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ily devait croire. Cependant comme il était accouru vers Gênes loifqu'on avait paru la menacer de Voltri, il fe perfuada qu'on ne voulait marcher fur Milan que par Valenza. Il fe fortifia entre le Tefin & la Seffia, le long de la Cogna & du Tredoppio, oubliant que les Français, maî tres de Tortone, pouvaient choifir leur paffage entre l'Adda & le Tefin. Le talent de Buonaparte fut de lui donner le change, & de lui dérober fes véritables mouve. mens. Ce font là les momens décififs où il faut que le génie devine le génie : cela arrivait à Turenne & Montecuculi; mais Beaulieu ne devinait point Buonaparte.

On voudra favoir fans doute quel ef prit animait cette armée, qu'il menait fi rapidement à des victoires journalières : on croira peut être que, pour fe l'attacher, & la confoler des longues privations qu'elle avait fupportées avec tant de magnanimité, il avait un peu relâché les liens de la difcipline. Non il l'avait raffermie par fon caractère & par fes manières, & donné à fes brigades républicaines une énergie & un mépris de la rapine, qui, en les rendant plus formidables, leur concilia les habitans d'un pays qui, s'attendant à des déprédations, refta étonné de n'avoir à fouffrir que de fes propres défenfeurs.

Il foutint ces inftitutions par des juge

mens févères; & l'un des effets qu'ils produifirent fe remarque dans la lettre qu'adreffait à fes camarades, au moment d'être fufillé pour crime de maraude, le citoyen Latouche, fapeur du cinquième bataillon:

"Vous voyez, mes camarades, à quel fort je fuis réduit! Et toi, commandant du détachement, fi tu m'euffes défendu d'aller à la maraude, je ne ferais pas expofé à la mort que je vais fubir. Adieu, mes camarades, adieu. Latouche, les larmes aux yeux, ne regrette, en quittant la vie, que de ne pas mourir en défendant fa patrie, & ne fe confole que dans l'espoir que fa mort fervira d'exemple à fes défenfeurs."

Voilà, certes, un dévouement héroïque; & une armée où des fentimens fi nobles & fi énergiques font communs, fe montre aifément invincible.

PASSAGE DU PO ET COMBAT DE FOMBIO.

"APRÈS différentes marches & différens mouvemens militaires & diplomati ques pour faire penfer au général de l'armée autrichienne que je voulais (dit Buonaparte) paffer le Pô à Valence, je me tranfportai, le 17, par une marche forcée, à Caftel-San-Giovanni, avec cinq mille

grenadiers & quinze, cents chevaux. A onze heures du foir, le chef de bataillon d'artillerie Andreoffi & l'adjudant-général Frontin parcoururent, avec cent hommes de cavalerie, la rive du Pô jusqu'à Plaifance, & arrêtèrent cinq bateaux chargés de riz, d'officiers, de cinq cents malades, & de toute la pharmacie de l'armée.

"

Le 18, à neuf heures du matin, nous fommes arrivés au Pô, vis-à-vis Plaifance. Il y avait de l'autre côté deux efcadrons d'huffards, qui faifaient mine de vouloir nous difputer le paffage; nous nous précipitâmes dans les bateaux, & abordámes de l'autre côté après quelque coups de fufil, la cavalerie ennemie fe replia.

"Le chef de brigade Lafnes, auffi brave qu'intelligent, eft le premier qui a mis pied à terre. Les divifions de l'armée, qui étaient toutes en échelons à différentes diftances, ont précipité leur marche du moment que le mouvement a été démafqué, & ont paffé dans la journée.

Cependant Beaulieu, inftruit de notre marche, fe convainquit, mais trop tard, que fes fortifications du Tefin & fes redoutes de Pavie étaient inutiles; que les républicains français n'étaient pas fi ineptes que François premier. Il ordonna à un corps de fix mille hommes & de deux mille chevaux de fe porter à notre rencon

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& de s'oppofer au débarquement, ou de nous attaquer lorfque nous ne ferions pas encore formés. Il s'eft trompé dans fon calcul.

כל

:

» Le 19, fur le midi, j'appris qu'une divifion ennemie était près de nous; nous marchâmes les ennemis avaient vingt pièces de canon, & étaient retranchés dans le village de Fombio. Le général de brigade Dallemagne, avec les grenadiers, attaqua fur la droite; l'adjudant- général Lanus fur la chauffée; le chef de brigade Lafnes fur la gauche. Après une vive canonnade, & une réfiftance affez foutenue, l'ennemi dut fonger à la retraite : nous l'avons pourfuivi jufques fur l'Adda : il a perdu une partie de fes bagages, trois cents chevaux, & cinq cents morts ou prifonniers, parmi lefquels plufieurs offi

ciers.

» Pendant la nuit, un autre corps d'Autrichiens de cinq mille hommes, qui était à Cafal, partit à quatre heures du foir pour venir au fecours de celui de Fombio: arrivé près de Codogno, quartier-général du général Laharpe, où il arriva à deux heures après minuit, il envoya des tirailleurs qui culbutèrent nos vedettes.Le général Laharpe monta à cheval pour s'af furer de ce que ce pouvait être: i fit avan eer une demi - brigade; l'ennemi fut cul

buté, & difparut: mais, par un malheur irréparable pour l'armée, le général Laharpe, frappé d'une balle, tomba mort fur le coup. La république perd un homme qui lui était très-attaché ; l'armée, un de fes meilleurs généraux; & tous les foldats, un camarade auffi intrépide que févère pour la difcipline. Le général Berthier fe rendit fur-le-champ à Codogno; il a pourfuivi l'ennemi, lui a pris Cafal, & une grapde quantité de bagages. La 70° demibrigade & le général Menard fe font parfaitement conduits.

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Le fuccès du combat de Fombio eft dû, en grande partie, au courage du chef de brigade Lafnes. Je recommande au directoire le fils du général Laharpe pour avoir une place de lieutenant de cavalerie. Je demande la confirmation de l'adju dant-général Frontin, qui, non compris dans le travail de prairial, n'a pas ceffé de fervir avec courage.

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כן

Le paffage du Pô eft une des opérations les plus effentielles il y avait des paris que nous ne le pafferions pas de de ix

mois.

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C'eût été un grand mérite pour les généraux de la monarchie française d'être auffi attentifs à rendre juftice aux actions des foldats & officiers qui combattaient fous eux, que Buonaparte a le foin de

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