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cette industrie, toute de gourmandise, peut sans remords être sacrifiée à l'intérêt général. Ce qui est plus concluant, c'est que l'alouette est tellement vivace, tellement prolifique qu'elle n'a pas succombé à la suite des destructions colossales qu'on en fait depuis si longtemps. Pourquoi dès lors ne pas autoriser la chasse au miroir, sauf à la suspendre plus ou moins longtemps le jour où on en reconnaîtrait la nécessité. Le décret déléguerait le soin de trancher la question au Ministre de l'agriculture, lequel au cas particulier, comme dans tous ceux dont il va être question, ne pourrait statuer que pour la saison courante.

Les oiseaux d'eau sont surtout pour nous des passagers, que l'hiver nous amène et qui nous quittent au printemps. Quelques-uns pourtant nichent sur nos lacs, nos étangs et sur nos rivages, où peut-être ils sont loin d'être utiles; mais tous sont d'un bon appoint pour l'alimentation. Aussi, pour ne pas laisser échapper cette aubaine, a-t-on pris l'habitude d'ouvrir leur chasse plus tôt et de la fermer plus tard que la chasse à tir ordinaire. La chose n'ayant pas eu d'inconvénient, que je sache, le décret pourrait très bien se prononcer à cet égard. Bien plus, il laisserait au ministre le soin d'autoriser, pour la capture de ces oiseaux, l'emploi d'engins et filets spéciaux qui doivent exister, bien que je ne les connaisse pas. J'ai vu toutefois dans un village d'Alsace, à Guémar, une canardière des mieux installées, où, en ma présence et en fort peu de temps, on prit plusieurs canards: un petit chien à pelage de renard les avait attirés dans une énorme nasse. J'ignore si nous avons encore quelque établissement de ce genre.

La bécasse est un de nos meilleurs gibiers; elle est en outre pour nous un oiseau de passage, car en France elle ne niche que sur les monta – gnes, dans les forêts qui en couvrent les sommets. D'un autre côté, son utilité au point de vue agricole est à peu près nulle, la nourriture de cet échassier consistant en vers et limaces dont il se repaît, au bois pendant le jour, la nuit dans les raies de champs. Bien que l'espèce ait énormément diminué (l'Algérie ne serait pas, dit-on, étrangère à cette diminution), il n'est aucun motif de s'opposer à ce que, chez nous, le fusil prélève sur elle la dîme qu'il est en droit de prendre sur toute autre espèce de gibier. Or, si, en France, dans quelques coins privilégiés, de l'ouest notamment, on peut chasser et tirer la bécasse en novembre et décembre, voire même en janvier, il n'en est pas de même ailleurs : ce n'est qu'en mars, au passage de retour, que, dans le nord et l'est particulièrement, on a chance de voir ce gibier et de le tuer à la passée du matin ou du soir principalement. Il est donc juste que le décret délègue au ministre la faculté d'autoriser cette chasse spéciale après la

clôture générale, là où elle se pratique de temps immémorial. Le Sénat pourtant, en 1886, avait voté sa prohibition absolue, par la raison qu'après l'hiver la bécasse est un maigre régal! Il est vrai que, dans la discussion qui précéda le vote (séance du 23 novembre), on s'était beaucoup plus occupé des intérêts de certaines industries culinaires que des services rendus à l'agriculture par la gent volatile. Cependant, à l'occasion de la bécasse, on avait lâché le gros argument que sa chasse après clôture, tout hygiénique qu'elle soit, est une occasion de braconnage. Occasion pour qui? Pour les propriétaires ou les amodiataires des bois où ce sport a lieu forcément, lesquels ont en général intérêt à ne pas abuser de ce qui leur appartient. Qu'il est donc vrai de dire que les rigueurs du papier timbré sont pour le chasseur honnête qui ne songe pas à se cacher quand il se met en contravention, tandis que le braconnier est trop malin pour ne pas se dérober et trop malaisé à prendre, quand encore il n'a pas de puissants protecteurs!

Au sujet des oiseaux nuisibles, il ne peut y avoir que des additions à faire à la liste arrêtée par la commission internationale. La première et la plus importante est celle des colombinés, qui tous sont nuisibles, depuis le pigeon ramier jusqu'à la tourterelle, car ils ne sont pas même insectivores à l'époque où ils abecquent leur couvée et ils ne vivent qu'aux dépens de nos semailles et de nos récoltes. Je sais pour ma part quels ravages la douce, la tendre tourterelle faisait dans mes semis de pin et combien alors je l'ai maudite. Ah! si j'avais pu en détruire la race! Mais, rassurez-vous, âmes sensibles qui vous délectez à entendre, de la pointe du jour jusqu'à la nuit, la courte phrase d'une monotonie lugubre, que votre tourterelle en cage répète sans trêve ni merci; rassurez-vous, votre oiseau favori porte un beau collier noir, signe d'attachement, que n'a pas la tourterelle des champs.

La commission, dans la liste qu'elle a dressée, a fait une exception en faveur des trois faucons kobez, cresserelle et cresserine. Ces trois faucons, le premier surtout, ne se nourrissent guère que de coléoptères ou de petits rongeurs. Je ne me fierais pourtant pas trop à la cresserelle ou émouchet, qui ressemble terriblement à l'émerillon et qui comme lui doit faire la guerre aux petits oiseaux et prendre les alouettes pour des mulots. Mais combien de gens sont capables de distinguer les nids de ces trois faucons ou l'oiseau adulte sillonnant l'air du même vol que ses congénères reconnus nuisibles! En est-il un sur mille?

D'un autre côté, la commission n'a compris dans sa nomenclature ni les buses, ni la bondrée, dont l'innocuité pourtant serait difficile à établir.

En tout cas, j'estime que si le droit de destruction des oiseaux nuisibles n'est donné qu'aux propriétaires, possesseurs ou fermiers et aux amodiataires de chasse, exclusivement sur le terrain dont ils ont la propriété ou la jouissance, on peut sans inconvénient englober parmi ces oiseaux tous les rapaces diurnes sans exception. Leur destruction, qui certes n'est pas des plus aisées, ne sera guère poursuivie avec ténacité qui lorsque leurs méfaits seront patents, et les moins nuisibles continueront à vivre.

Il est chez nous certains oiseaux au sujet desquels on n'est pas encore fixé par exemple, le loriot, le coucou, le bouvreuil, les pies-grièches et enfin les corbeaux.

Le loriot est insectivore, mais il a le défaut de beaucoup aimer les fruits juteux, cerises, mûres, etc. Le coucou, lui, dévore beaucoup de chenilles, même les chenilles poilues devant lesquelles se détournent les petits oiseaux; mais combien de couvées précieuses ne détruit-il pas en appliquant le dicton : Ote-toi de là que je m'y mette!

Le bien que ces deux espèces font l'emporte-t-il sur le mal qu'elles causent? La question est pendante. Sa solution d'ailleurs n'offre d'intérêt qu'en ce qui concerne le coucou, car il est facile de se défendre contre le loriot au moment où il dévalise quelque coin de nos vergers.

Le bouvreuil est non seulement presque exclusivement granivore et frugivore, mais encore il ravage à l'automne les bourgeons de nos arbres fruitiers. Aussi le verrais-je classer sans regrets parmi les oiseaux nuisibles, ce qui permettrait de mettre en cage sa couvée pour le plus grand bonheur de ceux qui aiment à élever des oiseaux siffleurs.

Je n'hésiterais pas davantage à vouer à la destruction la grande piegrièche, qui est sédentaire chez nous et qui ne détruit que trop de nichées. Quant aux autres espèces du genre, elles sont surtout insectivores et par suite utiles; elles nous quittent d'ailleurs d'assez bonne heure, ce qui ne les expose pas aux coups de fusil du chasseur débutant.

Reste la question des corbeaux ou plutôt du corbeau corneille seul, car on est à peu près d'accord que le freux et la corneille mantelée, qui nous quittent au printemps pour aller nicher plus au nord, nous rendent des services pendant la mauvaise saison sans nous les faire payer. Le freux surtout est l'ennemi né du ver blanc et personnellement je l'ai vu à l'œuvre il y a quelques années.

Fin juin, je me trouvais sur la frontière de France et de Suisse, en pleine montagne, et je parcourais des coteaux boisées qui enserrent une vaste prairie. Dans celle-ci une superficie d'un à deux hectares faisait tache par son défaut d'herbe, et entre cette tache et la forêt voisine des

nuées de corbeaux étaient sans cesse en mouvement. La tache était produite par des vers blancs à leur troisième année et les freux leur faisaient la chasse, les emportant toutefois dans la sapinière pour les manger, car j'y trouvai leurs peaux vides et éventrées gisant sur le sol. De temps en temps d'ailleurs un coup de fusil, suivi d'une débandade générale des corbeaux, me prouvait que l'homme est et sera toujours son propre ennemi.

Les freux paraissent rester insectivores à l'heure des amours, car en Angleterre on favorise autant qu'on peut l'établissement de leur agglomération de nids; il est vrai que l'Anglais, toujours avisé, exerce ensuite son adresse sur leurs jeunes, quand ils se mettent à voler, et qu'il confectionne avec leur chair des pâtés dont il se régale. J'ignore si la corneille mantelée se comporte aussi bien que le freux là où elle élève sa couvée; mais ce que tout le monde sait, c'est qu'il n'en est pas de même de la corneille noire, qui est sédentaire chez nous et dont j'ai dit plus haut le genre de vie. Ses méfaits me semblent assez nombreux pour faire pencher à son égard la balance du mauvais côté, et pour ma part je la rangerais franchement parmi les oiseaux nuisibles.

J'ai terminé ce que je voulais dire concernant la gent emplumée et ses rapports avec la loi. Je ne me suis occupé des oiseaux qu'on chasse et qui sont véritablement du gibier que lorsque je ne pouvais pas faire autrement. Je ne saurais toutefois résister à l'envie d'exprimer un dernier desideratum, exclusivement à titre de chasseur. Je voudrais que le nouveau code eût un article édictant que la chasse ordinaire à tir sera annuellement close dans toute la France de telle date à telle date, par exemple du 1er février au 1er septembre, sauf à laisser au Ministre de l'agriculture la faculté d'avancer ou de reculer une quelconque de ces dates de quinze jours au plus, dans telle ou telle région où le besoin s'en ferait

réellement sentir.

Il en est ainsi dans la législation cynégétique allemande, dont l'excellence est reconnue et a même été signalée par le rapporteur d'une commission de notre chambre des députés. Il est vrai que cette excellence est peut-être due, en partie tout au moins à ce que les questions scientifiques qui gravitent autour de la chasse font partie intégrante de l'instruction universitaire des forestiers d'outre-Rhin, et que ceux-ci, appelés fréquemment par leur service même à faire acte de chasse, ont toutes les occasions possibles d'approfondir ces questions. Dans notre chère patrie, au contraire, les agents forestiers ne doivent pas chasser dans les bois qu'ils administrent, et leurs préposés, de par la loi de 1844, sont

des parias devant le permis de chasse, alors qu'il faut un jugement et une condamnation formelle pour priver momentanément de ce permis un braconnier.

Dieu veuille que chez nous la législation sur la chasse qui est à faire soit mûrement élaborée par des gens compétents, lesquels pourtant ne soient pas trop chasseurs, mais qui surtout n'aient pas des relations trop étroites avec le corps électoral!

Août-septembre 1896.

F. SUCHAUX.

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N° 46. COUR DE CASSATION (Ch. civ.). 11 Mai 1896.

Saisie-arrêt. Fonctionnaire public. Instituteur communal. annuel inférieur à 2.000 francs. Loi du 12 janvier 1895. Signification. Percepteur. Trésorier-payeur général.

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Traitement
Exploit.

Une saisie-arrêt formée sur les appointements d'un fonctionnaire de l'État ne peut, à peine de nullité, aux termes des dispositions combinées de l'art. 13 de la loi du 9 juillet 1836 et de l'art. 352 du décret du 31 mai 1662 sur la comptabilité publique, être régulière· ment reçue que par le trésorier-payeur général du département où ledit fonctionnaire exerce ses fonctions.

Spécialement, est nulle la saisie-arrêt signifiée par le créancier d'un instituteur communal dans un département sur les appointements de son débiteur, non au trésorier-payeur général, mais au percepteur des contributions directes de la commune où ledit instituteur exerce ses fonctions.

Et il n'a point cessé d'en être ainsi, depuis la loi du 12 janvier 1895, même pour une saisie-arrêt formée sur un traitement de fonctionnaire ne dépassant pas annuellement 2.000 francs, saisie-arrêt dont l'art. 6 §3 de ladite loi permet de signifier l'exploit au représentant du tiers saisi dans le lieu où travaille le débiteur saisi : le trésorier-payeur général pouvant seul, et à l'exclusion des comptables placés sous ses ordres, être considéré comme représentant de l'Etat tiers saisi, préposé à ce titre au paiement des appointements des fonctionnaires publics dans toute l'étendue du département.

INTÉRÊT DE LA LOI.

La question, d'une importance pratique considérable, tranchée par l'arrêt ci-après reproduit, se trouve exposée et discutée dans les conclusions données à l'audience de M. le procureur général MANAU, à l'appui d'un pourvoi qu'il avait formé dans l'intérêt de la loi contre un jugement de M. le juge de paix du canton de Montlouis du 4 avril 1895.

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