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nauté dans les forêts, montagnes et vacants royaux de son territoire. La commune d'Escouloubre conserve encore la charte originale à elle octroyée en cette occasion.

D'une pièce du xvre siècle que nous allons analyser, il résulte qu'en 1560 il n'y avait à Toulouse qu'un lieutenant de grand-maître, et, dans la région du Languedoc qui nous occupe (département de l'Aude), que deux officiers, ne portant pas encore le nom de maîtres, mais désignés par celui de forestiers et résidant à Carcassonne et à Limoux. Le procureur du roi qui intervient en cet acte est celui de la maîtrise de Toulouse.

1

Dralet et Baudrillart 2 font honneur à M. de Froidour 3, et uniquement à lui, de la réformation des usurpations, abus et malversations qui avaient amené la dégradation et tendaient à la ruine des forêts du Languedoc dans les Pyrénées. Cent ans avant lui cependant, une réformation avait été tentée ; à la vérité, elle avait plutôt abouti à constater les anciens abus qu'à les refréner; mais, de même que celle dont il va être question, la réformation de M. de Froidour ne porta pas immédiatement tous les fruits qu'on en pouvait attendre, et nous verrons dans une autre étude qu'en 1730, soixante ans après l'enquête de 1670, les malversations affectaient encore le caractère d'un mal invétéré et chronique.

Avant d'en venir au narré succinct de la première réformation forestière à laquelle procéda, en 1560, Laurens de Papus, et pour l'intelligence de l'exposé qui va suivre, il est nécessaire de donner un aperçu de la région dans laquelle la Commission dirigée par lui était appelée à pro

céder.

Le pays de Sault est un vaste plateau à l'altitude de 900 à 1100m, situé à l'ouest des villes de Quillan et d'Axat et délimité comme suit : à l'est, les escarpements rocheux de l'Aude et de son affluent l'Ayguette; au midi le massif montagneux de Madres (2.400m), le cours de l'Aude supérieure et la crête des Pailhères (2.000); à l'ouest, le cours de l'Hers, haut affluent de l'Ariège; au nord, les crêtes des forêts de Bélesta, Sainte-Colombe et Puivert, et le revers septentrional ou bac des forêts de Comefroide-Picaussel, du Trabanet et de Callong-Mirailles. Il confinait au pays de Fenouilhèdes, au Capsir, au Donezan et au Razès. Il correspond actuellement aux cantons de Belcaire en totalité et d'Axat et Quillan pour partie. Sa superficie est d'environ 370km carrés, dont moitié

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· Description des Pyrénées, t. II, pp. 10-12, 45-47 et suiv.

· Dictionnaire des Forêts. - Discours préliminaire.

- Grand-maître enquêteur et général réformateur des Forêts.

à peu près est boisée. Le torrent du Rebenty, affluent de l'Aude, redouté. pour l'abondance et la soudaineté de ses crues, et, plus au sud, l'Aude ellemême traversent le plateau de l'ouest à l'est et le divisent en trois bandes : au nord, une première terrasse, altitude 800 à 900", limitée au sud par la profonde et étroite fissure du Rebenty; une deuxième, altitude 900 à 1.000, entre le cours du Rebenty et celui de l'Aude, et la troisième, la plus méridionale, altitude 1.000 à 1.100, au sud d'un coude brusque de l'Aude. Cette dernière bande est souvent nommée le Roquefortès du nom de son principal village, Roquefort-de-Sault.

Séparées uniquement par la profonde faille calcaire du Rebenty, les deux premières terrasses ne forment à l'œil qu'un seul plateau ayant même horizon : au nord, le sombre et long rideau de sapinières qui de Callong-Mixailles à Sainte-Colombe tantôt relève vers le ciel la noire. dentelure de ses crêtes, tantôt se replie en combes ombreuses et froides; au nord-ouest, les sommets de la sapinière de Belesta que franchissent, incessamment poussés par le Cers, les nuages lourds de tempêtes et de neiges; à l'ouest, les croupes boisées de la Benague et les pics des forêts de la Plaine et de Comus, au-dessus desquels la cîme aiguë du SaintBarthélemy perce le ciel de sa tête neigeuse; au sud-ouest, la longue bande de Niave et des crêtes de Gébetx, les sapinières de la Fajolle et de Canelle et le lointain profil du Tarbezou; au sud, dominant les bacs des sapinières de Mazuby, Aspre et Rodome, la cîme d'Ourthizet, verte ou blanche selon la saison; plus loin le pic anguleux de Laguzou et les sommités des forêts de Gesse et de Navarre; en arrière-plan, le lourd massif de Madres; à l'orient enfin, la sapinière de Bessède et les forêts de Quirhaut et de Coudons avec deux échancrures en vue du pays de Fenouilhèdes. L'une, dessinant le confluent du Rebenty avec l'Aude, s'ouvre dans la direction du profil très aigu de la Serre d'Acquières, plus connue sous le nom de montagne de la Pradelle; l'autre, béant au nordest, donne passage à l'interminable ruban de route qui, parti 'du col des Sept-Frères, traverse de Belcaire à Belvis le plateau d'Espezel, se déroule à travers les gorges de Coudons 1 et tombe, par des lacets aux multiples replis dans l'entonnoir de Quillan, mettant en communication la haute vallée de l'Hers avec la vallée de l'Aude.

1.

Ces deux terrasses sont très fertiles et produisent de belles récoltes en

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Ce village tire vraisemblablement son nom des tournants anguleux ou coudes, que la configuration du terrain impose à la route de Luzenac à Quillan. En Languedoc et Provence les angles rocheux sont appelés coudons. V. le roman de Tamaris dans lequel George Sand explique de même le nom de la montagne calcaire de Coudon, près de Toulon. V. aussi Joanne, Guide de Provence.

céréales et plantes fourragères : celle d'Espezel, assise en terrain quaternaire et sur les calcaires inférieurs du terrain crétacé, compte quelques communes riches et populeuses, Belcaire, Espezel, Roquefeuil, et d'autres assez pauvres, Quirbajou, Coudons, Belvis, Camurac et Comus ; celle de Rodome, constituée à l'ouest par les calcaires înférieurs du terrain secondaire, au centre par des émergences de schistes cristallins et de granit, à l'ouest par des schistes calcaires ou des calcaires dolomitiques, a pour communes principales Aunat, Rodome et Bessède, et comme moindres villages Mazuby, Fontanes, Galinagues, le Clat et Artigues. Profondément encaissé entre elles coule, avec une pente de 43mm par mètre sur un cours de 32 kilomètres, le Rebenty, qui traverse et souvent dévaste les villages de Lafajole, Mérial, Niort, Belfort, Joucou, Marsa et la commune de Cailla.

La partie la plus haute du plateau forme la 3 terrasse; toute la bordure nord-est est constituée par les calcaires primitifs que recouvrent les sapinières de Gesse et de Navarre. Au revers méridional (soulane) de cette bordure, apparaît le granit qui occupe alors le terrain sans partage jusqu'à la limite du département et présente vers l'est d'énormes amas chaotiques dont les blocs atteignent communément cinquante mètres cubes. Trois villages seulement: Roquefort, le Bousquet et Escouloubre. Le plateau est couvert par de belles cultures céréales, fourragères et quelques prairies naturelles et bordé au sud par la forêt domaniale de VilleneuveRebiscané et les forêts particulières de Montné, Gravas et Lapazeuil1.

C'est seulement sur la première de ces trois terrasses que la commission de 1560 avait à opérer: les forêts de Gébetx, Mérial et la Fajole faisaient partie des domaines de l'archevêché de Narbonne. Celles de Niave, Aspre et Canelle, Gesse-Domaine, Villeneuve-Rebiscané, et Gravas, alors domaniale, étaient aussi l'objet d'usurpations, mais moins criantes que celles qui s'attaquaient aux forêts de la première zone, et d'ailleurs elles étaient plus reculées, d'accès moins facile. C'est sans doute le motif qui empêcha les commissaires de la 1re réformation de s'en occuper.

Les routes servant de débouché à ce haut pays sont souvent obstruées l'hiver par les neiges; aussi l'habitant reste-t-il parfois pendant quinze à vingt jours, et à plusieurs reprises, sans communication possible avec les vallées adjacentes.

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1. Tout ce haut pays est favorisé chaque année d'un abondant passage de cailles qui fait la joie des chasseurs de la région.

Première Réformation forestière en Languedoc.

En 1561, Laurens de Papus, lieutenant-général en la maîtrise des eaux et forêts de Languedoc, résidant à Toulouse, vient à Quillan sur la réquisition du Procureur du Roi en ladite maîtrise, et, du 2 juillet au 11 août, procède à une visite complète des bois du pays de Sault et à une information régulière contre les principaux détenteurs précaires, usurpateurs et dégradateurs des forêts du roi.

Sont assignés les possesseurs de fiefs ci-après désignés :

François de Pisse, archevêque de Narbonne, seigneur de Quillan, etc., etc., les seigneurs de Guirauld, de Roquefort, d'Escouloubre, d'Axat, de Nébias, de Puyvert, de Chalabre, de Saint-Ferréol, de Belvianes, de Vynie1 (?), de Saint-Louis, de Gincla, de Mirepoix (Lévis), de Lhéran (Lévis) et le syndic du chapitre de l'Église collégiale de Saint-Paul de Fenouillet, tous intimés à raison des bois «qu'ils prétendent avoir joignant les forêts royales, aux fins de bornage et pour faire apparoir des titres par eux prétendus >>.

Partis de Toulouse le 2 juillet, les commissaires, après avoir couché le premier soir à Châteauneuf-d'Arry (Castelnaudary), sont le second jour à Carcassonne pour conférer de diverses affaires avec le Trésorier, déjeunent à Limoux le 4 juillet et vont coucher à Quilhan, logis de la Vacque. Le lundi 6 juillet, commence l'enquête; jusqu'au 10 juillet, les commissaires restent à Quillan pour entendre les parties assignées, prendre ou donner acte de leurs acquiescements, oppositions ou réserves au sujet de la réformation projetée, et leur donner rendez-vous pour les reconnaissances contradictoires auxquelles il va être procédé. Le 11 juillet, les commissaires quittent Quillan, accompagnés des gardes, et font halte à Coudons, village commandant la gorge par laquelle passe la route qui monte au pays de Sault; dans l'après-midi, on fixe les limites entre la forêt royale de Callong et les bois de l'Agre, appartenant à l'archevêque de Narbonne, sans qu'il apparaisse contradiction de la part du procureur fondé de ses pouvoirs.

Sans vouloir suivre pas à pas la commission dans sa longue et fastidieuse tournée de délimitation des forêts de Callong, Combefroide, P.caussel et Aspre et des bois de Valentel et Joucou, nous résumerons aussi brièvement que possible les principaux incidents.

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La commission était très sommairement composée du lieutenant général de la maitrise de Toulouse, du procureur du Roi à Toulouse, et d'un greffier.

2.

X. - 6

TOME XXII. JUIN 1896.

Sur une longueur développée de près de quatre lieues, depuis le canton de Mirailles de la forêt de Callong jusqu'à l'extrémité de la forêt de Combefroide, qui confine à celle de Bélesta, quatre possesseurs de fiefs sont en contestation de limites avec le roi, ou plutôt à l'état d'usurpation invétérée et permanente: ce sont les seigneurs de Nebias, de Chalabre, de Puyvert et de Lhera.

Le seigneur de Nebias, dont les domaines vont du canton de Mirailles au col de Laigue dans la forêt de Picaussel et comprennent les montagnes de Turis et du Trabanet et les bois de la Malayrède, est le premier qui ait à répondre à l'assignation des gens du roi. Sa tactique, comme celle de tous les autres riverains qui ont empiété sur la forêt, est bien simple: ne jamais comparaître en personne, se faire représenter par des gens dépourvus de mandat régulier que l'on pourra avouer ou désavouer suivant le cas, récuser les experts proposés par le Procureur, invoquer des titres et n'en produire aucun et, au cas de mise en demeure, demander délais sur délais, afin de temporiser et d'éviter jugement et amendes... C'est ainsi que, le 11 juillet, Turely, procureur répondant au nom du seigneur de Nebias, élève contestation, récuse les témoins de Coudons et de Belvis pris pour indicateurs des limites. Le Procureur du Roi répond que ce sont les plus anciens du pays et que Turely les a acceptés pour bons, lors de la délimitation avec l'archevêque. Là-dessus Turely dit n'avoir charge ni pouvoir pour contester ni défendre. Le Procureur du Roi déclare alors que l'occupation en outrepasse est évidente, et «atten« du que Turely et ses adjoints, après s'être avoués pour ce propriétaire << se désavouent et ont ainsi fait perdre du temps et manqué à la justice << du roi», le lieutenant les condamne chacun à l'amende et ordonne que le seigneur de Nebias sera mis en demeure de comparaître en personne ou par procureur suffisamment fondé. La marche de l'opération étant ainsi entravée dès le début, la commission retourne à Belvis, où elle prend logis.

La 15 juillet, le seigneur de Nebias ne comparaît ni en personne ni par procureur: la Commission se transporte néanmoins avec ses indicateurs, les baillis de Belvis et d'Espezel et divers anciens du pays de Sault ou de Nebias, sur les limites des propriétés du riverain assigné, et là, donne défaut contre celui-ci et, prenant pour experts les habitants desdits pays alors présents, déclare que le seigneur de Nebias a usurpé, sans titre mais aussi sans contradiction aucune visite ni réformation n'ayant été faite depuis cent ans, déclare en outre que les consuls de Nebias, en prétendant que la communauté de Nebias est usagère dans les bois jouis par le sieur de Nebias, mais revendiqués au nom du Roi,

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