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Je laisse de côté le code de la convention du 5 brumaire an IV.

L'objet principal de ce code fut d'ajuster la législation criminelle à la constitution de l'an III, qui allait être mise en activité.

avait annoncé l'intention de diminuer les frais tion criminelle que l'assemblée de 1789 avait des contestations civiles, de simplifier les formes, substitué à celui qu'il lui avait convenu de rende remédier aux inconvénients inséparables de verser; système qui était en vigueur au moment l'éloignement où étaient plusieurs provinces des où l'on s'occupa du Code d'instruction crimitribunaux supérieurs; mais, comme la réunionnelle et du Code pénal qui nous régissent audes états généraux était proche, il avait ajourné jourd'hui. ce plan jusqu'après leur tenue, désirant prendre leur avis, et invitant les cours elles-mêmes à l'éclairer sur les moyens les plus efficaces pour perfectionner l'administration de la justice, persuadé qu'elles ne seraient arrêtées par aucune considération personnelle, et qu'elles se plairaient à donner l'exemple de cette impartialité qui pouvait seule conduire à une fin si désirable. Les états généraux étaient donc appelés à délibérer sur ce sujet, et l'article 28 de la déclaration d'intention du 25 juin 1789, rappelant celle du 23 septembre, les chargeait de présenter au roi des vues et des projets à cet égard. Mais le roi ne se proposait que de changer le ressort ainsi que les formes, et point du tout de détruire les parlements et d'anéantir la magistrature française.

Si l'assemblée de 1789 n'avait voulu qu'introduire le jugement par jurés, l'existence des parlements n'y eût pas fait obstacle. Il était possible de réduire ces cours à n'être que juges du droit, et de convertir la Tournelle en tribunal criminel.

Mais encore une fois, et on en avait fait hautement l'aveu, l'intention était d'anéantir les

La convention disposa tout à la fois sur les formes et la pénalité.

Elle ajouta sur la pénalité quelques dispositions que réclamait le nouvel ordre de choses, et adopta toutes les autres du code pénal de 1791, par conséquent le système de précision que j'ai discuté tout à l'heure. La partie relative aux formes est celle à laquelle on a donné le plus de soin. Cependant ce n'est pas un travail neuf, mais une simple révision de la loi du 16 septembre 1791.

Au reste, ce code fut à peu près improvisé et décrété de confiance, sans avoir été entièrement lu. On était au 3 brumaire an IV, et la convention devant se retirer le lendemain, elle accumula donc dans cette séance une foule de décrets fort étendus, à la seule lecture desquels un assez grand nombre de séances n'auraient pas suffi.

parlements, de substituer à l'antique et loyale 5. VICES DE LA LÉGISLATION PAR LAQUELLE magistrature française un fantôme de magistrature, des juges sans force et sans considération.

On commença donc par séparer la justice criminelle de la justice civile.

On attribua la justice criminelle, à des tribunaux particuliers. Le 16 septembre 1790, intervint une loi sur la police de sûreté, la justice criminelle et l'institution du jury; loi destinée à régler la juridiction et les formes, et qui fut suivie d'une ample instruction sur la procédure criminelle. Une loi du 17 juillet 1791 institua la police correctionnelle, déterminant tout à la fois les formes et la pénalité. Le 16 septembre suivant, fut décrété un code pénal.

On n'attendit pas jusque-là pour porter le dernier coup aux parlements : dès le 7 septembre, quelques jours seulement après que l'assemblée eut décrété ses tribunaux de district, elle congédia les chambres de vacations. Il est à obserserver qu'elle était tellement pressée d'abolir ces faibles restes de la magistrature, que, tandis qu'elle laissait subsister les autres tribunaux jusqu'à leur remplacement, elle voulut que, dès le 30 septembre, les chambres des vacations cessassent leurs fonctions, et qu'il ne restât pas trace des parlements dans le royaume.

Mais il s'agit d'apprécier le système de législa-|

L'ASSEMBLÉE DE 1789 A REMPLACÉ NOTRE
ANCIENNE LÉGISLATION Criminelle.

Les nouvelles formes que l'assemblée de 1789 a établies n'ont pas eu le succès qu'elle s'en était promis.

Le jury n'a pas d'abord réussi parmi nous, parce que cette institution n'était pas dans nos mœurs, et qu'on n'arrache pas comme on veut une nation à ses habitudes, qu'on ne la plie pas brusquement à des habitudes nouvelles. Les novateurs ne devaient pas s'attendre que les particuliers quitteraient facilement leurs affaires pour aller faire le métier de juge, auquel ils n'entendaient rien; que, parce qu'ils montraient de l'empressement pour être citoyens actifs, électeurs, élus, ils ne se porteraient pas avec moins de zèle aux tristes et délicates fonctions de juré. Aussi l'assemblée de 1789 s'était-elle si peu fait illusion à cet égard, qu'en même temps qu'elle les appelait, elle établissait des peines contre ceux qui ne répondraient pas à cet appel.

Mais quand on serait parvenu à vaincre la répugnance de la nation, la mauvaise organisation du jugement par jurés était une seconde cause qui devait en empêcher la réussite.

Le vice fondamental de cette organisation

était la manière dont on avait composé le jury. | circonstances? Les plus habiles s'y perdaient. L'assemblée de 1789 y avait introduit tous L'organisation du jugement par jurés donnait ceux qui réuniraient les conditions requises lieu à beaucoup d'autres plaintes encore. Je ne pour être électeurs (1), c'est-à-dire qui, ayant les examinerai pas: ces détails me mèneraient d'ailleurs la qualité de citoyens actifs, jouiraient trop loin. Je ne pourrais d'ailleurs que reprod'un revenu dont le maximum ne passait pas duire avec moins de force, ce qu'on trouvera, 200 francs (2); et dans cette classe se trouvaient sur ce sujet, dans les discussions du conseil nécessairement beaucoup de gens incapables de d'Etat. prononcer sur une accusation criminelle.

Des hommes à imagination romanesque, qui ne voient jamais les choses telles qu'elles sont, mais telles qu'ils voudraient qu'elles fussent, telles qu'il serait à désirer qu'elles fussent, s'étaient mis en tête que tout individu doué du simple sens commun a ce qu'il faut pour décider une question de fait quelconque. L'expérience, dont on n'avait pas même besoin ici, apprend tous les jours que les meilleurs esprits, des esprits cultivés par l'étude, accoutumés à la réflexion, à bien saisir, à peser le pour et le contre, y sont parfois très-embarrassés. On ne vanterait pas tant le jugement de Salomon, si le talent d'arriver à la vérité sur les faits était commun et facile. Mettez des accusateurs ou des défenseurs adroits, éloquents, possédant l'art de faire illusion, en présence d'un juré qui n'a jamais fait usage de ses facultés intellectuelles que pour apprendre et exercer une profession où elles n'ont pas pu se développer, vous verrez s'ils ne parviennent pas à lui arracher l'absolution d'un coupable ou la condamnation d'un innocent.

Qu'au hasard d'absoudre un coupable, on soit arrêté par le moindre doute, c'est un devoir dont l'accomplissement donne une pleine garantie à l'innocence. Mais la société aussi a besoin de garantie contre le crime, et elle ne l'a plus lorsque l'absolution des plus évidemment coupables est à peu près certaine. Il y va donc de l'intérêt du corps social, de ne composer le jury que de citoyens pris dans les classes où se trouvent l'instruction et les lumières.

Mais ce que j'ai dit suffit pour montrer que la législation qui réglait les formes en matière criminelle avait besoin d'être revue, et que deux questions s'offraient aux méditations du législateur. La première était celle de savoir si l'institution du jury serait conservée. Si celle-ci était décidée affirmativement, venait la question des réformes qu'il convenait d'apporter à l'organisation de ce mode de jugement.

Le système pénal devait également être soumis à un nouvel examen.

J'ai déjà dit un mot de ce système. J'ai prouvé ailleurs que la latitude qu'on laisse au juge, non pas pour l'établissement, mais pour la gradation des peines qu'entraîne celle de la gravité de l'action et qui exclut les définitions trop précises, n'est pas un mal. Maintenant je vais prouver que c'est un bien, qu'elle est également nécessaire, au juge pour administrer équitablement la justice; à la société, pour n'ètre pas troublée par le crime qu'encourage l'insuffisance du châtiment; aux coupables, pour n'être pas punis avec excès.

La nouvelle législation pénale posait sur ces deux principes: nulle action ne peut être réputée crime si la loi ne lui donne ce caractère; le juge ne peut appliquer que les peines déterminées par la loi.

car

En eux-mêmes, ces principes sont justes et bons, mais on en a porté l'application trop loin. Pour avoir entrepris d'exclure entièrement l'arbitraire du juge, ou a introduit l'arbitraire de la loi, arbitraire mille fois plus terrible, un mauvais juge peut du moins être juste quand il lui plaît, si la loi ne lui en ôte pas la faculté ; La question intentionnelle était une autre in- tandis que, si la loi domine sa conscience, le juge vention qui assurait souvent l'impunité au cou-le plus équitable devient injuste malgré lui. pable quand ses défenseurs ne pouvaient le justifier sur le fait, ils se rejetaient sur l'intention, et le sauvaient par là.

Cet arbitraire était la suite inévitable d'un code dont les auteurs s'étaient proposé de suivre chaque action coupable dans ses divers degrės; de fixer ces degrés avec une précision mathématique; de graduer avec la même précision la peine qu'emporte chacun d'eux, le tout afin de ne rien laisser à l'arbitraire du juge.

La multiplicité des questions que le système de l'assemblée de 1789 rendait inévitable, présentait un autre inconvénient. On en a vu poser plus de cent dans la même affaire: comment le jury, et surtout un jury peu éclairé, pouvait-il Dans cette vue, ils avaient d'abord tiré une se tirer de cette complication; saisir les nuan-ligne de démarcation fortement tracée entre les ces, souvent très-subtiles, qui distinguaient crimes et les délits; tenté, chose impossible, de ces questions nombreuses; ne rien confondre; prévoir les différentes manières dont chaque apprécier en détail jusqu'aux plus menues crime et chaque délit pouvaient se commettre;

(1) Voyez la loi du 16 septembre, titre X, art. 2; et titre XI, art. 2.

(2) Voyez la constitution de 1791, titre III, chap. I, section 2, art. 7.

fait dépendre de chacun de ces degrés le plus ou moins de criminalité du fait; invariablement fixé la peine d'après ces dimensions.

ou moins de gravité de fait, et, par conséquent, l'exacte proportion de la peine. Si donc on veut les fixer, et déterminer précisément la peine à Mais ce système a produit les inconvénients laquelle chacune donnera lieu, on ne peut en qu'ils voulaient éviter. Leur intention était d'o- omettre aucune sans rendre la loi trop sévère ter au juge la possibilité d'appliquer des peines en certains cas, trop indulgente dans d'autres, excessives, et de pourvoir cependant à ce que la Qui peut les bien saisir du législateur ou du peine fut toujours suffisante, et ils ont fait pré-juge? Le juge assurément, car leur variété concisément le contraire. Ils ont forcé le juge de décerner des peines égales pour des actions qui constituent à la vérité un crime ou un délit de la même espèce, mais dont la culpabilité est néanmoins très-différente; et, d'un autre côté, ils l'ont mis dans l'impuissance de proportionner toujours la peine à la criminalité de fait.

stitue l'espèce dans laquelle il faut prononcer, et le juge seul voit cette espèce. Pourquoi le contraindre à y appliquer des règles qui ne s'y ajustent pas? Qu'il soit le ministre, même l'esclave de la loi, qu'il ne tranche point du législateur, rien de mieux; mais que la loi ne le rende pas, malgré lui, ministre, ou plutôt esclave de l'ini quité.

Enfin, et ceci était d'une haute importance, on devait, autant que l'état des choses le permettait, tirer l'ordre judiciaire de l'anéantissement auquel l'assemblée de 1789 l'avait réduit en séparant la justice criminelle de la justice civile, et en substituant de petits tribunaux mesquins aux grands corps de magistrature.

Je rends ceci sensible par des exemples: Un brigand de profession force une porte ou On comprend à présent que la législation péune croisée, sans montrer les armes qu'il a surnale de l'assemblée de 1789 n'était pas moins à lui, et dont il est décidé à faire usage s'il ren- revoir que sa législation sur les formes : il fallait contre de la résistance, et enlève pour cent mille donner au juge la latitude dont il a besoin pour écus de diamants, de vaisselle, d'argent, d'effets rendre exactement la justice. précieux un malheureux, peut-être pressé par la faim, fait sauter la mauvaise serrure qui ferme la porte d'un maraîcher et vole quelques légumes ou quelques fruits; eh bien! le juge ne peut se dispenser de condamner celui-ci aux mêmes peines que l'autre, parce que, dans les deux cas, il y a vol avec effraction extérieure. Un pauvre qui se retire la nuit chez un logeur, emporte un mauvais flambeau, dont la valeur monte au plus à cinquante centimes il sera puni de la reclusion comme le voleur armé, comme le voleur nocturne, comme le voleur domestique, qui ont dérobé des sommes considérables. Y a-t-il là justice?

Ainsi, une meilleure législation sur les formes, une meilleure législation pénale, la restauration de l'ordre judiciaire, voilà les trois considérations qui ont amené le Code d'instruction criminelle et le Code pénal actuels.

Il faut dire maintenant comment ces codes ont été donnés.

4. RÉDACTION D'un projet de code criminel,
QUI COMPRENAIT A LA FOIS LES DISPOSITIONS
SUR LES FORMES ET LES DISPOSITIONS PÉ-
NALES, ET DISCUSSION DE CE PROJET.

On présente au juge un escroc qui, par d'audacieuses manoeuvres, bien plus à redouter pour la société qu'un léger vol commis à l'aide d'une facile effraction, a su s'approprier cinq cent mille francs eh bien! le juge ne pourra le condamner qu'à un emprisonnement de cinq années, et à une amende de trois mille francs! Un arrêté du 7 germinal an ix (28 mars 1801), Y a-t-il là de quoi décourager, intimider, retenir forma une commission composée de MM. Vieldes escrocs entreprenants qui veulent bien ris-lard, Target, Oudard, Treilhard, et Blondel, quer quelques années de leur liberté pour faire pour s'occuper de la composition du Code crifortune, si leur adresse, sur laquelle ils comp-minel. Elle devait se réunir chez le grand juge lent, ne les tire pas d'affaire?

Voilà comment l'arbitraire de la loi, tantôt faible, tantôt atroce, ne donne jamais à la société une pleine et entière garantie.

Tel fut, tel sera toujours le résultat de cette prétention de tout prévoir, de tout régler jusque dans les moindre détails. C'est évidemment entreprendre l'impossible. Ces circonstances qu'on veut toutes spécifier, varient, se graduent, se nuancent tellement à l'infini, que l'imagination ne peut toutes les embrasser à l'avance. De ces variétés et de ces nuances, qui se diversifient suivant les espèces, depend néanmoins le plus

ministre de la justice, et présenter son travail au gouvernement en messidor. L'arrêté portait que les membres de la commission assisteraient aux séances du conseil d'État, lorsque le Code y serait discuté.

Les commissaires rédigèrent, sous le nom de Code criminel, correctionnel et de police, un projet unique en 1169 articles, où ils réunirent les dispositions sur les formes et les dispositions pénales, et qu'ils divisèrent en deux parties; la première était intitulée : Délits et peines, et était partagée en quatre livres, savoir: des peines criminelles et correctionnelles; des

personnes punissables ou responsables; des | faire à cet arrêté; et le grand juge rendit égalecrimes, des délits et de leur punition; des ment le compte que le même arrêté lui prescrivait. contraventions de police et des peines. La se- En ce qui touche la législation criminelle, la conde partie se composait de deux livres; l'un cour de cassation porta l'attention du gouverneintitulé de la police, l'autre de la justice. Lement sur la composition du jury et sur les quesprojet était précédé d'observations générales tions à poser aux jurés de jugement. Incidemdestinées à expliquer le système du projet. Celles ment, elle jeta en avant quelques réflexions sur qui se rapportaient à la première partie avaient l'institution en elle-même. été rédigées par M. Target, et celles qui concernaient la seconde, par M. Oudard. Ces observations méritent d'être lues. On les trouvera dans la partie de ce livre dont le Code d'instruction criminelle et le Code pénal sont la matière. Les changements les plus remarquables que le projet apportait à la législation existante, étaient, quant aux formes, la suppression des cours criminelles sédentaires, qu'il remplaçait chacune par un préteur, lequel en exercerait à lui seul les fonctions et irait tenir ses assises où besoin serait; et, quant à la pénalité, la latitude donnée au juge, pour les peines temporaires, entre un minimum et un maximum.

Le travail de la commission fut imprimé et distribué à la cour de cassation ainsi qu'aux cours tant criminelles que d'appel, pour qu'elles eussent à y faire leurs observations. Elles les ont effectivement fournies, et ces observations ont été imprimées en quatre volumes in-quarto. Le tout fut renvoyé, comme d'usage, à la section de législation du conseil d'Etat, présidée alors par M. Bigot-Préameneu, et composée de MM. Berlier, Galli, Réal, Siméon, et Treilhard. Sur ces entrefaites, un arrêté du 5 ventôse an x (24 février 1802) ordonna que la cour de cassation viendrait chaque année présenter aux consuls, en conseil d'État, le tableau des parties de la législation dont l'expérience lui aurait fait connaître les vices ou l'insuffisance. Le grand juge ministre de la justice devait également rendre compte des observations qu'il aurait recueillies sur le même sujet. Ces observations et ce compte devaient spécialement porter sur les moyens, 1o de prévoir les crimes, d'atteindre les coupables, de proportionner les peines, d'en rendre l'exemple plus utile; 2o de perfectionner les différents codes; 3o de réformer les abus qui se seraient glissés dans l'exercice de la justice, et d'établir dans les tribunaux la meilleure discipline, soit à l'égard des juges, soit à l'égard des officiers ministériels.

Le troisième jour complémentaire de l'an x1 (20 septembre 1803) une députation de la cour de cassation, composée de M. Muraire, premier président, et chargé de porter la parole; de M. Malleville, président de la section civile; de MM. Cochard, Lasaudade, Bailly, Zangiacomi, Cassaigne, Brillat-Savarin, Barris, Schwendt, Minier, Lacheze, juges; de M. Merlin, commissaire du gouvernement, vint satis-|

Elle dit « Le triste résultat de l'impunité des plus grands crimes offensant la morale publique, effrayant la société, a presque conduit à douter si l'institution des jurés, si belle en théorie, n'a pas été jusqu'aujourd'hui plus nuisible qu'utile dans ses effets.

» Et bientôt ce premier doute conduisant à un second, peut-être faudrait-il examiner aujourd'hui, d'après l'expérience, ce qui ne le fut par l'assemblée constituante qu'en spéculation : peut-être serait-il à examiner encore si, dans un pays où il n'y a plus de distinction, ni féodalité, ni priviléges, l'institution des jurés offre des avantages bien réels; s'il est bien vrai que, pour prononcer sur un crime et sur toutes les circonstances qui le nuancent, il suffise d'avoir du sens commun et des lumières naturelles; si l'institution des jurés s'adapte parfaitement au caractère national; si elle peut bien s'allier avec ce sentiment trop ordinaire de générosité et d'indulgence dans les uns, de timidité et d'insouciance dans les autres, qui portera toujours à la commisération l'homme qui ne s'est pas fortifié dans l'habitude de juger, et qui ne voit devant lui que l'homme qu'il va frapper, la société n'étant à ses yeux qu'un être abstrait et invisible: peut-être enfin serait-il à examiner encore si l'ordonnance de 1670, modifiée par les décrets de 1789, n'offre pas une garantie plus sûre, et des motifs plus réels de sécurité.

» Mais ceci, a continué l'orateur, appartenant plus à la discussion générale du code criminel qu'à de simples observations, le tribunal de cassation prend ce qui est, et remonte aux causes qui ont rendu si peu rassurant l'essai fait jusqu'aujourd'hui de l'institution des jurés. »

Ces causes, que la cour signalait, étaient la mauvaise composition du jury, où, faute d'avoir prescrit les qualités qui seraient nécessaires pour exercer ces fonctions redoutables, on introduisait des hommes incapables et ignorants, et d'où par des exclusions sans fin, et des incompatibilités exagérées, on éloignait les hommes instruits. C'était encore l'attribution donnée au pouvoir administratif de former les listes de jurés, la position de questions complexes et multipliées, et la question intentionnelle présentée séparément.

Sur la pénalité, la cour faisait ces sages réflexions:

« C'est une idée séduisante que celle qui a

engagé le législateur à prévoir, non-seulement dans les théories. Supposons qu'il ne fût comtoutes les espèces de délits, mais encore les cir- posé que d'hommes éclairés, impartiaux, inacconstances qui pouvaient les aggraver, et à dé-cessibles à la peur, et qui par leur état et leur terminer la gradation des peines d'après la nature et le nombre des circonstances.

fortune eussent le plus puissant intérêt au maintien de l'ordre social: dans ce cas, il n'est personne assurément qui ne désirât de les voir arbitres suprêmes de sa vie, de son honneur, et de tout ce qu'il a de plus cher.

» Mais si la loi ne peut prévoir et déterminer toutes les nuances par lesquelles un délit se varie à l'infini, qui le rendent plus ou moins grave ou odieux, qui le rendent susceptible d'une peine plus ou moins sévère; si cette précision mathé-qu'ici nous avons vu parmi nous? » matique ne peut pas exister dans le code pénal, cette idée de gradation qu'on a embrassée ne manque-t-elle pas son but? ne devient-elle pas au contraire une source d'erreurs et d'injustices? » Qu'un maximum et un minimum soient établis dans la gradation des peines qui en sont susceptibles, l'inconvénient disparaît, et ce serait une crainte vaine que celle de l'arbitraire laissé au juge, puisque la loi aura posé des limites qu'il ne pourra jamais franchir.

» Mais est-ce un jury ainsi composé que jus

Le ministre releva ensuite dans la composition du jury les vices que la cour de cassation avait indiques : « Sur près de quatorze cents notables, dit-il, que les incompatibilités laissent à Paris, il en est à peine cinq cents qui soient capables d'exercer les fonctions de juré; et lorsqu'on parcourt la nomenclature des citoyens rendus inéligibles, on voit que ce sont précisément ceux qui, selon toutes les apparences, en eussent le mieux rempli les fonctions.

» Un exemple fera mieux sentir la justesse de » Effrayés du résultat de ces essais, et consicette observation. Par nos lois pénales, la peine dérant d'après les rapports les plus exacts, que des recéleurs est la même que celle des voleurs : la complication des faits, la subtilité des discuscependant la peine du vol varie depuis la simple sions, l'ignorance et la lassitude, embarrassaient détention jusqu'à la peine de vingt ans de fers, toujours, et souvent accablaient le jury de jugesuivant les circonstances. N'est-il pas évident que ment, composé d'hommes étrangers à ce geure le recéleur du vol le moins qualifié peut, par d'application, beaucoup de bons esprits, nomdes circonstances qui lui sont propres, être plus bre de magistrats éclairés ont pensé qu'il serait criminel que le recéleur d'un vol qui a été préférable peut-être de ne conserver que le seul commis avec les circonstances les plus aggra-jury d'accusation, encore en s'appliquant à instituer le mode nécessaire pour parvenir à de meilleurs choix.

vantes?

» Il faut cependant aujourd'hui infliger au dernier une peine beaucoup plus forte qu'au premier. L'équité s'en offense, et elle n'est pas moins blessée de la punition égale de deux hommes convaincus d'un même délit, mais dont l'un est un scélérat déterminé, digne de toute l'animadversion de la justice, tandis que l'autre n'a été que faible et égaré. »

Le grand juge débutait ainsi « D'après les nombreuses réclamations qui se sont élevées contre les jugements par jurés, on serait tenté de ranger cette institution parmi celles que de vaines et trompeuses théories ont fait indiscrètement adopter.

» Dans ce système, on défère aux tribunaux l'instruction de la procédure ainsi que le jugement à l'égard des individus qui auraient été déclarés accusables, on maintient la publicité de l'instruction, ainsi que la communication des pièces, tant à l'accusé qu'à son défenseur, et on leur laisse à tous deux toute la latitude nécessaire pour faire valoir les faits et les moyens justificatifs.

» L'inégalité des conditions étant abolie, a-ton dit, on n'a plus à redouter ni les préjugés, ni l'oppression d'une caste ou d'un ordre.

» Les juges, sont comme les jurés, les vrais » Cependant des hommes de tous les pays, re-pairs des accusés, et ils ont par-dessus les jucommandables par leurs lumières autant que rés, l'étude, l'instruction et l'expérience des af par le désir sincère d'améliorer l'état social, ont faires. soutenu dans tous les temps et soutiennent encore que le jugement par jury est une des plus belles conceptions qui aient paru dans le cours des siècles.

» Ils sont fortement persuadés que cette institution assure l'indépendance des jugements, la punition du crime, la protection que réclame l'innocence.

» Sans doute ces magnifiques idées auraient pu se réaliser parmi nous, si le jury était, dans la pratique, tel qu'on se plaît à se le représenter

» D'ailleurs, ajoute-t-on, qui pourrait nier que l'opinion publique et la crainte du blâme n'aient une tout autre influence sur des magistrats que sur de simples jurés? Ceux-ci peuvent toujours se flatter que les erreurs et les écarts trouveront leur excuse dans leur inexpérience, dont on ne peut leur faire un crime.

» Mais des magistrats, obligés par devoir d'être appliqués et instruits, n'ont pas la ressource d'une telle excuse; ils n'ignorent pas qu'il est des erreurs qu'à leur égard on distin

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