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A plus forte raison lorsque les accords ne parlaient que de douelles de chêne pour foudres, avec indication accessoire de provenance.

L'acheteur de douelles de chêne, à qui il est livré des douelles d'eucalyptus, est donc fondé, même après réception, à laisser la marchandise pour compte et à la restituer (1 espèce).

Alors même qu'il en aurait dénaturé et employé une partie, s'il ne peut exercer le laissé pour compte de cette partie, il a le droit, en pareil cas, à obtenir de ce chef des dommages-intérêts (2a espèce).

Première espèce

(HEDINGER ET BENZI CONTRE CROUZET)

JUGEMENT

Attendu que, le 24 avril dernier, Hédinger et Benzi ont verbalement vendu à Crouzet 200 plateaux chêne d'Océanie, cubant ensemble 11 mètres cubes 332, au prix de francs 135 le mètre cube, dont ce dernier a pris livraison ;

Attendu que les demandeurs ont cité Crouzet en paiement de francs 1551, montant des frais de protêt et retour de la traite tirée en couverture du dit marché, retournée protestée faute d'acceptation;

Attendu que Crouzet, se basant sur ce que les bois dont s'agit ne remplissent pas les conditions du marché et ne sont pas propres à la fabrication des foudres, prétend les laisser pour compte aux demandeurs et en demande la vérification par expert;

Attendu que, si, en principe, une demande en expertise est irrecevable lorsque l'acheteur a pris livraison de la marchandise, ce n'est que tout autant qu'il s'agit de mar

chandise dont l'identité peut être contestée ; qu'en l'espèce, les bois, objet du litige, d'une importation nouvelle, étant pour ainsi dire inconnus sur le marché, portent des mar ques anglaises très apparentes et très faciles à reconnaître ; qu'ils sont tels, en un mot, qu'il ne saurait y avoir aucun doute au sujet de leur identité;

Attendu que l'expertise doit avoir lieu à Marseille où la marchandise était livrable; qu'elle ne doit porter que sur les plateaux qui n'ont été ni manipulés ni travaillés, et qui se trouvent encore dans l'état où ils étaient lors de la livraison, c'est-à-dire revêtus de leur marque d'origine; que le mandat de l'expert doit être limité à vérifier si la marchandise est conforme à l'intention commune des parties, soit propre à la fabrication des foudres;

Par ces motifs:

Le Tribunal, statuant préparatoirement, tous droits des parties au fond réservés, dit et ordonne que, dans les huit. jours du prononcé du présent jugement, Crouzet devra expédier en gare de Marseille-Saint-Charles, à l'adresse de l'expert qui va être ci-après désigné, les plateaux de hois objet du litige et remplissant les conditions ci-dessus indiquées ;

De même suite, nomme M. Emile Gros de Vigne expert, lequel, serment préalablement prêté, ayant tel égard que de raison aux observations des parties, aura mandat, aussitôt prévenu de l'arrivée de la marchandise, de se rendre à la gare Saint-Charles, de visiter les plateaux de bois dont s'agit, de dire s'ils sont encore dans l'état où ils étaient au moment de leur départ de Marseille, c'est-à-dire s'ils n'ont subi aucune manipulation et s'ils portent bien leur marque d'origine, d'en indiquer le nombre et le volume, et de dire s'ils sont conformes à l'intention commune des parties, soit propres à la fabrication des foudres; ordonne que le dit expert dressera rapport de ses opéra

tions pour, sur icelui fait et déposé, être ultérieurement statué ce que de droit; dépens réservés.

Du 29 septembre 1896.

Prés., M. DE ROUX, juge.

Pl., MM. PLATY STAMATY pour Hedinger et Benzi, WULFRAN JAUFFRET pour Crouzet.

L'expertise est faite et il en résulte que les bois offerts en livraison n'étaient pas du chêne, mais de l'eucalyptus. Sur cette expertise intervient le jugement suivant :

JUGEMENT

Attendu que Hedinger et Benzi ont vendu à Crouzet, foudrier à Béziers, ainsi qu'il résulte de leur lettre d'offre du 16 mars 1896, des douelles de chêne pour foudres, provenance d'Océanie, bois de qualité supérieure, garanti sans nœuds, sans cœur, sans aubier et droit de fil;

Attendu que, sur la contestation de qualité élevée par l'acheteur, un expert a été nommé en la personne de M. Emile Gros, aux fins d'examiner si la marchandise est conforme à l'intention commune des parties, soit propre à la fabrication des foudres ;

Attendu que l'expert déclare que les bois dont s'agit n'appartiennent nullement à l'espèce chêne, qui n'existe point en Océanie; qu'ils appartiennent à la famille des eucalyptus, qui ne saurait avoir avec le chêne aucun point de ressemblance;

Attendu que cette seule constatation matérielle, en l'absence de toute autre considération, suffit à annuler le marché; qu'il est évident que, l'acheteur ayant traité et prétendu acheter, conformément à l'offre, des douelles de chêne pour foudre, avec indication de provenance d'Océanie, les bois d'eucalyptus dont s'agit ne peuvent être considérés comme répondant à l'intention commune des parties; que, si les vendeurs prétendent que l'expression

chène d'Australie sert communément, dans le commerce des bois, à désigner une espèce particulière d'eucalyptus, rien n'indique que le défendeur ait été mis à même de connaître cette particularité relative à un bois d'importation nouvelle; que la teneur de la lettre du 16 mars précitée démontre, au contraire, que Hédinger et Benzi ont offert, non pas des bois de l'espèce dite chêne d'Australie, mais expressément des douelles de chêne pour foudres, avec indication accessoire de provenance; que le défendeur a pu légitimement penser qu'il achetait des douelles de chêne, d'une provenance spéciale et peu connue, mais réunissant dans tous les cas les qualités essentielles et élémentaires du bois de chêne ;

Attendu, en l'état, que Hedinger et Benzi sont mal fondés à demander l'exécution du marché ; qu'il y a lieu au contraire d'admettre les fins en laissé pour compte prises par l'acheteur, sans dommages intérêts autres que les dépens et autres frais d'instance;

Par ces motifs :

Le Tribunal, sans s'arrêter aux fins tant principales que subsidiaires prises par Hedinger et Benzi, déboute ces derniers de leur demande; valide le laissé pour compte opposé par Crouzet ;

Condamne Hedinger et Benzi, pour tous dommages-intérêts, au payement de tous les dépens de l'instance et tous frais d'expertise et autres faits par la marchandise en litige.

Du 10 mars 1897. Prés., M. GIRARD-CORNILLON, ch. de la Lég. d'Hon. Pl. les mêmes.

Appel par Hedinger et Benzi.

ARRÊT

Adoptant les motifs des premiers juges:

La Cour confirme:

Du 23 juin 1897.

M. LORIN DE REURE.

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Pl. MM. PLATY STAMATY (du barreau

de Marseille) pour les appelants, A. JAUFFRET pour l'intimé.

Deuxième espèce

(HEDINGER ET BENZI CONTRE ABATUT)

JUGEMENT

Attendu que Hédinger et Benzi, de Marseille, ont vendu à Abatut, de Vauvert (Gard), des douelles de chêne pour foudres, provenance d'Océanie; qu'il est aujourd'hui constant, ainsi qu'il a été déjà apprécié par un jugement du Tribunal de céans en date du 10 mars 1897, confirmé par la Cour d'appel d'Aix, qu'à la même époque, les dits Hédinger et Renzi ont fait à divers fondriers de la même région la vente et l'expédition d'une même partie de bois, sous la dénomination de chêne d'Australie, qui a été finalement reconnue, après expertise, être non pas du chêne, mais du bois d'eucalyptus;

Attendu qu'à la demande en paiement des vendeurs, Abatut prétendrait répondre par un laissé pour compte de la marchandise et réclamer en outre des dommages-intérêts; mais attendu que le défendeur reconnait lui-même avoir fait emploi de la plus grande partie de la marchandise à lui expédiée; que, pour la marchandise ainsi dénaturée, il ne saurait être question de laissé pour compte, mais seulement de bonification sur le prix; que le laissé pour compte n'est admissible que pour la partie restée intacte;

Par ces motifs :

Le Tribunal dit et ordonne que Abatut aura à payer le prix de la partie par lui employée, travaillée ou dénaturée d'une façon quelconque, sous la seule déduction d'une

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