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No 48.-INCONVENIENTS DES DÉLIVRANCES INDIVIDUELLES DITES D'URGENCE

Dans le numéro de la Revue du 25 juin dernier, M. R. Mer a traité une question très importante pour les cantonnements de montagnes, celle des délivrances individuelles de bois aux particuliers. Il propose d'introduire dans le Code forestier des dispositions permettant d'autoriser ces délivrances en faveur de l'habitant trop pauvre pour acheter le bois dont il a besoin ou de celui, plus fortuné, qui aurait économie à prendre dans la forêt communale même en les payantà leur valeur réelle les bois qui lui sont nécessaires.

Ces dispositions seraient, sans aucun doute, fort bien accueillies par les populations riveraines des forêts; mais il reste à savoir si les forêts s'en trouveraient aussi bien.

Voici les principaux inconvénients que présentent les délivrances individuelles :

1o Les municipalités sont trop portées à accueillir toutes les demandes de délivrance qui leur sont adressées... surtout au moment des élections. A ce point de vue on ne saurait trop louer l'esprit d'équité qui a inspiré les dispositions actuelles de l'art. 105 du Code forestier.

2o Les délivrances individuelles nécessitent les mêmes formalités que les coupes extraordinaires : instruction, tournée spéciale de martelage, procès-verbal de martelage, procès-verbal d'estimation et parfois titre de recouvrement. Dans certains cantonnements de montagne, il fallait autrefois plus de vingt journées de tournées pour marquer ainsi cent mètres cubes de bois. Tout le monde reconnaîtra qu'un agent forestier peut employer plus utilement son temps et sa peine.

3o Il est évidemment nécessaire que les bois délivrés soient à la convenance du bénéficiaire, celui-ci est donc convoqué au martelage; mais ce n'est pas sans peine qu'on arrive à le satisfaire les arbres sont trop forts, ou trop branchus, d'une exploitation trop difficile ou trop éloignés de la grange à réparer, etc., etc. L'agent forestier qui fait parfois sept ou huit heures de marche en montagne pour marquer trois sapins cède le plus souvent, par bienveillance. Aussi l'on puise toujours dans les mêmes quartiers et l'on n'exploite que des arbres de dimensions moyennes alors que les vieux bois pourrissent sur pied. En un mot, l'avenir de la forêt est sacrifié aux exigences de quelques particuliers.

4° Les exploitations sont disséminées sur plusieurs points et, comme elles sont faites individuellement, sans le concours d'un entrepreneur

responsable, la surveillance en est très difficile; les délits d'outre-passe sont fréquents et restent impunis à moins de flagrant délit constaté. 5° Il est impossible de mettre en défens des forêts entières pour quelques arbres exploités çà et là; aussi les petites trouées produites par délivrances se repeuplent-elles difficilement.

Ces inconvénients sont assez sérieux pour qu'on en tienne compte. M. Mer envisage deux cas la gratuité et le paiement.

les

1° Délivrances à titre de secours. Pourquoi ces délivrances ne seraient-elles pas prélevées sur les coupes ordinaires, sous la responsabilité des municipalités, après avis favorable des conseils municipaux auxquels des pouvoirs plus étendus seraient donnés par la loi ? Quant aux agents forestiers, leur rôle doit se borner à marquer les coupes, à les délivrer aux communes et à en surveiller l'exploitation.

2o Chablis, bois mort, etc. On leur appliquerait les mêmes dispositions.

30 Délivrances pour économie de frais d'achat et de transport. - Ces délivrances seraient susceptibles de la plus grande extension, si on ne les limitait pas d'une manière précise. Un particulier a toujours économie à choisir le bois qui lui est nécessaire dans le canton le plus rapproché de sa propriété ; si la loi permettait d'autoriser des délivrances individuelles dans de pareilles conditions, on reviendrait purement et simplement, au moins dans les pays de montagnes, aux modes d'exploitation en usage avant l'organisation du service forestier au lieu d'une coupe par commune, il y en aurait autant que d'habitants ayant besoin de bois.

En résumé, si le principe d'égalité posé par la loi des 23 et 24 novembre 1882 ne devait pas être maintenu, on pourrait donner aux municipalités le droit de prélever, sur les coupes délivrées, une certaine quantité de bois en faveur, des indigents, après approbation du préfet, et de disposer de même des chablis, bois morts, etc. Quant aux délivrances individuelles, elles ne devraient être autorisées que lorsque l'immeuble à réparer ou à reconstruire n'est pas desservi par un chemin carrossable et qu'on évite un transport à dos d'homme en prenant les bois dans le canton le plus rapproché.

C. M.

N° 49. - RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES A TRAVERS BOIS

Canton, nom commun si français, d'où viens-tu? Des étymologistes distingués disent ton origine inconnue. Mais chanteau, morceau de pain bénit en forme de coin, n'est autre que le latin canthellus, de canthus, fils du grec xavoog, angle, coin; et par l'usage il a pris aussi le sens de morceau découpé, dans une grande pièce d'étoffe par exemple, dont l'échantillon n'est qu'un petit coin. Ce chanteau, frère de canton, permet ainsi de reconstituer son état civil,

Ceille, pour seille, corruption de selve, et surtout ses dérivés, Ceillat, Ceillac, Cheilly, Chilly, etc., désignent des forêts et des localités forestières.

La celle, de cella, chambrette, a marqué, suivant les temps et les lieux, une remise à instruments, une maisonnette, une chapelle, un ermitage, et donné son nom à nombre de cantons et de localités. Tels sont Celles, Selles (remarquer le pluriel), la Salle pour la Celle, et que l'État-major a écrit en Comté la Sol, du patois lei solle, Celle St-Cloud, et en composition: Docelles, la Moncelle, Osselles, Ussèles, Corcelles, Vincelles, Vaucelles, la Chaucelle, Vercel, Hennezel, Anozel, qui vaut Hennezel. Celle a formé cellule. C'était là un mot bien français, qu'on a remplacé souvent et mal par le mot vague et péjoratif baraque, emprunté à l'italien, ou par cabane, du grec zañavn, étable! Celle ou selle, comme ceau ou seau, forme d'autre part un diminutif, ainsi dans Montceau, Montcel, petit mont; dans damoiseau, damoiselle, de dominicellus, dominicella. Le Roumain, très galant, appelle toutes les femmes domne, dames, tandis qu'il nomme les hommes barbati.

La cenelle, ou cinelle, fruit de l'aubépine, qu'on écrit quelquefois senelle, vient par contraction de coccinelle, cochenille, formé du radical cocc, rouge écarlate, qui a donné coccum, kermès, et coccinus, écarlate. Le cochêne, sorbier des oiseleurs, à fruits rouges, doit avoir même racine.

La cepée, de même que le cep, est le latin cippus, tertre. « La seppe du taillis, ou tronc qui demeure en terre..... » (Bernard Palissy.)

Les cernes du bois, les accroissements annuels, apparaissant sur la section droite de l'arbre sous forme de cercles concentriques, ont pris leur nom français du latin circinos. Les Cerneux, Cernois, Cernay, etc.,

1.

V. Revue des Eaux et Forêts des 25 avril et 25 juillet 1896.

nomment une enceinte spéciale, en culture par exemple, plus ou moins

circulaire.

Le cerre, cerris, chêne chevelu, a donné les jarris et jarries, les guaris, garrigues et divers noms de cantons; il est probablement du même radical, de provenance orientale, que le kermès.

La chaintre de l'Ouest, ou le chaîntre de l'Est, joue un rôle intéressant dans les propriétés closes par des haies. C'est la ceinture intérieure, chemin de ronde ou sillon cultivé au long de la haie. Chaintre, de cinctura, est le mot populaire dont ceinture est le doublet formé par les clercs. A la chaintre s'adjoint dans l'Ouest le hallier, de halla (haut all.) branche; le hallier, compris ordinairement entre la chaintre et le fossé, est boisé ou au moins embroussaillé. En Bresse, le chemin qui entoure la propriété à l'intérieur du fossé s'appelle aussi le contour, et c'est peut-être bien d'un chemin fermant un grand parquet dans la forêt de Chaux qu'est venu le nom du Grand-Contour. La concise, concisa, est un fossé transversal contribuant à l'assainissement du terrain, ou un chemin creux faisant même fonction.

Les chalances sont nombreuses dans les montagnes du midi. La calanca, de cala, cale de navire ou autre, est un grand ravin, une sorte de fente abritée, en mer une petite anse couverte par de hautes terres. En forêt les chalances sont généralement de mauvais cantons, entaillés en un versant rocheux ou sillonnés par les eaux torrentielles et d'un parcours fort difficile; on trouve aussi les chalancettes, qui ne valent guère mieux, et les chalonges, altération de chalances.

Le chalet, la casalette, est un diminutif de casa, qui a donné de même Chalade, Chalamont, Chalèze, etc., et d'abord chaz, bâtiment d'une seule ferme de charpente, chazal, chazaux, casal et quazel dans le midi, chazel, chazelet, chéseau, chéselle, échaseau, Chézy, Chézery, chaix, maison, qu'il ne faut pas confondre avec chaix, caves, de caveas, ni avec chaix, quai, de chayum, cayum, signifiant cancella, balustrade, chaises, nom de lieu, casae, sans rapport avec chaise pour chaire, de cathedra, et enfin chez pour à chez, ad casam; on dit encore: de chez M. un tel. Les chézeaux, chasaux, chaseuil, Marcheseuil ont dénommé beaucoup de cantons forestiers voisins d'habitations ou de pauvres ha

meaux.

Nos champignons, campiniones, ont, pour quelques-uns, de jolis noms. Le bolet, de boletus, ẞwλing, nom générique des champignons en grec, est comme le type du genre. Dans le midi on le connaît sous le nom de cèpe, légume, venu aussi du grec nez, jardinage. L'agaric, ayapíxov, amadou, porte aussi un nom générique, mais

d'une signification déjà restreinte, il n'embrasse plus tout le peuple des champignons. L'amanite descend, dit-on, de Apavos, montagne de Cilicie, où la fausse oronge aurait pu rester. L'oronge vraie doit son nom à l'orange dont elle a un peu la forme en naissant, le beau rouge sur le chapeau et le jaune intérieur du fruit en dessous, ce qui la distingue de la précédente. La chanterelle, si commune dans nos bois, porte très bien son nom de cantharellus, petite coupe. Et la cormelle, ou cocomelle, doit ce nom à sa volva, la coque, et à la forme de pomme ou melle, peλos, qu'elle offre à l'état naissant. On l'appelle aussi girole, de l'anneau, gyrus, que laissent autour du pédoncule les débris de la volva. Le clavaire, clavarius, est le champignon garni de pointes en dessous du chapeau; les clathres, ou morilles, ont des chapeaux barrés, à claire voie; clathre vient directement de xλa0px, comme cloître, par claustrum.

Le carpinus des latins nous a donné le charne, qui est devenu notre charme par une altération sans autre exemple. Il est probable que l'habitude du mot charme, enchantement, formé de carmen, aura influé sur la transformation de charne en charme. Dans l'ouest, on dit encore le charne, qui a dénommé tous les Charnay, et, dans l'Isère, la charpine, le charpin, d'où sont venues les Charpennes, la charpagne, etc. Charme est quelquefois une forme de chalme, primitif de chaume; ainsi dans le ruisseau de Charme-ronde, près Lachaume (Côte-d'Or), à la maison des Charmettes (Grande-Chartreuse), et ailleurs encore en terrains de calcaires rocheux, pays de chaumes.

La chaume, de calamus, et les chaumes des hautes Vosges, de même origine, ont donné lieu à des hypothèses ridicules, comme celle de calvi montes. Le crêt de Chalame, dans l'Ain, les Chalêmes et le Chalamet, du Jura, les chaumes, chaumeaux, chaumois, Chaumusse, Chalmessin pour Chalmecin, Chamesson pour Chaumeçon, attestent sur les chaînes du Jura et de la Bourgogne que le nom est bien celui de la friche enherbée, voisine ou enclave de la forêt arborisée. En Bourgogne, on dit chaumer un champ dont on arrache et brûle le chaume de blé; échaumer serait mieux dit. C'est peut-être de là qu'est venue l'expression : charmer un arbre, au pied duquel on met le feu pour le faire périr ; charmer un arbre n'est probablement qu'une corruption de chaumer. Les chaumes sont dues généralement au pâturage des bestiaux, particulièrement des moutons, qui ont fini par chaumer à leur manière tous les rejets du taillis, tous les bois de la forêt.

Chaux signifie quelquefois pâturage et vient alors de calamus; il est pour chaume et devrait s'écrire chaum.Je ne sache pas qu'il signifie forêt.

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