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avez eu pour la Reine, ma femme, des égards qu'elle ne m'a pas laissé ignorer, et je m'en souviens aujourd'hui. » S'adressant ensuite au duc de Raguse, il lui dit : « Vous avez été blessé en Espagne, maréchal, et vous avez pensé perdre un bras?-Oui, Sire, répondit le maréchal; mais je l'ai retrouvé pour le service de votre Majesté. Tout le monde était rempli de la joie la plus vive : les officiers émigrés et les officiers de l'armée française se disaient en s'embrassant mutuellement : Plus de factions, plus de partis! tous pour Louis XVIII!

Le 3 mai, le roi arriva à Paris : il avait couché à Saint-Ouen, où les premiers corps de l'Etat étaient allé le complimenter. C'est de là qu'est datée cette célèbre déclaration qui fait la base de notre Charte constitutionnelle. Le Roi garantissait aux Français un gouvernement représentatif; les impôts librement consentis; la liberté publique et individuelle allait enfin exister, ainsi que celle de la presse ; le sage Monarque assurait le libre exercice des cultes; il déclarait les propriétés inviolables et sacrées; la vente des biens nationaux irré

vocable; les ministres responsables; les juges inamovibles, et le pouvoir judiciaire indépendant; la dette publique était garantie; les pensions, grades et honneurs militaires conservés, ainsi que l'ancienne et nouvelle noblesse; la légion d'honneur était maintenue; le Roi déclarait tout Français admissible aux emplois civils et militaires; enfin, le testament de Louis XVI à la main, il promettait que nul individu ne serait inquiété pour ses opinions et ses votes.

La nation allait donc enfin jouir de cette liberté si long-temps attendue, et sur laquelle, après tant de sacrifices, on avait si peu droit de compter! Les Français étaient ivres de joie, de bonheur et d'espérance. Toute la route, depuis St.-Ouen jusqu'à la barrière, était couverte d'une immensité de peuple. Des cris d'allégresse et d'amour accompagnèrent le Monarque jusqu'aux portes de la capitale. Je ne saurais retracer l'enthousiasme des habitans de Paris à la vue du Roi et de cette princesse adorable qui rappelait tant d'illustres infortunes, tant d'imposans souvenirs. Toutes les maisons des

rues traversées par le cortége étaient ornées de tapisseries, de guirlandes, de lis; on voyait, de distance en distance, des couronnes suspendues aux maisons; des milliers de drapeaux blancs voltigeaient aux fenêtres; de nombreuses inscriptions exprimaient le bonheur qu'on ressentait enfin, tout ce que l'amour le plus ingénieux et la vénération la plus profonde peuvent inspirer, fut déployé pour fêter le Roi et son auguste famille.

Louis XVIII put juger, aux acclamations innombrables dont il fut l'objet, combien on chérissait sa présence, combien il était réellement Louis LE DÉSIRÉ. Les âges et les sexes confondus contemplaient avec vénération cet illustre Souverain, dont la sagesse et les lumières nous promettent un autre Numa. La fille de Louis XVI, guidée par l'inspiration d'un sentiment délicat, avait voulu paraître sous les vêtemens les plus simples : les pleurs que la joie lui faisait verser, lui tenaient lieu de diamans.

Le préfet, en présentant au Roi les clefs de la ville, lui adressa un discours auquel

Sa Majesté répondit par ces paroles touchantes, dignes du petit-fils d'Henri IV : « Enfin me voici dans ma bonne ville de Paris; j'éprouve une vive émotion du témoignage d'amour qu'elle me donne en ce moment.. Je me réjouis de me réunir à mes enfans.... Je touche ces clefs, mais je vous les remets; je ne puis les laisser en de meilleures mains, et les confier à des magistrats plus dignes de les garder.

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En entrant dans le château des Tuileries, le bon Monarque versa des larmes d'attendrissement, et Madame la duchesse d'Angoulême succomba sous la vive émotion qui vint agiter toutes les facultés de son âme... Quel Français aurait jamais pensé que quelques jours plus tard le crime viendrait de nouveau souiller ce palais épuré par la présence de l'antique et auguste famille des Bourbons?... Mais, suivons le cours des événemens, et écoutons les premières paroles que le Monarque adresse à son peuple :

« En remontant sur le trône de nos ancêtres, nous avons retrouvé nos droits dans votre amour, et notre coeur s'est ouvert tout entier

aux sentimens que Louis XII, le père du peuple, et Henri IV, le bon Roi, ont jadis manifestés. Leur application constante au bonheur de la France marquera aussi notre règne, et nos vœux les plus intimes sont qu'il laisse, à son tour, des souvenirs dignes de s'associer à la mémoire de ces Rois, dont une bonté paternelle fut la première et la plus noble vertu.

» Au milieu des acclamations unanimes, et si touchantes pour notre cœur, dont nous avons été accompagné des frontières de notre royaume jusqu'au sein de notre capitale, nous n'avons cessé de porter nos regards sur la situation de nos provinces et de nos braves armées : l'oppression sous laquelle la France était accablée, a laissé après elle bien des maux, et nous en sommes vivement touché; notre peine en est profonde; mais leur poids va chaque jour s'alléger; tous nos soins y sont consacrés, et notre plus douce satisfaction croîtra avec le bonheur de nos peuples. Déjà un armistice, conclu dans les vues d'une politique sage et modérée, fait sentir les avantages précurseurs de la paix ; et le traité qui la fixera d'une manière durable, est l'objet

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