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bon à payer » sur le mandat, et déléguera le paiement à faire à tel ou tel de ses comptables subordonnés pour la somme fixée par lui, déduction faite de la somme saisissable qu'il aura retenue. Que sont alors ces comptables? Des représentants de l'État, tiers saisi ? — Pas du tout.— Ce sont, vous le voyez, de simples payeurs de fait. Pourquoi ? Parce que les lois de la matière leur refusent absolument la qualité légale de payeur. Ce sont, en outre, des payeurs accidentels. Pourquoi? Parce qu'ils sont ou ne sont pas délégués pour le paiement, au gré du trẻsorier-payeur général, qui consulte, pour faire cette délégation, les convenances du fonctionnaire. Ce sont, enfin, des payeurs hypothétiques. Pourquoi? Parce que, quoique délégués, nous l'avons dit, ils peuvent n'avoir pas à ouvrir leur caisse, le fonctionnaire ayant la faculté d'utiliser son mandat, soit sur celle du trésorier payeur général, soit sur celle de tel ou tel autre comptable qu'il lui plaira de choisir.

« Vous comprenez alors, Messieurs, la nécessité qu'il y avait de centraliser les oppositions. Faite dans les mains du trésorier-payeur général, l'opposition procure un paiement certain à l'opposant, dans la mesure fixée par la loi. Si elle pouvait être faite valablement dans les mains d'un de ses comptables subordonnés, l'opposant ne pourrait avoir la certitude d'en bénéficier, puisqu'il suffirait au fonctionnaire saisi de présenter son mandat à la caisse d'un autre comptable, qui l'ignorerait. C'est là précisément l'inconvénient auquel ont voulu parer les lois spéciales de la matière, et qui se reproduirait, ainsi que nous l'avons indiqué au commencement de ces observations, si la thèse du jugement attaqué était admise.

<< Pour achever de démontrer que c'est le trésorier-payeur général seul qui a qualité pour recevoir les oppositions, il suffit de faire remarquer que c'est lui seul qui a la responsabilité vis-à-vis de l'État. Mandataire de l'État, c'est à l'État seul, son mandant, qu'il doit rendre compte et justifier de la régularité du paiement. Quant aux percepteurs et receveurs de toutes sortes, ils opèrent tous, quand ils sont délégués, pour le compte du trésorier-payeur général. Ce sont les mots de la loi. Ils lui prêtent un concours purement matériel, suivant les convenances des parties prenantes. Ils sont des exécuteurs passifs de ses ordres; ils ne sont même pas des mandataires substitués. Ils sont de simples auxiliaires.

Voilà tout. Et leur responsabilité se borne à la matérialité du paiement, à l'identité du créancier et à la régularité de l'acquit.

<< S'il en est ainsi, Messieurs, vous n'hésiterez pas à reconnaître, nous l'espérons, que loin d'être contraires aux lois spéciales antérieures, les

termes du paragraphe 3 de l'art. 6 de la loi de 1895 sont en parfait accord avec elles et qu'en statuant comme il l'a fait le jugement attaqué a encouru la cassation que nous venons vous demander dans l'intérêt de la loi.

<«< En la prononçant, vous mettrez fin à une incertitude regrettable qui créait à notre administration financière des embarras sérieux, dont elle sera heureuse d'être délivrée. »

Conformément à ces conclusions, la chambre civile a rendu l'arrêt suivant :

La Cour,

Statuant sur le pourvoi formé par M. le procureur général dans l'intérêt de la loi contre un jugement rendu le 4 avril 1895 par le juge de paix de Montlouis :

Vu les art. 13 de la loi du 9 juillet 1836, 148, 352 à 357 du décret du 31 mars 1852, 6, § 3, et 17 de la loi du 12 janvier 1895;

Attendu qu'aux termes de l'art. 13 de la loi du 9 juillet 1836 toute saisie-arrêt sur des sommes dues par l'État doit, à peine de nullité, être faite entre les mains des payeurs, agents ou préposés sur la caisse desquels les ordonnances ou mandats sont délivrés;

Attendu que l'art. 352 du décret du 31 mai 1862, portant règlement général sur la comptabilité publique, dispose que le paiement des ordonnances et mandats délivrés sur les caisses des payeurs est effectué, dans chaque département, par un payeur unique, qui est le trésorier-payeur général; d'où il suit que ce dernier a seul qualité pour recevoir la signification des oppositions formées sur les traitements des fonctionnaires publics qu'il est chargé de payer;

Attendu qu'il n'a pas été dérogé à cette disposition par l'art. 6 § 3 de la loi du 12 janvier 1895, qui permet de signifier l'exploit de saisie-arrêt au représentant du tiers saisi dans le lieu où travaille le débiteur saisi;

Attendu, en effet, que le trésorier général peut seul, et à l'exclusion des comptables placés sous ses ordres, être considéré comme représentant de l'État tiers saisi, préposé à ce titre au paiement des appointements des fonctionnaires publics dans toute l'étendue du département ; qu'il est seul investi, par l'article précité du décret du 31 mai 1862, de la qualité légale de payeur; que dès lors il appartient à lui seul de régler la somme qui doit être tenue à la disposition de chaque partie, ayant des droits à faire valoir sur le montant du mandat délivré par l'ordonnateur; qu'enfin il est seul responsable devant la Cour des comptes de la régularité du paiement et de celles des pièces justificatives;

Attendu que si l'art. 354 du décret du 31 mai 1862 oblige les receveurs des finances, les percepteurs et autres receveurs des revenus publics, à participer sur les fonds de leurs caisses, et pour le compte du payeur, au paiement des dépenses pour lesquelles leur concours est jugé nécessaire, cette coopération ne saurait les faire considérer, ni comme les mandataires directs de l'État, ni comme les mandataires substitués par le trésorier-payeur général, mais seulement comme de simples agents d'exécution auxiliaires de ce dernier ; qu'il ne leur est permis d'effectuer des paiements que sur un mandat revêtu d'un Vu

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bon à pager, apposé par le payeur; que ce visa, sans pouvoir jamais être conditionnel, doit énoncer la somme à verser ; que les comptables inférieurs sont sans droit pour en modifier le chiffre, sous quelque prétexte que ce soit, leur mission étant restreinte à l'opération matérielle du versement des espèces, et leur responsabilité bornée à la vérification de l'identité de la partie prenante et à la régularité de l'acquit donné par elle; qu'ils ne sauraient donc utilement recevoir la signification d'une saisie-arrêt, ni en assurer l'efficacité, puisque, d'une part, il ne leur appartiendrait pas d'opérer une retenue sur la somme qu'ils sont chargés de verser, et que, d'autre part, le mandat assigné sur leur caisse demeure toujours payable à celle du trésorier général et, dans certains cas, chez plusieurs d'entre eux, au choix de la partie prenante ;

Attendu qu'en décidant que la saisie-arrêt pratiquée sur les appointements de l'instituteur Pepratz avait été valablement signifiée au percepteur des contributions directes, le jugement attaqué a violé les art. 13 de la loi du 9 juillet 1836 et 6, § 3, de la loi du 12 janvier 1895, et faussement appliqué l'art. 17 de cette dernière loi ;

Par ces motifs,

Casse dans l'intérêt de la loi le jugement rendu le 4 avril 1895 par le juge de paix du canton de Montlouis.

Présidence de M. Mazeau, premier président; MM. Falcimaigne, rapp.; Me Manau, proc. gén.

Note. - V. les conclusions conf. de M. le procureur général MANAU, suprà. (Gaz. Pal.)

N 47.

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DU DÉGRÈVEMENT D'IMPOT FONCIER DES TERRAINS COMPRIS DANS DES PÉRIMÈTRES D'UTILITÉ PUBLIQUE

Il semble que jusqu'à ce jour les dégrèvements d'impôt foncier des terrains reboisés ou restaurés, situés dans des périmètres objets de lois déclaratives d'utilité publique, ont été provoqués uniquement par application de l'art. 226 du Code forestier. Cependant, dans beaucoup de cas, cet article n'est pas applicable. Si, en effet, les lois du 28 juillet 1860 et du 8 juin 1864 visaient très nettement le reboisement et le gazonnement des montagnes, la loi du 4 avril 1882, qui les a abrogées par son article 16, n'a trait qu'à la restauration et à la conservation des terrains. Or, un terrain peut être restauré et consolidé par les seuls travaux d'art, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des semis ou des plantations, d'une exécution parfois impossible. Les terrains ainsi restaurés paieront-ils l'impôt foncier, ou en seront-ils exonérés? et, pour provoquer et justifier une exonération, quel texte, quelle disposition légale invoquer? Doit-on comprendre les périmètres de restauration dans les portions du territoire asservies par la destination de la loi à l'utilité collective des

habitants et les considérer comme partie intégrante du domaine public? Ce domaine embrasse et doit embrasser tous les fonds destinés à l'usage ou à la sauvegarde des intérêts de tous. Sa consistance est déterminée par les articles 538 à 541 du Code civil, qui énumèrent ses dépendances. Ce sont, on le sait, les chemins, routes et rues à la charge de l'État, les fleuves, les rivières navigables et flottables, les portes, murs et fossés des remparts de guerre, etc., etc... Les périmètres ont leur place tout indiquée dans cette nomenclature. Là où ils ont été créés, ils contribuent dans une bien plus large mesure que les diverses dépendances précitées à assurer la commodité et la sûreté de la vie des populations, ce qui est le rôle, la destination primordiale, la raison d'être du Domaine public.

S'inspirant de ces considérations, le Conseil supérieur des Ponts et Chaussées a émis l'avis que les terrains englobés dans un périmètre de restauration font partie du Domaine public, et cet avis, qu'avait antérieurement exprimé M. le ministre de l'Agriculture, a été adopté par M. le ministre des Travaux Publics (Voir circul. adm. forest., no 478, page 14); mais un avis, même émanant de personnalités aussi hautes, ne peut suppléer ou modifier un texte de loi et les périmètres ne seront pas Domaine public tant que la loi ne l'aura pas expressément décidé. Qu'adviendrait-il, au point de vue de l'impôt foncier, si les périmètres étaient classés parmi les dépendances du Domaine public?

La loi du 3 frimaire an VII soumet à la contribution foncière les domaines nationaux productifs et aliénables, mais déclare, dans son article 105, que les Domaines réservés pour un service national seront portés pour mémoire aux états de sections et matrices de rôles, et ne seront point cotisés, c'est-à-dire ne paieront point d'impôt. Donc, si les périmètres dépendaient du Domaine public, ils seraient, jusqu'à leur déclassement, exonérés de tout impôt foncier, et cette exonération, qui persisterait tant que durerait le caractère de domanialité publique du périmètre, serait beaucoup plus large que l'exonération trentenaire prononcée par le Code forestier, dans son article 226. Cependant, en vertu de ce principe général, que tout bien qui procure un revenu est imposable, il a été reconnu que si des portions du Domaine public deviennent productives de revenu, cette condition suffit pour qu'elles tombent sous le coup de l'impôt foncier. Il existe un arrêt du Conseil d'État, rendu dans ce sens. (Contentieux, 15 juillet 1842.)

Pour la perception de l'impôt, on pourrait, dès lors, diviser les périmètres, dépendances du Domaine Public, en:

1° Parcelles restaurées, susceptibles de revenus;

2o Parcelles restaurées, de nul rapport.

Les parcelles de la première catégorie seraient frappées de l'impôt foncier, dès qu'elles seraient productives de revenu. L'époque de la réalisation de cette condition sera d'une détermination assez délicate. Il nous semble néanmoins rationnel de ne considérer comme revenu imposable que celui qui constitue pour l'exploitant un bénéfice, ce qui revient à dire que les parcelles reboisées ne devraient payer l'impôt qu'après amortissement des frais de création des boisements par les revenus annuels. Jusqu'à cette époque, il n'existe pas de revenu imposable, puisque l'impôt consiste essentiellement dans le prélèvement d'une portion des bénéfices réalisés par la mise en valeur du fonds. A quelle époque l'État se trouvera-t-il en bénéfice? Les comptes permanents peuvent fournir, sur les dépenses de création des périmètres, les renseignements les plus détaillés et les plus authentiques, et, connaissant le revenu moyen annuel et la somme à amortir, on obtiendrait le délai d'amortis.. sement par la formule ordinaire.

Quant aux parcelles de la deuxième catégorie, elles seraient à tout jamais exonérées de l'impôt foncier, comme n'étant susceptibles de revenu à aucune époque.

On conçoit l'avantage de ce système. En l'état actuel de la législation, et par application de l'article 226 du Code forestier, l'Administration forestière devra, à l'expiration de la période trentenaire, acquitter l'impôt foncier pour ses travaux de reboisement, sans qu'il y ait lieu d'examiner s'ils sont ou ne sont pas productifs de revenus, de sorte l'État que se verra dans l'obligation de payer des centimes départementaux et communaux à des populations pour la sauvegarde des intérêts desquelles il a dépensé des sommes considérables, en achats de terrains et en travaux de toute nature. Cette obligation sera très choquante, mais très légale : « Summum jus, summa injuria. »

Pour obvier à cet inconvénient et déterminer la situation légale des périmètres, il suffirait cependant d'une simple addition à l'article 538 du Code civil et de la rédaction suivante :

Article 538.-Les chemins, routes..., ports, hâvres, et les périmètres de restauration créés en exécution de la loi du 4 avril 1882, sont considérés comme dépendances du Domaine public.

L'opinion, s'appuyant sur le caractère et la destination même des périmètres, réclame depuis longtemps leur incorporation au Domaine public, mais la sanction légale manque encore, et nous pensons qu'il serait nécessaire de la provoquer.

Carcassonne, le 15 septembre 1896.

G. LANOIR.

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