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sont de mauvaise foi. Elle procède donc à la délimitation nonobstant tierce opposition ou appel du bailli et des consuls, ordonne le bornage immédiat et défend de troubler le Roi en sa possession et jouissance, à peine de 10.000 livres d'amende. Elle constate ensuite quantité d'usurpations consacrées par plantation de fausses bornes apportées dans la forêt du Roi le long du ruisseau de la Marayrède et là carrées et bezoignées par un certain Alberny, de Quillan qui, ayant acheté des bois du Trabanet, s'était sans doute chargé de couper en outrepasse et de procéder à un faux bornage. Elle trouve ensuite, au soula de Costebelle (Coumebeille actuelle), un grand brûlis de bois de haute futaie et prescrit d'informer contre un sieur Raynaud, accusé d'être l'auteur de cet incendie avec dessein de cultiver le sol.

Le 16 juillet, on continue la reconnaissance au Pla de la Bidorte et comme on constate d'innombrables délits de coupe et enlèvement de bois d'œuvre, les assistants déclarent « qu'il est à leur connaissance comme « chose de voix et fame publique que le baile de Nebias, sous couleur « de quelque bois qu'il emploie des forêts du roi, entreprend de marquer << de sa marque tout le bois d'où qu'il provienne; et, pour garantir les « délinquants de poursuites, martèle leurs délits moyennant un sol de la « pièce partout où il en est requis; et par ce moyen tous les habitants de « Nebias se mêlent de faire postam (de la planche) 1 et d'en faire com«merce ». Mêmes délits sur la continuation du parcours aux Sarrats de las Tornerisses et de la Vernède. La délimitation amène la Commission au chemin de Lescale, en face le lieudit le Chandelier : au col de Laygue elle trouve un grand défrichement «< afforesté » et vendu par le seigneur de Nebias.

A chaque pas d'ailleurs, nouvelles traces de délits jusqu'à ce qu'on arrive à la Forcaderme 2, où cessent les terres de Nebias pour commencer celles du seigneur de Chalabre et de M. de Joyeuse, lieutenant du Roi, seigneur d'Orgnes et de Puyvert. M. de Puyvert le prend encore de plus haut que M. de Nebias, et la Commission, malgré l'assignation donnée, ne trouve devant elle qu'un sieur Roque, mandataire de M. Astruc, procureur de M. de Puyvert. Roque déclare que M. de Puyvert n'a pas encore rendu réponse au sujet des assignations qu'il lui a transmises, et cependant désigne des experts que le Procureur du Roi récuse, les déclarant suspects à cause de leurs privilèges et usages dans les bois de M. de Puyvert. Roque répond qu'il ne peut davantage s'en rapporter

1.

Postam ou Postem, du lat. postis, porte, la porte étant faite de planches. 9 Ce point semble être celui dénommé actuellement Fountdournou.

au dire d'experts pris d'office par la Commission, qu'aussi bien M. de Puyvert ne prétend rien sur la forêt du Coi à laquelle il ne touche que par la pointe de ses bois, les confrontations principales étant avec les seigneurs de Nébias et de Chalabre. Le Procureur soutient que certaines parties de la forêt du Roi et « bois noir » lui appartenant sont occupés par les seigneurs de Nebias, de Chalabre et de Puyvert et le lieutenant général ordonne que celui de Puyvert fera apparoir ses titres dans le délai d'un mois.

Le 17 juillet, la Commission, après une matinée consacrée à l'examen des titres du chapitre de Saint-Paul de Fenouillèdes, quitte Belvis à 9 heures et se dirige sur la Fontadrine (Fountdournou ?), où les bois du seigneur de Chalabre confrontent la forêt de Combefroide. Absent encore, le seigneur de Chalabre; le bailli de Rivel, qui se présente pour lui, ne produit aucun titre; on passe outre à la délimitation et, en suivant la ligne de démarcation dans la direction de la forêt de Bélesta, on reconnaît de nombreuses dévastations. Le bailli explique que ces exploitations sont du fait des semaliers 1 de Rivel qui se déclarent décidés à continuer de couper comme ils l'ont fait jusqu'ici. Le Procureur ordonne de faire appeler les consuls de Rivel afin d'en exiger les noms des délinquants. On procède au bornage avec le seigneur de Chalabre depuis les Emprades de la Helme en se dirigeant vers les diverses Entonades du Fau.

Le 18 juillet, on passe des bois du seigneur de Chalabre à ceux du seigneur de Lhera. Trois jours auparavant, le sieur Barat, lieutenant du juge de Lhera, se présentant pour ce riverain, a requis délai pour faire foi de ses archives, titres et documents qui sont entre les mains du vicomte de Razès, son tuteur honoraire. Le Procureur s'y est opposé, disant que, «< malgré de nombreux délais précédents, le seigneur de Lhera <«< continue ses usurpations, ne daigne faire foi de ses titres et ne cherche « qu'à rendre affaire et procès immortel »; mais sur l'insistance de Barat, le Procureur a consenti un délai de trois jours, expiré le 18 juillet. Le Procureur expose que le seigneur de Lhera empiète sur les bois du roi depuis le lieu où la Commission se trouve, l'Entrade, jusqu'à une licue plus loin, à la Peyrouse et à la Jasse de las Vacques, et ce sans titres et malgré sommations réitérées d'avoir à en produire; il requiert donc que, faute par lui d'avoir produit, il soit déclaré forclos et qu'il soit procédé au bornage à dire de prud'hommes. Barat demande que chaque partic nomme ses experts. Le Procureur répond que pour lui il n'a d'autres experts à proposer que ceux qui ont servi jusqu'ici, mais que le

1. Fabricants de comportes servant au transport de la vendange,

syndic peut désigner les siens s'il lui plaît. Barat, pour faire bon compte, désigne douze experts et récuse comme suspects tous ceux du pays de Sault à cause des usages par eux prétendus dans les bois du Roi. Le Procureur se récrie avec raison et dit qu'il est absolument contraire aux coutumes et tout à fait étrange de récuser en bloc tout un pays de plusieurs lieues de long, qu'il n'a pas connaissance d'usages possédés par les gens du pays de Sault en ces parages, mais qu'au contraire les experts de Barat lui sont fort suspects comme vassaux du seigneur de Mirepoix, proche parent du seigneur de Lhera. Mais, pour abréger, le Procureur consent qu'on fasse désigner par les consuls des divers villages illec étants les habitants les plus experts et les plus capables. Barat conet nie ..... se réservant de récuser et d'objecter comme bon lui

.....

sent semblera.

Le lieutenant prend conseil des consuls présents de Belcaire et Roquefeuil, qui lui désignent cinq experts de Belcaire et six de Roquefeuil <«< comme anciens consuls, et en administration de république expéri<«< mentés de plusieurs choses, ayant hanté le pays, sachant bien les en« droits des forêts du roi, pouvant déposer de la vérité et ne voulant «< charger leur conscience, et ainsi en ont juré ». Barat persiste à récuser les experts proposés disant que les gens de Belcaire et Belvys sont suspects comme ayant été condamnés pour délits dans les bois du seigneur de Lhera, il veut sans doute dire dans les bois usurpés par le seigneur de Lhera, qui sont bien plus à leur portée, et pouvant lui en garder rancune. Le Procureur nie le fait, mais consent à la récusation de ceux qui auraient été condamnés. Barat demande délai pour s'enquérir de la moralité des experts.

Cette fois encore la tactique de temporisation et de résistance par inertie prévaut contre la ténacité et la volonté d'aboutir de la Commission. Le lieutenant général accorde au seigneur de Lhera délai de deux mois pour produire des titres. Or, dans les Pyrénées, en ce temps-là, un délai de deux mois équivalait au renvoi à un an. Ai-je écrit un an? quel lapsus! c'est un siècle qu'il faut dire, car nous ne verrons l'affaire reprise qu'en 1667, par M. de Froidour, qui, bien entendu, n'était pas, lui non plus, né assez tard pour en voir la fin. Le lieutenant général ordonne néanmoins que, sans préjudice des droits des parties et par provision, il sera procédé au bornage à dire d'experts pris d'office si les parties ne peuvent s'entendre sur le choix, et fixe au 23 juillet la date de cette opération.

Le 23 juillet, la Commission se retransporte à la Jasse de las Vacques. Le seigneur de Lhera faisant défaut, les experts pris d'office désignent

clairement, bien qu'en l'absence de tous signes de bornage, les limites de la forêt. Comme la Commission commence à procéder à ses opérations au col de Tudel, Barat arrive juste à point pour récuser les experts on lui répond qu'il n'y a plus lieu de récuser ; qu'il ne s'agit que de bornage et non d'informer sur des usurpations; on rappelle que, dès l'an 1557 ordonnance est intervenue défendant au seigneur de Lhera d'usurper sur le Roi, et spécifiant les limites; de laquelle ordonnance il n'a pas été appelé; qu'il n'a tenu compte de ces défenses, n'a produit aucun titre, et actuellement ne sait ce qu'il demande'; qu'il n'est point venu élire des experts lorsqu'il en était temps; que, d'autre part, la Commission est ici à grands frais et dépens du Roi; le Procureur requiert donc qu'on procède sans désemparer à vérifier les limites et borner à dire d'experts. Le Lieutenant général décide qu'il sera fait ainsi. Barat dit qu'il en appelle, mais la Commission rejette son appel et passe outre.

Au col de Tudel on plante une borne prise d'un rocher en ce lieu sur lequel roc on grave une fleur de lys, et, sur un avet (sapin) une croix, et entre le rocher et le sapin est un chemin qui sépare le roi au midi du seigneur de Lhera au nord.

De là, droit à la Jasse del Campel dels Banquels à un rocher où est gravée une fleur de lys et en regard un chêne sur lequel est tracée une croix. De là jusqu'au demi-soula de la Prohenque, où a été posée une borne de limite. Puis de la Prohenque à la Jasse de Lanclause jusqu'au rec de la Frau où est une fleur de lys ancienne. Ainsi se termine la délimitation de la longue bande de forêts de sapins, faisant partie du domaine de la couronne qui, couvre la ligne de crêtes séparant le pays de Sault de la plaine de Nebias et de Puyvert.

Pour ne pas interrompre le résumé des contestations de la Commission avec les quatre riverains possesseurs de fiefs limitrophes des forêts royales nous avons dû négliger un incident qui se place à la date du 18 juillet et qui donne la mesure de l'apathie et de l'incurie des officiers qui se disaient alors investis des fonctions de surveillance et d'administration des forêts du Domaine.

Le 18 juillet, immédiatement après avoir constaté les usurpations du Seigneur de Lhera, le Procureur du Roi expose que tous les abus et malversations sont dus à ce que les deux forestiers du pays, Jean Bajuli à Limoux et Montaud à Carcassonne, bien qu'ils soient en charge depuis trente ans en çà, n'ont jamais fait service au roi, visité les forêts, ni fait

1.- A noter ce nom porté par un forestier et qui équivaut au mot actuel baliveau. V. Littré, à ce mot.

aucune expédition pour s'acquitter des devoirs de leur charge; il requiert tous les habitants du pays de Sault, là présents, de déclarer s'ils connaissent ces deux forestiers et s'ils les ont jamais vus visiter ou garder les forêts. Sur quoi, le bailli du roi au pays de Sault, son procureur, les baillis d'Espezel et Belcaire, les consuls de Belcaire, Roquefeuil et Belvys déclarent qu'ils connaissent Bajuli et Montaud se disant forestiers à Limoux et Carcassonne, mais ne les ont jamais vus faire aucun service de garde ni de visite, bien que les forêts soient au pillage depuis longtemps. Le Procureur prend acte de ces déclarations.

Avec les gens d'église, la lutte n'est pas moins vive, moins intéressante qu'avec les gentilshommes possesseurs de fiefs, mais la tactique varie un peu au lieu de procureurs rompus à la chicane et ayant mission de reculer, s'il le faut, mais de ne céder jamais, la Commission aura en face de soi l'un des défendeurs en personne, tantôt le syndic, tantôt le Trésorier du Chapitre, qui produisent des titres..... mais il faut voir quels titres !

Le 12 juillet, à Belvis, dans la maison de Johan Tailhan, baillif, la Commission instruit la cause de Jean Cathalany, syndic du chapitre de l'église collégiale de Saint-Paul de Fenouillèdes, lequel, à Valentel, Able et Campagram, a fait couper et charbonner, pour les forges du chapitre, des bois du Roi, et plus, a fait ensuite labourer le fonds et a perçu la dîme de la récolte. Le chapitre défaillant à cette instance est condamné à 4.000 livres d'amende et à replanter et semer le fonds.

Le 16 juillet, le syndic se présente et exhibe une charte de fondation de l'abbaye de Joucou scellée de cire jaune. La Commission, occupée ce jour-là à la reconnaissance de limites avec le seigneur de Nebias, renvoie l'affaire au lendemain pour examen des titres.

Dans la matinée du 17 juillet la Commission procède à cet examen : le Procureur du Roi expose que la prétendue charte d'institution en nom de Salaman, abbé de Jocque, est simulée comme n'ayant jour, ni lieu, ni date; il remarque en outre qu'en cette charte on mentionne que, « pour honneur de Dieu, service divin, et occasionner jeunesse à << science et vertu sont élus abbés et religieux au dit Jocou », tandis qu'aujourd'hui il ne s'y voit ni abbé, ni religieux, ni service autre que celui de paroisse, et il en conclut que, pour parler aux religieux leur langue et en même temps celle du droit, « cessante causâ cessat effectus >> Il remarque en outre que quand bien même le titre serait valable il n'au toriserait en rien les usurpations reprochées au chapitre. Cathalany, syndic du chapitre, répond que le titre émane du « roi Charlemagne » et dit que, « de ce temps, on n'observait pas les solennités opposées par

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