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qui lui faisaient des représentations à ce sujet ; mais je dois, et je veux avant tout, commencer par me faire aimer de mon peuple. » MONSIEUR ne put que gémir en secret sur une faute qui préparait la ruine de l'autorité.

Louis XVI aimait tendrement ses frères, et n'en était point jaloux; mais il ne laissa pas prendre à ces princes plus d'influence dans le gouvernement que le Dauphin, leur père, et lui-même n'en avaient eu sous Louis XV. MONSIEUR et le comte d'Artois n'entraient point au conseil ; on ne les consultait pas sur le choix des ministres; ils ne déterminaient aucune opération.

La cérémonie du sacre, cette solennité qui, de tout temps, a imprimé au peuple une sorte de vénération pour son Roi, faillit ne pas avoir lieu. Le ministre Turgot, connaissant combien Louis XVI était ennemi de la représentation et de la dépense, 'la blâmait comme inutile et dispendieuse. Mais, à la grande satisfaction de MONSIEUR, cette fois le jeune monarque ne se laissa pas persuader par les paradoxes du ministre philosophe. Il fut sacré à Reims, le 11

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juin 1775. Sa conduite bienfaisante et populaire lui fit recueillir, dans cette circonstance, les témoignages les plus éclatans de l'allégresse publique. «La satisfaction que mes peuples ont témoignée à l'occasion de mon sacre, écrivait-il le lendemain à l'archevêque de Paris, les acclamations qui m'ont accompagné pendant et après cette auguste cérémonie, ont pénétré mon cœur d'un sentiment profond qui ne s'effacera jamais. » En effet, après que le Roi eut ceint la couronne et l'épée de Charlemagne, on ouvrit les portes de l'église; le peuple y entra en foule, et fit retentir les voûtes des cris prolongés de vive le Roi! L'attendrissement de l'assemblée fut à son comble; les ;. larmes coulèrent de tous les yeux. Les ambassadeurs étrangers, témoins de cette scène touchante, partagèrent l'ivresse générale et devinrent un moment français. MONSIEUR et le comte d'Artois, transportés, se jetèrent dans les bras de leur frère, et le serrèrent tendrement contre leur cœur...

C'était un bonheur pour le Roi d'accorder à ses frères quelque grâce nouvelle. En 1776, il

leur donna, par lettres-patentes, le droit de jouir de toutes les prérogatives qui appartenaient aux Dauphins. Les termes du préambule de cet édit attestent cette douce réciprocité d'affection qui régnait entre le monarque et ses frères. Louis XVI, désirant que MONSIEUR eût une habitation digne de sa naissance, lui donna le palais du Luxembourg. Le Temple devint la demeure du comte d'Artois. Les princes de la famille royale, occupés de goûts différens, étaient tous plus ou moins épris des charmes de la vie privée; mais tous eurent leur cour séparée. Ils ne regardaient plus Versailles que comme le théâtre de la représentation royale, et ne s'y réunissaient qu'un ou deux jours de la semaine. Ils avaient chacun leur maison de plaisance. MONSIEUR acheta le château de Brunoy, où il donnait des fêtes ingénieuses et magnifiques. M. le comte d'Artois, déjà possesseur du domaine de Maisons, avait fait bâtir, dans le bois de Boulogne, Bagatelle, petit chef-d'œuvre de grâce et d'élégance. Bellevue devint la retraite de Mesdames Adélaïde et Victoire; et ce fut à Montreuil que Ma

dame Elisabeth passa ses plus heureux jours. Peu de temps après le sacre de Louis XVI, sa sœur Clotilde avait quitté la famille pour aller rejoindre le prince de Piémont, auquel elle venait d'être unie. Cette séparation lui avait été extrêmement sensible. Lorsque, pour affaiblir ses regrets, on lui vantait les vertus, les qualités de son époux : « Pourra-t-il me faire oublier mes frères, que je ne reverrai plus! répétait-elle en versant des larmes. >> Elle devait revoir. MONSIEUR et son jeune frère le comte d'Artois; mais, hélas! par quelle suite de circonstances fatales! Avant de quitter Versailles, Madame Clotilde avait demandé au Roi ·la grâce de six déserteurs. Quel fut son étonnement à Lyon, de les voir accourir se jeter à ses pieds, pour lui exprimer leur reconnaissance! Cette scène inattendue pénétra la princesse d'une émotion délicieuse: c'était Louis XVI

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qui lui avait ménagé cette surprise agréable; il voulut que les derniers regards de sa sœur, en quittant la France, se portassent sur des soldats français qu'elle avait rendus au bonheur.

Vers le milieu de l'année 1777, les deux

frères du roi voyagèrent dans l'intérieur du royaume. MONSIEUR parcourut les provinces méridionales de la France, tandis que M. le comte d'Artois alla visiter les principaux ports de l'Ouest. Je ne suivrai point ce dernier dans son voyage; je me contenterai de donner quelques détails sur celui de MONSIEUR.

Ce prince partit de Versailles le 10 juin 1777, accompagné de plusieurs seigneurs attachés à son service. Tous ses pas furent marqués par des actes de bonté, et chacun s'empressa sur sa route à lui donner les témoignages les plus 'éclatans de respect et d'amour. Un particulier d'Auxerre crut ne pouvoir plus dignement signaler sa joie que par une action généreuse et bienfaisante. Il tenait depuis long-temps en prison un débiteur insolvable le jour où MONSIEUR passa dans cette ville, le bourgeois rendit la liberté au malheureux créancier, et le tint quitte de sa dette:

Les habitans des campagnes quittaient leurs travaux, et accouraient en foule sur les routes, pour jouir de la vue du frère de leur Roi. Un de ces bons villageois fut blessé sur la mon

!

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