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HISTOIRE

DU

CODE D'INSTRUCTION CRIMINELLE

ET DU CODE PÉNAL.

SOMMAIRE ANALYTIQUE.

1. De la législation qui existait en 1789, et des reproches | 4. Rédaction d'un projet de Code criminel, qui comqu'on lui a faits.

2. Changements introduits dans l'ancienne législation

criminelle.

5.

prenait à la fois les dispositions sur les formes et les dispositions pénales, et discussion de ce projet. Confection du Code d'instruction criminelle.

3. Vices de la législation par laquelle l'assemblée de 1789 6. Confection du Code pénal. a remplacé notre ancienne législation criminelle.

1. DE LA LÉGISLATION QUI EXISTAIT EN 1789, | dans sa 158° question, raconte, que, revenant ET DES REPROCHES QU'ON LUI A faits. de Bourgogne, il vit aux fourches patibulaires de Châlons, un cochon qui avait été condamné à On a vécu longtemps en France sans législa-ètre pendu pour avoir tué un enfant. Chorier, tion fixe et certaine sur les matières criminelles. dans sa jurisprudence sur Guipape, nous a transLe juge n'était guidé, relativement à la pénalité, mis plusieurs autres jugements de la même excomme relativement aux formes, que par quel- travagance. ques lois partielles qui ne formaient pas un ensemble et un corps. Il prenait pour régulateur, tantôt les livres saints, dont il tirait d'absurdes conséquences; tantôt les lois romaines, qu'il n'entendait pas toujours bien.

Pourrait-on croire, par exemple, si les faits n'étaient irréfragablement attestés, que parce que l'exode, afin d'inspirer plus de respect pour la vie des hommes, au peuple violent et passionné dont il était tout à la fois la loi religieuse et la loi civile, avait ordonné de tuer l'animal qui aurait ôté la vie à quelqu'un, des juges français appliquaient cette disposition? Guipape,

ROGRON. CODE D'INST. GRIM.

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L'absurde et injuste théorie des preuves légales découlait de la même source, et l'effet absolu qu'on attachait à l'aveu de l'accusé de faire preuve complète, venait de ce que, pour le lui donner, on avait torturé les lois romaines.

Ou sentit enfin la nécessité de mettre quelque ordre dans la législation criminelle, et l'ordonnance de 1539 fut portée.

Cette loi établit des formes; mais elle ne lia que les tribunaux, et n'arrêta pas les dépositaires du pouvoir absolu. Les mises hors la loi, et les exécutions sur la simple reconnaissance de l'identité, ne sont pas des inventions qui datent

a

de nos jours; non-seulement elles étaient con- personne, a dit qu'il ne faut pas chercher de dénues, mais on a fait même pis autrefois. monstrations évidentes, de définitions exactes, D'ailleurs quand l'ordonnance de 1539 aurait | ni de connaissance précise de la différence fortoujours été fidèlement suivie, les formes qu'elle établissait étaient plus redoutables à l'innocence que l'état de choses qu'elle avait changé. C'est le jugement qu'en portait M. le premier président de Lamoignon. «Si l'on voulait, disait-il dans la discussion de l'art. 8, titre XIV de l'ordonnance de 1670, si l'on voulait comparer notre procédure criminelle avec celle des autres nations, on trouverait qu'il n'y en a pas de plus rigoureuse, surtout depuis l'ordonnance de 1559. »

Cette ordonnance avait aboli la publicité de l'instruction et du jugement, et enlevé aux accusés le droit de se faire assister d'un conseil, même après l'interrogatoire et la confrontation. On fondait la suppression de la publicité sur la possibilité qu'elle occasionnat du tumulte et même des séditions. Ceci était bon à dire du temps de Clodius et des séditieux de son espèce, qui, vers la fin de la république romaine, changeaient en arène la place publique où le peuple rendait ses jugements. Mais sous un gouvernement affermi, dans l'enceinte d'un auditoire, devant des magistrats armés du pouvoir de se faire respecter, ce danger n'était guère à craindre, et l'était encore moins pour le plus grand nombre des procès criminels: ce qui se passe depuis trente-cinq ans chez nous en est la preuve.

A l'égard du refus d'accorder indéfiniment un conseil aux accusés, M. Pussort, qui ne voulait s'en relâcher que dans certains cas que la loi déterminerait avec une rigoureuse précision, en a exposé les motifs. Il le fondait sur ce qu'il est des faits simples, comme le vol, le meurtre, où l'accusé, n'a pas besoin de conseil pour confesser ou dénier qu'il les ait commis, et où tout dépend de la déposition des témoins. A quoi M. Pussort ajoutait que les conseils parvenaient souvent à sauver des coupables.

melle des choses; qu'il y a aussi peu de raison de prétendre les y trouver, que de se contenter, dans les mathématiques, d'une notion confuse et imparfaite. Ce conseil qu'on a coutume de donner aux accusés n'est point un privilége accordé par les ordonnances ni par les lois, c'est une liberté acquise par le droit naturel, qui est plus ancien que toutes les lois humaines. La nature enseigne à l'homme d'avoir recours aux lumières des autres, quand il ne se sent pas assez fort pour se défendre. Nos ordonnances ont retranché aux accusés tant d'autres avantages, qu'il est bien juste de leur conserver ce qui leur reste, et particulièrement le conseil, qui en faisait la principale partie. Si le conseil a sauvé quelques coupables, continuait M. de Lamoignon, il pourrait arriver aussi que les innocents périraient faute de conseil; et comme il est impossible qu'un législateur prévoie tous les cas, il faut qu'il se règle sur les plus considérables et qu'il aille au-devant du plus grand mal. Or, entre tous les maux qui peuvent arriver dans la distribution de la justice, aucun n'est comparable à celui de faire périr un innocent: il vaudrait mieux absoudre mille coupables. C'est une des maximes que le parlement a le plus religieusement observées; et cet esprit de la compagnie a quelque rapport au sentiment de Scipion l'Africain, qui disait : J'aime mieux sauver la vie à un citoyen que de faire périr mille ennemis. »

L'insistance de M. de Lamoignon était d'autant plus fondée, qu'en refusant à l'accusé un conseil, on lui refusait en même temps un défenseur. Dans ce système, il était jugé rien que sur ses réponses: chose fort hasardeuse pour lui; car si, comme il devait arriver à tout homme qui ne possède ni le talent de la parole, ni l'art de la dialectique, surtout à l'homme innocent Il faut voir avec quelle vertueuse énergie le pre- que troublait l'appareil effrayant dont il se troumier président de Lamoignon pulvérisa ces allé-vait entouré; si, dis-je, l'accusé ne savait pas gations frivoles. Cet illustre magistrat trouvait raisonnable qu'on ne permit pas à l'accusé de concerter ses réponses avec un conseil, quand il n'est question que d'un fait simple, d'une action qu'il n'a qu'à dénier ou à confesser. Mais il s'opposait à ce que la loi fixât invariablement les cas où le conseil serait accordé. Il désirait qu'elle les abandonnât au discernement du juge.« Il peut se rencontrer, disait-il, des cas tels que l'accusé y aurait plus besoin du conseil que dans tous ceux où l'article le lui accorde. Les actions des hommes viennent d'une cause si variable en elle-mème, et les circonstances les rendent si différentes, qu'Aristote, qui avait approfondi toutes les maximes de la morale aussi avant que

saisir, rapprocher, faire valoir tout ce qui prouvait son innocence, sa justification pouvait échapper aux magistrats les plus intègres et les plus éclairés. Cela est tellement vrai que, bien que nos révolutionnaires eussent composé leur tribunal de sang, d'hommes dignes d'y siéger, ils craignirent encore les défenseurs, et les exclurent par leur atroce loi du 22 prairial an II.

Louis XIV, après avoir, par l'ordonnance de 1667, réglé la procédure civile, voulut également régler la procédure criminelle. De là l'ordonnance de 1670, la dernière loi générale qui soit intervenue sur cette matière : il n'a été fait depuis que des lois partielles et purement réglementaires. Du reste, l'ordonnance de 1670 ne

règle que les formes: jamais nous n'avons eu de loi générale sur la pénalité.

Cette ordonnance fut un bien : elle adoucit l'aspérité de l'ordonnance de 1539; fixa et régularisa les formes; donna une marche assurée à l'instruction criminelle. Mais elle n'alla pas assez loin. Comparativement à la loi antérieure, c'était une magnifique conception; considérée en ellemême, elle laissait subsister des formes extrêmement vicieuses, particulièrement le secret de l'instruction et du jugement, et la défense d'accorder un conseil aux accusés.

qu'elle résulterait du calcul arithmétique des preuves légales.

Sous le rapport de la pénalité, on l'accusait d'ètre cruelle et arbitraire: cruelle, parce qu'elle admettait des supplices, et des supplices atroces; arbitraire, en ce que, ne qualifiant pas toutes les actions criminelles, ne définissant pas le petit nombre de celles qu'elle qualifiait, ne determinant la peine que de celles-là, elle laissait au juge le pouvoir de créer des crimes, même après coup, et de les punir comme il lui plairait.

Il est superflu de défendre l'ancienne législaToutefois, elle a été également mal appréciée, tion sur le système des preuves légales. Cet et par ses apologistes, et par ses détracteurs. absurde système n'avait pas été formellement Les criminalistes de profession, ne l'envisa- établi par elle; c'étaient les docteurs et les crigeant que du beau côté, la vantèrent sans res-minalistes qui l'avaient introduit. triction et sans mesure. Il fallait voir de plus haut Je ne dis pas que, moralement et en elles-mêqu'eux; il fallait des vues plus larges et moins mes, les distinctions et les règles que les crimiroutinières; il fallait s'élever jusqu'à la philoso-nalistes français et étrangers ont établies sur ce phie de la législation, pour en apercevoir les défauts.

Les philosophes du dernier siècle, ne s'arrêtant qu'à ses défectuosités, l'accusaient d'être atroce. Ceux-là aussi étaient de mauvais juges la législation a sa philosophie, qui repose sans doute sur des idées théoriques et abstraites, mais sur des abstractions combinées avec l'expérience, Cette philosophie-là n'est pas à la portée de tout le monde, parce qu'elle est plus que le simple usage de la raison. Quand les philosophes de la convention ont voulu mettre de la pure philosophie dans les lois, ils sont tombés dans l'absurde (1). On me dira que c'étaient de pauvres philosophes soit, mais des philosophes plus vrais n'auraient pas mieux fait qu'eux, ou plutôt, ils auraient vu que la législation n'est pas du domaine de la pure philosophie.

Cependant, quels étaient précisément les reproches qu'on faisait à notre législation criminelle?

On l'attaquait sous le double rapport des formes et de la pénalité.

sujet ne soient pas bonnes à étudier et à connaître comme doctrine, comme principes de logique, comme pouvant contribuer à former la conviction intime; mais nos docteurs voulaient que ces règles fussent impératives; que le juge fût tenu de leur sacrifier sa conviction intime, et de s'y soumettre servilement. Là était le mal (2).

L'assemblée de 1789, par les réformes qu'elle introduisit dans son décret du 9 octobre 1789, et étendit dans la loi du 22 avril suivant, a purgé notre procédure criminelle de tous les vices qu'on avait eu raison de lui reprocher.

En effet, cette loi créa des notables adjoints pour assister aux premiers actes de la procedure et à l'information qui précéderait le décret, et pour faire des observations au juge; entoura de plus de solennité les décrets de prise de corps, et même d'ajournement personnel; rendit publics et contradictoires les actes postérieurs aux décrets, même d'assigné pour être ouï; fit délivrer aux accusés copie des pièces de la procédure; leur permit d'interpeller et de faire expliSous le rapport des formes, on lui reprochait quer les témoins sans que les aveux, les variade livrer, au moyen du secret de la procédure et tions, les rétractations de ceux-ci pussent, dans du refus d'un conseil, des accusés sans defense le premier moment, les faire réputer coupables à des juges endurcis par l'habitude de voir le de faux témoignage; autorisa les reproches concrime et de le punir, toujours prêts à frapper, tre eux; permit, en tout état de cause, l'alléne croyant presque plus à l'innocence. On luigation des faits justificatifs; régla l'appel des reprochait de forcer ces juges, qu'on supposait déjà si portés à condamner, à étouffer encore la voix de la justice, de l'humanité, de leur conscience; à faire taire leur conviction intime; à voir comme juges ce qu'ils ne voyaient pas comme hommes, et à croire à la culpabilité, dès

(1) Voy. ci-après, le Discours préliminaire du Code civil. (2) Ils avaient tiré cette théorie du chap. XVIII, v. 6, du Deuteronome, qui défendait de condamner sur la déposition d'un seul témoin ; le même principe était posé dans les lois

témoins à décharge, determina le mode de la délibération des juges; exigea que les condamnations à peine afflictive ou infamante énonçassent les motifs de la condamnation et ne se bornassent plus à cette formule vague pour les cas résultant du procès; n'admit de condamnation

romaines. . la loi 9 de testibus; cependant la loi 3, § 2 du même titre, saus fixer le nombre des témoins, laissait la plus grande latitude à la conscience du juge, elle voulait qu'il n'écoutat que sa conviction intime.

à mort qu'aux quatre cinquièmes des voix, et les autres qu'aux deux tiers.

Restait seulement à porter une loi générale sur la pénalité.

2. CHANGEMENTS INTRODUITS DANS L'ANCIENNE LÉGISLATION CRIMINELLE.

Il faut reprendre les choses d'un peu plus haut.

En 1766 parut à Lauzanne, le traité des Delits et des Peines, traduit de l'italien, et timidement lancé dans le public sans nom d'auteur ni d'imprimeur.

tous su dans le temps que, comme les autres, ce mouvement avait été fomenté par l'argent; nous avons même su combien il avait coûté. Le peuple se porta donc chez un boulanger nommé François, le mit à mort, pilla sa maison.

La municipalité de Paris en prévint l'assemblée. Aussitôt on décréta cette loi martiale dont l'exécution, dans une circonstance différente, a coûté si cher au faible et malheureux Bailly. Puis, achevant ce que le décret du 14 n'avait qu'ébauché, on chargea le comité de constitution de présenter, à peu de jours de là, un plan pour l'établissement d'un tribunal chargé de juger les crimes de lèse-nation, et l'on ordonna que, provisoirement, et jusqu'à ce que ce tribunal eût été établi, le Châtelet jugerait en dernier ressort les prévenus et accusés de ce crime.

Cet ouvrage fit grand bruit, et choqua beaucoup les criminalistes de France. Ils trouvaient fort à dire qu'on les traitât d'imbéciles et de barbares, et qu'attaquant leur faux système des Cependant, ce tribunal constitutionnel qu'on preuves légales, on prétendit que le fait devait annonçait vouloir établir si promptement, ne le être jugé d'après le bon sens et la conviction fut que longtemps après; le Châtelet conserva intime, non d'après des calculs arithmétiques et sa juridiction extraordinaire, jugea M. de Fades règles invariables. A les entendre, cette théo- vras, instruisit l'affaire du 5 octobre, et vint rie n'était qu'un révoltant paradoxe, et son au- soumettre l'information à l'assemblée; les parteur un ignorant qui n'avait pas la première lements furent dépouillés, précisément des atteinture de la justice criminelle. Mayard de tributions de la justice criminelle qui les aurait Vonglans, l'un d'eux, prit la plume, et publia mis en état de défendre le trône et la puissance en 1767, à Paris, un écrit intitulé Réfutation royale avec la même intrépidité qu'ils avaient dédes principes hasardés dans le traité des Défendu les intérêts du peuple et les libertés de lits et des Peines. l'Église gallicane.

Cependant, le livre italien fit réfléchir. On jeta les yeux sur l'Angleterre. On y vit le jugement par jurés; et, sans trop examiner si cette institution nous convenait, on désira l'introduire en France.

L'assemblée de 1789 était trop avide d'innovations pour ne point épouser le projet d'abolir l'ordonnance de 1670 et d'y substituer la procédure anglaise. Mais elle y était poussée encore par un motif bien plus puissant: par l'intérêt d'arracher aux parlements l'administration de la justice criminelle. Elle voulait même se débarrasser tout à fait de ces corps qu'elle craignait; et, pour y parvenir, elle avait formé le projet de changer dans toutes ses partiés, l'ordre judiciaire qui, depuis si longtemps, existait en France.

Voici la marche qu'on suivit.

Toutefois, ils subsistaient, et ils allaient reprendre leurs travaux, les vacances devant bientôt finir. Leur retour ne laissait pas d'inspirer quelques alarmes; et la conduite courageuse qu'ont tenue depuis les chambres des vacations de Rouen, de Metz, de Rennes, de Bordeaux, de Navarre, de Paris, prouve que ces alarmes n'étaient pas sans fondement. Qu'auraient fait les parlements au complet, si des fractions osaient tant faire? Ces craintes, on ne les dissimula même pas. Dans la séance du 5 novembre 1789, tout en avouant les services dont l'État était redevable aux parlements, on dit que ces compagnies pourraient rendre plus difficile l'établissement des assemblées provinciales et municipales, et qu'il était dangereux de laisser subsister un corps accoutumé à l'exercice d'une autorité trop étendue. En conséquence, on décréta que les parlements demeureraient indéfi

truction prochaine, et on ne laissa à leurs chambres des vacations qu'une juridiction provisoire, tenant les parlements eux-mêmes pour déjà supprimés. Le roi, prisonnier dans sa capitale, ne put refuser sa sanction à ce funeste décret. Cependant on voulut en finir avec les parlements.

Le 14 octobre 1789, à l'occasion de l'affaire du baron de Besenval, on fit décider par l'as-niment en vacances; on leur annonça leur dessemblée que le Châtelet de Paris serait autorisé provisoirement à informer, décréter et instruire contre tous prévenus et accusés du crime de lèse-nation jusqu'au jugement définitif exclusivement. Le Châtelet était peu redoutable pour la faction; il n'avait pas, à beaucoup près, la consistance, la force, la fermeté du parlement. Le 21 du même mois, on mit le peuple en mouvement. Le prétexte fut la disette, qui pourtant n'était pas très-grande; mais nous avons

Le roi, dans sa déclaration du 23 septembre 1788, qui convoquait les états généraux, et qui fut enregistrée au parlement de Paris le 25,

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