de 32 kilomètres, le Rebenty, qui traverse et souvent dévaste les villages de Lafajole, Mérial, Niort, Belfort, Joucou, Marsa et la commune de Cailla.

La partie la plus haute du plateau forme la 3° terrasse; toute la bordure nord-est est constituée par les calcaires primitifs que recouvrent les sapinières de Gesse et de Navarre. Au revers méridional (soulane) de cette bordure, apparaît le granit qui occupe alors le terrain sans partage jusqu'à la limite du département et présente vers l'est d'énormes amas chaotiques dont les blocs atteignent communément cinquante mètres cubes. Trois villages seulement: Roquefort, le Bousquet et Escouloubre. Le plateau est couvert par de belles cultures céréales, fourragères et quelques prairies naturelles et bordé au sud par la forêt domaniale de VilleneuveRebiscané et les forêts particulières de Montné, Gravas et Lapazeuil1.

C'est seulement sur la première de ces trois terrasses que la commission de 1560 avait à opérer: les forêts de Gébetx, Mérial et la Fajole faisaient partie des domaines de l'archevêché de Narbonne. Celles de Niave, Aspre et Canelle, Gesse-Domaine, Villeneuve-Rebiscané, et Gravas, alors domaniale, étaient aussi l'objet d'usurpations, mais moins criantes que celles qui s'attaquaient aux forêts de la première zone, et d'ailleurs elles étaient plus reculées, d'accès moins facile. C'est sans doute le motif qui empêcha les commissaires de la 1re réformation de s'en occuper.

Les routes servant de débouché à ce haut pays sont souvent obstruées l'hiver par les neiges; aussi l'habitant reste-t-il parfois pendant quinze à vingt jours, et à plusieurs reprises, sans communication possible avec les vallées adjacentes.

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1. Tout ce haut pays est favorisé chaque année d'un abondant passage de cailles qui fait la joie des chasseurs de la région.

Première Réformation forestière en Languedoc.

En 1561, Laurens de Papus, lieutenant-général en la maîtrise des eaux et forêts de Languedoc, résidant à Toulouse, vient à Quillan sur la réquisition du Procureur du Roi en ladite maîtrise, et, du 2 juillet au 11 août, procède à une visite complète des bois du pays de Sault et à une information régulière contre les principaux détenteurs précaires, usurpateurs et dégradateurs des forêts du roi.

Sont assignés les possesseurs de fiefs ci-après désignés :

François de Pisse, archevêque de Narbonne, seigneur de Quillan, etc., etc., les seigneurs de Guirauld, de Roquefort, d'Escouloubre, d'Axat, de Nébias, de Puyvert, de Chalabre, de Saint-Ferréol, de Belvianes, de Vynie1 (?), de Saint-Louis, de Gincla, de Mirepoix (Lévis), de Lhéran (Lévis) et le syndic du chapitre de l'Église collégiale de Saint-Paul de Fenouillet, tous intimés à raison des bois «qu'ils prétendent avoir joignant les forêts royales, aux fins de bornage et pour faire apparoir des titres par eux prétendus >>.

Partis de Toulouse le 2 juillet, les commissaires 2, après avoir couché le premier soir à Châteauneuf-d'Arry (Castelnaudary), sont le second jour à Carcassonne pour conférer de diverses affaires avec le Trésorier, déjeunent à Limoux le 4 juillet et vont coucher à Quilhan, logis de la Vacque. Le lundi 6 juillet, commence l'enquête; jusqu'au 10 juillet, les commissaires restent à Quillan pour entendre les parties assignées, prendre ou donner acte de leurs acquiescements, oppositions ou réserves au sujet de la réformation projetée, et leur donner rendez-vous pour les reconnaissances contradictoires auxquelles il va être procédé. Le 11 juillet, les commissaires quittent Quillan, accompagnés des gardes, et font halte à Coudons, village commandant la gorge par laquelle passe la route qui monte au pays de Sault; dans l'après-midi, on fixe les limites entre la forêt royale de Callong et les bois de l'Agre, appartenant à l'archevêque de Narbonne, sans qu'il apparaisse contradiction de la part du procureur fondé de ses pouvoirs.

Sans vouloir suivre pas à pas la commission dans sa longue et fastidieuse tournée de délimitation des forêts de Callong, Combefroide, Pcaussel et Aspre et des bois de Valentel et Joucou, nous résumerons aussi brièvement que possible les principaux incidents.

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La commission était très sommairement composée : du lieutenant général de la maitrise de Toulouse, du procureur du Roi à Toulouse, et d'un greffier.

TOME XXII. - JUIN 1896.

X. - 6

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