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COUR D'APPEL DE PARIS.

Doit-on avoir égard, pour la fixation des mémoires de médecins, à la fortune et à la qualité du malade? (Rés aff.)

Ve HAVIER, C. TALLIEN.

Quelque temps après l'événement du 9 thermidor, Tallien l'un des héros de cette journée, tomba malade. La Conven dont il était l'un des membres les plus distingués, parut prendre le plus vif intérêt à sa santé; elle ordonna que le bulletin de sa maladie lui serait transmis, chaque jour, à l'ouverture de ses séances. Cependant le malade, très-souvent visité par le docteur Havier, son médecin, recouvra bientô après la santé, et fut enfin rendu aux vœux ardens de ses collègues, et aux fonctions importantes qui lui étaient confiées, comme membre du comité de salut public.

Le docteur, qui avait eu l'art de sauver les jours du repré sentant, n'eut point celui de prolonger les siens, car il mourut quelque temps après.

Sa veuve s'est alors déterminée à demander le remboursement des honoraires dus à son mari; elle en a fourni le mémoire, Résistance de Tallien à cette juste demande, fondée 1° sur ce que le docteur avait reçu des cadeaux précieux, et bien supérieurs, dans son opinion, à ses soins; et 2o sur ce que ses honoraires lui semblaient excessifs.

Sur cette contestation, il intervient un jugement de première instance, qui condamne Tallien à payer la somme demandée.

En appel, vu que les parties étaient en discord sur le quantum des honoraires, et sur la véracité de la déclaration consignée par le docteur, dans son journal, le tribunal a ordonné que, par des experts et gens de l'art, il serait procédé à la vérification du mémoire, pour, sur leur rapport, être ensuite statué ainsi que de raison.

Le docteur Désessarts est d'abord nommé; mais son rap

port ayant été jugé irrégulier, le sieur Guillotin, médecin, lui fut substitué d'office.

Ce médecin, expert, déclare que la somme demandée n'est point excessive, vu les circonstanees et l'époque dont il s'agit, vu aussi la qualité et la fortune du malade. Tallien, continue l'expert, était un des membres les plus marquans de la convention nationale; sa position exigeait plus de soins que celle d'un malade vulgaire; la nation entière s'intéressait à son état : sous ce rapport, il est vrai de dire qu'il exigeait de la part de son médecin, non seulement ses soins exclusifs, mais encore toutes les ressources de son art et tous ses talens. Son opinion était enfin qu'il n'y avait aucun obstacle à ce qu'un médecin pût réclamer, dans un même jour, le paiement des visites, des frais de consultation, et des drogues qu'il aurait fournies dans le cours de la maladie, puisque c'est à lui seul d'apprécier combien les unes ou les autres sont nécessaires : celui qui place sa confiance en lui ne doit point disputer le prix de ses soins, ni moins encore le résultat de ses longues et studieuses méditations.

L'entérinement de ce rapport était contesté par Tallien.

Il ne croyait pas, disait-il, encourir le reproche d'ingratitude en demandant que des honoraires manifestement exorbitans fussent réduits à un taux légitime. Les considérations prises de sa qualité de membre de la convention nationale et du comité de salut public ne lui paraissaient point assez déterminantes pour qu'on dût en conclure qu'on pouvait tripler la mesure du salaire réclamé au nom de la veuve Havier. Si la médecine est un art utile et honorable, c'est un motif de plus pour ceux qui le professent de se montrer modérés dans la répétition du prix de leurs soins. Ón conçoit aisément que les secours de la médecine ne doivent point être gratuitement distribués, et qu'ils doivent être récompensés selon les moyens personnels de celui qui en a été l'objet; mais cette mesure de proportion doit toujours être tempérée par cette délicatesse qui répand un si beau lustre

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sur la conduite de celui qui est voué à la culture des arts libéraux.

Il insistait enfin, en disant qu'il était inouï, jusque alors, qu'un médecin eût cumulé dans ses demandes le paiement de ses soins et de ses consultations pendant la même journée, ainsi que la fourniture de drogues et de médicamens dont la distribution appartient moins à la médecine spéculative qu'à la pharmacie.

Le 3 germinal an 11, ARRÊT de la Cour d'appel de Paris, 2o chambre, par lequel :

« LA COUR, -Vu le règlement du mémoire dont il s'agit, dressé par Guillotin, médecin, nommé d'office, a mis l'appellation et ce dont est appel au néant; émendant, faisant droit au principal, entérine ledit rapport, et condamne Tallien, appelant, à payer à la veuve Havier, es noms, la somme de 2,833 fr. pour, le montant du règlement dudit mémoire, ensemble les intérêts tels que de droit. »>

Nota. De tout temps la médecine a été l'objet de la dérision et des hommages des mortels. A Rome, la sobriété et la tempérance, qui y étaient observées dans le premier âge de la république, firent que les médecins n'y étaient que peu ou point connus; mais lorsque la volupté et le luxe vinrent se naturaliser à la suite de Lucullus et de ses semblables, les infirmités y devinrent communes, et les médecins y furent honorés. Musa, qui rendit la santé à Auguste, fut fait chevalier romain, et comblé de présens par ce prince et le sénat, qui étendit sa munificence sur tous ceux de sa profession: c'est de là que tire son origine l'usage de la faculté de mettre aux doigts du récipiendaire l'anneau d'or qui distinguait la noblesse romaine. Mais personne ne paraît avoir conçu une plus haute idée des médecins, ou, pour parler plus exactement, de la médecine, que le jurisconsulte Ulpien, soit qu'il eût du penchant pour cet art difficile, ou qu'il fût valétudinaire, ce qui est assez vraisemblable: on trouve dans le

Digeste plusieurs passages qui démontrent toute sa prédilection pour cette science. Medicorum eadem causa est, dit-il, quæ professorum, nisi quod justior, quum hi salutis hominum, illi studiorum curam agant. L. 1, § 1, ff., de extraord, cognit.

Les lois françaises cant environné les médecins d'une juste considération. Le Code civil, art. 2101, leur accorde un privilége sur les biens du malade qu'ils ont traité, pour tout ce qui leur est dû à raison des soins qu'ils lui ont donnés pendant sa dernière maladie.

COUR DE CASSATION.

La Régie de l'enregistrement est-elle recevable à demander l'expertise d'une propriété, après l'année de l'enregistrement de l'acte d'alienation? (Rés. nég.)

Au moins suffit-il, pour arréter la prescription annale, que la Régie ait présenté, dans l'année, sa requête tendante à l'expertise, bien qu'elle ne l'ait fait notifier à l'acquéreur qu'après l'expiration de ce terme ? (Rés. nég.)

LA RÉGIE, C. LA DAME CEZEAU.

Le 29 vendémiaire an 9. Enregistrement d'un acte par lequel la dame Cezeau avait acheté un immeuble, pour un prix qui parut à la Régie de beaucoup inférieur à sa

valeur.

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Le 29 vendémiaire an 10. Ordonnance sur requête qui permet à la Régie d'assigner la dame Cezeau, pour voir dire qu'il sera procédé à une expertise du bien, pour, sur le prix de l'estimation, être perçu le droit,

Le 21 brumaire an 10. Assignation aux fins desdites requête et ordonnance.

Jugement du tribunal civil de Condom, qui déclare la Régie non recevable, faute par elle d'avoir fait donner l'assignation dans le courant de l'année.

La Régie, qui s'était pourvue en cassation, disait que l'ordonnance sur requête avait été obtenue dans l'année, et

que l'assignation l'avait suivie de près; que ces différens actes étaient censés n'en faire qu'un ; que l'oreille du juge avait été frappée de la réclamation dans l'année ; que par conséquent le jugement qui l'avait déclarée non recevable était contraire à l'art. 17 de la loi du 22 frimaire an 7, qui lui accordait une année pour se pourvoir.

Reconnaissons avec la Régie, a dit le commissaire du gouvernement, le principe qu'elle a droit de réclamer dans l'année de l'enregistrement de l'acte translatif de propriété l'expertise des biens dont le prix lui paraît inférieur à leur vraie valeur. C'est la disposition précise de l'art. 17 de la loi du 22 frimaire an 7, qui porte : « Si le prix énoncé dans un acte << translatif de propriété ou d'usufruit des biens immeubles « à titre onéreux paraît inférieur à leur valeur vénale, à l'époque de l'aliénation, par comparaison avec les fonds « voisins de même nature, la Régie pourra requérir une « expertise, pourvu qu'elle en fasse la demande dans l'an« née à compter du jour de l'enregistrement du contrat. » Mais la Régie a-t-elle, dans l'espèce, formé sa réclamation dans l'année? C'est la question soumise à votre décision.

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Dans l'année elle a obtenu une ordonnance, à l'effet de se pourvoir : elle ne l'a signifiée qu'après l'année. Voyons quelle est la force d'une ordonnance non signifiée, à l'égard des tiers. Elle est comme non avenue. Julien dit dans son ouvrage: Paria sunt non significari et non esse. Brodeau, sur Louet, lettre D, est de la même opinion. Il n'y a pas de poursuite encommencée tant que l'ordonnance n'est pas signifiée.

L'art. 3 du tit. 35 de l'ordonnance de 1667 permet l'opposition, par requête, dans la huitaine; mais pour que l'opposition soit faite en temps utile, il ne suffit pas que la requête d'opposition existe: il faut encore qu'elle soit signifiée dans la huitaine. Tel est le sentiment des commentateurs de l'ordonnance, notamment de Jousse et Rodier.

Salviat, pag. 386, rapporte un arrêt du parlement de

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