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Il n'en est plus ainsi aujourd'hui, car le principe en vertu duquel elles sont autorisées trouve sa condamnation même dans le nouvel article 105 du Code Forestier.

Le partage des bois de construction non vendus doit être fait à parts égales, prescrit la loi nouvelle; or, les coupes d'urgence et autres, qui viennent d'être rappelées, attribuent à un ou plusieurs habitants d'une commune des bois de construction alors que les autres habitants ne reçoivent rien.

La répartition de l'affouage en bois de construction d'après le toisé des bâtiments a été supprimée par la loi nouvelle; or les coupes dont nous venons de parler distribuent aux habitants, qui en reçoivent les produits, des parts proportionnelles à leurs besoins exprimés, c'est-àdire au toisé de leurs bâtiments.

Ces pratiques qui se sont perpétuées après la loi sont donc manifestement condamnées par elle.

S'en suit-il qu'il doive y être apporté un terme, qu'on doive cesser de délivrer des bois d'urgence, des coupes extraordinaires de bois dépérissants, d'éclaircie, de chablis ayant pour objet de donner satisfaction à des besoins isolés? Nous ne le pensons pas, car ces délivrances répondent à des besoins impérieux qui, le plus souvent, ne peuvent recevoir satisfaction sous une autre forme.

Tel habitant d'une commune est indigent, ou peu s'en faut; sa maison est incendiée, il n'a point suffisamment de ressources pour acheter les bois nécessaires à la reconstruction de son immeuble, refusera-t-on à ce malheureux la possibilité de rebâtir un abri pour sa famille? Tel autre, plus fortuné, voit son chalet de la montague écrasé par la neige ou emporté par une avalanche; pour le rétablissement de la charpente les bois du commerce coûteraient, par leur transport à pied d'œuvre, deux fois, trois fois leur prix d'achat; à cent mètres de distance du chalet détruit, deux cents mètres au plus, la forêt communale peut fournir les bois nécessaires. Va-t-on obliger ce propriétaire à faire une dépense double ou triple, en lui refusant les bois qui sont à sa portée ? Une telle rigueur constituerait sans contredit l'application la plus palpable du vieil adage romain « summum jus, summa injuria ».

Mais pour sortir de l'illégalité qui, depuis la loi de 1883, caractérise toutes les coupes dites d'urgence, aussi bien que celles, de toute autre nature, extraordinaires, bois dépérissants, éclaircies, chablis, etc., qui ont pour objet de donner satisfaction à des besoins isolés, dans une proportion interdite par la loi elle-même, il importe que le législateur ap

porte à son œuvre de 1883 un tempérament exigé par des situations aussi intéressantes qu'impérieuses.

Au principe d'égalité posé en 1883 une dérogation s'impose en faveur de l'habitant qui est trop pauvre pour acheter les bois dont il a besoin, ou de celui qui pourrait trouver dans la forêt communale, même en les payant à leur valeur réelle, des bois à moitié prix de ceux qu'il se procurerait par la voie du commerce: au premier, la loi peut accorder une délivrance gratuite, du moins pour un volume déterminé; au second elle doit offrir la faculté d'une délivrance à prix d'argent sur évaluation d'experts.

D'ailleurs, loin d'être en opposition avec le principe d'égalité posé par la loi de 1883, des dérogations de cette nature consacrent au contraire les principes démocratiques de notre société moderne.

En tous cas, il est certain que la situation irrégulière créée par la loi de 1883 ne peut durer et qu'il est temps d'introduire dans notre code telles dispositions qui font rentrer dans la légalité des mesures administratives inévitables.

R. MER.

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N° 30. COUR D'APPEL DE PARIS (6o Ch.).

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7 Nov. 1895.

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Commet une imprudence de nature à engager sa responsabilité en cas d'accident le patron qui installe et laisse fonctionner, ne futce que momentanément, une scie dépourvue d'organes protecteurs, et ce dans un atelier où elle était à la portée des ouvriers souvent peu soucieux de leur sécurité: il lui appartient, pendant tout le temps que la scie reste dans ces conditions défectueuses, d'en empêcher absolument l'accès ou tout au moins de veiller à ce qu'elle ne puisse être mise en mouvement et utilisée, et de prendre les dispositions nécessaires à cet effet.

PARROCHE C. SOCIÉTÉ L'IMPRIMERIE DES ARTS ET MANUFACTURES

LA COUR,

Considérant qu'il est établi par les documents soumis à la cour et par les circonstances de la cause que, le 21 mai 1691, Parroche a été blessé au bras droit, dans un atelier de la société de l'Imprimerie des arts et manufactures, par une scie circulaire en mouvement à laquelle il travaillait et qui n'était pas munie d'appareils protecteurs;

Considérant qu'il n'est nullement justifié que Parroche ait reçu l'ordre de travailler à cette scie, et qu'il est d'autre part constant que, dans le même atelier, fonctionnait une autre scie, celle-ci suffisamment garantie, dont Parroche eût pu se servir, mais qu'il n'en subsiste pas moins un élément de responsabilité à la charge de la société ;

Considérant, en effet, qu'on doit retenir comme une imprudence le fait d'avoir installé et laissé fonctionner, ne fût-ce que momentanément, une scie dépourvue d'organes protecteurs, et ce, dans un atelier où elle était à la portée des ouvriers souvent peu soucieux de leur sécurité personnelle; que, pour n'encourir aucune responsabilité, la société aurait dù, pendant tout le temps que la scie resterait dans ces conditions défectueuses, en empêcher absolument l'accès ou tout au moins veiller à ce qu'elle ne pût être mise en mouvement et utilisée, et prendre les dispositions nécessaires à cet effet;

Considérant que la société n'ayant pris aucune précaution de ce genre est manifestement responsable;

Mais considérant que Parroche, ouvrier expérimenté, employé depuis longtemps dans l'atelier, aurait dù s'abstenir de se servir d'une scie dont il ne pouvait ignorer que le maniement était dangereux et utiliser l'autre scie qui était suffisamment protégée; qu'il a ainsi à se reprocher une imprudence grave qui atténue dans une large mesure la responsabilité de la société ; que la cour possède des éléments qui lui permettent de fixer à 1.000 francs le montant des dommages-intérêts que la société doit supporter;

Par ces motifs,

Infirme le jugement dont est appel;

Décharge l'appelant des condamnations lui faisant grief;

Statuant à nouveau:

Déclare la société l'Imprimerie des arts et manufactures responsable de l'accident dont Parroche a été victime;

La condamne en conséquence à lui payer la somme de 1.000 francs à titre de dommages-intérêts;

Ordonne la restitution de l'amende ;

Condamne en outre ladite société en tous les dépens de première instance et d'appel.

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Présidence de M. Calary. M. Lombard, subst. proc. gén. Mes Poignard et Strauss, av.

Note.—V. sur la responsabilité civile du patron en cas d'accident causé par une scie circulaire: Trib. comm. Seine, 12 septembre 1894 (Gaz. Pal. 94.2.438), et sur appel Paris, 3 avril 1895 (Gaz. Pal. 95.1.579) et les notes sous ces décisions.

(Gaz. Pal.)

No 31. COUR D'APPEL D'ORLEANS.

Responsabilité civile.

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Préposé. 1o Ouvrier inexpérimenté.
Travail non' dangereux.

Accident. Absence de faute. Scie circulaire.

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2 Appareil protecteur.

10 Si un reproche peut être adressé à un patron qui, sachant un ouvrier novice dans une profession, lui confie dès le début et sans avertissements suffisants une besogne très délicate et très dangereuse, il n'en est pas de même si ce travail ne présente aucun danger en lui-même.

Spécialement, ne commet aucune faute le patron qui emploie à la scie circulaire un ouvrier novice, s'il lui confie seulement le soin de recevoir et de renvoyer la pièce de bois, sans avoir ni à toucher la scie ni même à produire le contact entre la scie et le bois à débiter;

2o Si l'on peut concevoir et s'il existe pratiquement un appareil protecteur recouvrant en partie la scie circulaire destinée à couper ou découper des bois de faible volume ou de petite épaisseur, et surtout d'épaisseur à peu près régulière, il n'en est pas de même de la scie destinée à opérer le débit des fortes pièces de bois en grume de forme et d'épaisseur irrégulières.

Par suite, ne commet aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité en cas d'accident le patron qui néglige de munir une scie circulaire de cette nature d'un appareil protecteur.

CIRODDE C. THIBAULT-MARTIN.

Le 5 mars 1895, le Tribunal civil de Gien avait rendu le jugement

suivant.

Considérant que l'enquête a très nettement établi la matérialité des faits et les circonstances de l'accident; qu'il en résulte que, le 11 avril 1893 au matin, à Blancafort, Thibault-Martin et Cirodde se sont mis au travail ensemble à la scie circulaire et qu'ils avaient à débiter en voliges des bois en grume d'assez fortes dimensions; que Thibault-Martin, placé à l'une des extrémités du banc de scie, poussait lui-même la pièce de bois contre la scie et la dirigeait ; que Cirodde, placé à l'autre bout du banc, à 1 m. 20 environ du bord de la scie, avait pour mission de recevoir la pièce, et une fois la volige détachée de renvoyer cette pièce à Thibault-Martin en la poussant sur des rouleaux à droite du plan vertical contenant la scie, afin que Thibault ressaisissant la pièce pùt la placer à nouveau contre le guide et recommencer l'opération; que plusieurs voliges ayant été détachées de la pièce de bois, Cirodde, alors que cette pièce se trouvait au bout de sa course et qu'il avait à la renvoyer comme il a été dit, la repoussa de travers et l'envoya buter contre la scie; que la scie, animée d'un mouvement de rotation rapide, mordant dans la pièce de bois, la souleva au-dessus de l'établi en menaçant de la lancer sur Thibault; qu'aussitôt Cirodde, quittant

place et s'approchant de la scie chercha à rabattre le bois soulevé, et qu'à ce moment sa main gauche fut atteinte par la scie;

Considérant qu'il y a lieu de remarquer tout d'abord que Thibault n'a commis aucune faute dans l'accomplissement matériel même de sa besogne, et que notamment il est inexact qu'il ait violemment poussé la pièce de bois sur Cirodde et que celui-ci, ayant à la soutenir, ait engagé sa main sous la scie, fait qui a été articulé et offert en preuve par le demandeur; qu'il résulte au contraire de l'enquête que c'est Cirodde qui, ayant commis une fausse manœuvre, a quitté la place à lui assignée et hors de toute atteinte possible de la scie, pour venir à la hauteur du milieu du banc de scie essayer de réparer sa maladresse; que la responsabilité de l'accident, au point de vue de la manœuvre même, n'incombe donc en aucune façon à Thibault, mais uniquement à Cirodde; Considérant, à un autre point de vue, que la machine cause de l'accident était en bon état à la date du 11 avril 1893, comme elle l'était encore lors du transport du magistrat enquêteur, et que, le 11 avril 1893, elle était normalement établie; que s'il est exact qu'elle était alors placée sur un terrain légèrement en pente, les pieds du haut (côté de Thibault) avaient été enterrés dans le sol, et ceux du bas (côté de Cirodde) un peu surélevés; que les témoins entendus sur ce point, sauf un seul dont la déposition est manifestement exagérée et par suite doit être admise avec circonspection, sont d'accord pour dire que la place occupée par Cirodde se trouvait en contrebas de 5 à 6 centimètres seulement; qu'en conséquence, le plateau de la scie, haut seulement de 88 centimètres et non d'un mètre, comme il avait été articulé par le demandeur, n'était au plus qu'à 89 ou go centimètres du sol du côté de Cirodde, et que celui-ci malgré sa petite taille (1 m. 53) pouvait facilement manœuvrer la pièce de bois ; que, de ce chef, on ne saurait donc établir aucune faute à la charge de Thibault;

Considérant qu'il était bien exact que Cirodde était boucher de son état avant d'avoir travaillé pour le compte de Thibault; mais qu'il serait malvenu à faire un grief à ce dernier de lui avoir donné de l'ouvrage, alors que, suivant un témoin, son commerce n'allant pas, il cherchait fortune ailleurs; qu'il n'ignorait pas le genre de service que Thibault, entrepreneur de scierie mécanique, pouvait lui demander; qu'il n'a qu'à s'en prendre à lui-même s'il a volontairement entrepris une besogne à lui étrangère dont il n'avait aucune habitude; qu'un reproche pourrait être adressé à Thibault si, sachant combien Cirodde était novice dans la nouvelle profession qu'il exerçait depuis quelques jours, il lui avait, dès le début et sans avertissements suffisants, confié une besogne très délicate et très dangereuse; qu'il n'en est pas ainsi en l'espèce et que, dans le travail qu'il exécutait lors de l'accident, Cirodde n'était en quelque sorte que le servant, n'ayant ni à toucher la scie, ni même à produire le contact entre la scie et le bois à débiter;

Considérant qu'il n'est en aucune façon établi que, le matin de l'accident, Thibault est arrivé à son travail en état d'ébriété; que ce fait, d'ailleurs, fùt-il établi, n'avait aucune conséquence, puisque l'accident n'a pas été occasionné par un faux mouvement de sa part, mais bien de la part de Cirodde; qu'il n'est pas établi davantage que Thibault ait fait boire Cirodde d'une manière exagérée et que celui-ci ait été pris de boisson lors de sa mise au travail, et cela par la faute de son patron ;

TOME XXII. JUILLET 1896.

X. - 6

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