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ARTICLE PREMIER. L'infraction que les lois punissent des peines de police est une contravention. L'infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est un délit. — L'infraction que les lois punissent d'une peine afflictive ou infamante est un crime.

La définition de l'art. 1er a eu pour seul but d'indiquer la compétence d'après la nature de la peine à laquelle l'accusation peut donner lieu; c'est là le seul principe qu'il ait voulu poser, c'est une méthode, une règle d'application; ce n'est point une théorie.

Cependant la division des actions tracées par l'article 1er n'est pas à l'abri de toute critique. Parmi les actions punissables, il n'existe qu'une seule division qui soit vraie, parce qu'elle est puisée dans leur nature. En effet, les unes prennent leur criminalité dans la moralité du fait, dans l'intention de l'agent: on les appelle crimes ou délits. Les autres ne sont que des infractions matérielles à des prohibitions ou à des prescriptions de la loi; elles existent par le seul fait de la perpétration ou de l'omission, et indépendamment de l'intention de l'agent ce sont les contraventions. Voilà la division la plus naturelle des actions punissables, elle est à l'abri de l'arbitraire et du caprice des législateurs; car les législateurs ne sauraient modifier le caractère des faits.

L'art. 1er du code pénal a une assez grande importance dans l'application, par cela même qu'il détermine le caractère du fait d'après la nature de la peine infligée. Il en résulte cette heureuse conséquence, que les faits poursuivis prennent leur véritable caractère dans la condamnation dont ils sont l'objet; ainsi le fait que le ministère public poursuit comme crime ou comme délit, et qui est reconnu aux débats n'avoir d'autre caractère que celui d'un délit ou d'une contravention, est considéré comme n'ayant jamais eu que ce dernier caractère ce principe a reçu une féconde application dans les matières de récidive, de prescription ou d'excuse à raison de l'âge. Il y a des arrêts de la cour de Bruxelles, des 27 sept. 1821 et 21 juin 1824; et de Liége, des 5 sept. et 19 déc. 1828, dans ce sens.

Un autre corollaire du même principe, c'est qu'aucune action ne peut être poursuivie si elle n'a pas les caractères d'un crime, d'un délit ou d'une contravention.

ROGRON. C. PÉNAL.

Des peines de police. Ces peines sont graduées en raison de la gravité des contraventions; lesquelles se divisent en trois classes: la première classe comprend les contraventions légères, punies simplement d'une amende depuis un fr. jusqu'à 5 fr. inclusivement (471); la seconde, les contraventions punies d'une amende depuis 6 fr. jusqu'à 10 fr. inclusivement (475); la troisième classe comprend les contraventions punies de 11 à 15 fr. inclusivement (479).

Est une contravention. La répression de ces infractions appartient aux tribunaux de simple police; c'està-dire au juge de paix ou au maire. (139, 166, c. d'instr. crim.)

Des peines correctionnelles. Ces peines sont l'emprisonnement à temps, dans un lieu de correction, l'interdiction à temps de certains droits civiques, civils ou de famille, l'amende. (Art. 9.)

Est un délit. Les délits sont de la compétence des tribunaux correctionnels. (179, c. d'instr. crim.)

D'une peine afflictive ou infamante. Les peines afflictives infamantes sont la mort, les travaux forcés, la déportation, les travaux forcés à temps, la réclusion (art. 7); les peines infamantes sont le carcan, le bannissement, la dégradation civique. (Art. 8.)

Est un crime. C'est aux cours d'assises que la connaissance des crimes est déférée. (231, c. d'instr. crim.)

2. Toute tentative de crime qui aura été manifestée par des actes exterieurs et suivie d'un commencement d'exécution, si elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de l'auteur,est considérée comme le crime même.

Toute tentative de crime. Et non pas toute tentative de délit ; nous verrons dans l'article suivant, que la loi distingue en effet, entre les tentatives de crimes, et celles de délits.

Manifestée par des actes extérieurs, etc. Tant qu'une pensée repose dans le sein de l'homme, Dieu seul a le droit de lui en demander compte. Ce n'est que lorsqu'elle se produit au dehors, lorsqu'elle se manifeste par des actes extérieurs, qu'elle tombe sous la juridiction 1

humaine. Cogitationis pœnam nemo patitur, a dit Ulpien (1). Ainsi les résolutions les plus perverses, les plus criminels projets, restent libres, tant qu'ils ne sont que des résolutions et des projets. La loi voudrait vainement les atteindre, son action serait frappée d'impuissance; ils échappent par leur nature même à la répression. Ce n'est qu'à l'instant où l'homme qui a conçu cette pensée d'un crime, la manifeste par quelque acte extérieur, que le péril social commence, que la responsabilité devient légitime. Cependant, comme il existe toujours entre la consommation du crime et la tentative de grandes différences; puisque l'une est toujours évidente, tandis que l'autre peut se dérober encore aux yeux les plus clairvoyants, la loi, pour éviter l'arbitraire, a pris soin d'indiquer les circonstances auxquelles on reconnaîtrait ces tentatives qu'on doit assimiler au crime Ini-même: 10 la tentative doit être manifestée par des actes extérieurs; 20 elle doit être suivie d'un commencement d'exécution; 50 elle n'a dû être suspendue, ou elle n'a dù manquer son effet que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de son auteur. Ces trois circonstances sont indispensables, et si une seule d'elles manquait, la tentative échapperait à la vindicte publique (2). Comme la loi ne précise pas ce qu'elle entend par actes extérieurs, il s'ensuit que l'appréciation de ces actes est laissé aux magistrats qui rédigent l'acte d'accusation; et que par suite, l'appréciation erronée des faits qui constituent ces actes extérieurs n'entraînerait pas la cassation de l'arrêt; mais il est facile de donner des exemples de faits constituant des actes extérieurs; ainsi un individu s'introduit dans une chambre, avec l'intention d'y voler. Il y a là un acte extérieur.

Le fait de celui qui est surpris sur le point d'ouvrir un meuble, dans un lieu où il s'est introduit en faisant usage d'une clé égarée, constitue la tentative de vol. (Br., 31 octobre 1834.)

D'un commencement d'exécution. C'est la seconde condition exigée pour que la tentative puisse être assimilée au crime même. Ainsi un individu s'introduit dans une maison, et brise les armoires, dans lesquelles il ne trouve rien; bien qu'il n'y ait pas eu réellement de vol commis, il y a eu un commencement d'exécution, et la tentative n'a manqué son effet que par une circonstance indépendante de la volonté de l'accusé; il faut encore remarquer ici que la loi ne précisant pas ces faits constitutifs du commencement d'exécution, l'erreur sur ce point, de la part des magistrats qui prononcent le renvoi du prévenu, ne saurait former un moyen de cassation. La cour suprême a décidé que, lorsqu'il est déclaré que la tentative a eu lieu avec un commencement d'exécution, il s'ensuit nécessairement qu'elle a été manifestée par des actes extérieurs, de sorte que l'omission de cette dernière déclaration est indifférente; cette doctrine de la cour suprême ne paraît pas en parfaite harmonie, il faut le dire, avec le texte de la loi (3). L'escalade et l'effraction doivent-elles être considérées comme des actes purement préparatoires ou d'exécution? M. Rossi, n'hésite pas à voir dans ces actes un commencement d'exécution. Suivant ce célèbre pro

fesseur, l'escalade et l'effraction touchent de trop près à l'action criminelle pour qu'on puisse les en séparer ; ces actes se confondent dans cette action, et ne forment avec elle qu'un seul tout. Cette opinion, qui peut sembler spécieuse, ne nous a pas paru exacte. L'escalade, l'effraction, de même que l'usage de fausses clefs, sont évidemment en dehors de l'action criminelle, ils la précèdent, ils la préparent; mais elle n'est pas encore commencée. Comment soutenir en effet que l'escalade, par exemple, est un commencement de vol? Cet acte ne peut-il pas avoir pour but la perpétration d'un tout autre crime, d'un rapt, d'un viol, d'un assassinat ? C'est d'après cette distinction que l'on voit que la loi romaine incrimine l'escalade et l'effraction, abstraction faite du crime que ces actes avaient pour but de commettre. M. Carmignani, refuse également de voir dans ces faits

des actes d'exécution.

Mais, indépendamment de ces raisons générales, nous ferons remarquer avec M. Carnot, que l'usage des fausses clefs, l'escalade et l'effraction n'ont été considérés par le législateur que comme des circonstances aggravantes des crimes, et qu'il n'a puni ces actes, quelque graves qu'ils puissent être, qu'autant qu'ils se rattachent à un crime tenté ou consommé. Dès lors ces circonstances ne peuvent constituer par elles-mêmes une tentative punissable. Elles révèlent une intention criminelle; mais la loi ne punit l'intention que lorsqu'elle accompagne la perpétration ou la tentative d'un fait punissable, et le législateur n'a pas aperçu dans ces actes préparatoires assez de péril pour en faire l'objet d'une pénalité principale.

Cependant, si l'escalade était suivie d'un acte quelconque d'exécution, quelque léger qu'il fût, il est évident qu'il y aurait tentative: ainsi le déplacement d'un objet, l'ouverture d'un meuble suffiraient, dans ce cas, pour constituer le crime. C'est ce que la cour de cassation a décidé; et cette solution démontre, en même temps. combien est inexacte cette proposition qui a été soutenue, qu'entre l'escalade et le vol consommé la pensée ne peut concevoir aucun fait intermédiaire qui puisse être un commencement d'exécution. Il y a dans l'art. 317 du code pénal une exception aux principes, qui veulent que la tentative soit assimilée au crime même. Cet article s'occupe de l'avortement, et il dispose que la femme et les gens de l'art qui ont pu l'aider dans cette opération coupable, ne sont punissables pour avoir employé ou administré les moyens propres à procurer l'avortement, qu'autant que ces moyens ont été accompagnés de cet affreux résultat. La raison de cette exception se puise dans la difficulté de constater légalement l'intention d'un crime, lorque la nullité des résultats vient attester l'impuissance des moyens employés.

Que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de l'auteur. C'est la troisième condition voulue, pour que la tentative soit punissable: ainsi une personne se dispose à manger les aliments aux quels une main coupable a mêlé des poisons; elle s'arrête tout à coup, parce que ces aliments lui répugnent, ou bien parce qu'un tiers l'avertit (4). La circonstance

(1) L. 18, Dig, de pœnis,

(2) Les trois circonstances constitutives de la tentative du crime, sont tellement indépendantes l'une de l'autre, que dans le cas où un fait est considéré comme acte extérieur il ne peut, en même temps, être regardé comme commencement d'exécution. (Toulouse, 1er août 1825.)

Il ne suffirait donc pas, pour l'application de la peine, que la tentative fût déclarée constante; il est nécessaire qu'il soit reconnu qu'elle réunit tous les caractères déterminés dans l'article 2 du code pénal: car, nous le répétons, l'accusé peut être déclaré coupable d'une tentative, mais qui, n'étant pas celle du code pénal, ne serait dans Ja vérité rlen autre chose qu'une Intention, un projet dont

la répression n'appartient point à la justice sociale. La jurlsprudence n'a pas dévié de cette règle, et c'est en l'appliquant que la cour de cassation a successivement jugé que là réponse du jury qui n'a prononcé que sur deux caractères de la tentative, et a gardé le silence sur le commencement d'exécution, est incomplète; et que la déclaration portant qu'il y a tentative de crime, mais que cette tentative n'a pas réuni les caractères spécifiés en l'article 2, ne présente, au contraire, aucune obscurité. Dans cette double hypothèse, il n'y a pas de tentative légale, le crime s'est effacé. (3) Voy, la note précédente.

(4) Il y a un degré distinct entre la tentative et le délit manqué y a délit manqué lorsque l'agent a achevé tous

est fortuite ou Indépendante de la volonté de l'auteur du crime, et la tentative doit être punie comme le crime même; au contraire, à l'instant où la personne qu'on a voulu faire périr, porte à sa bouche les aliments empoisonnés, le malheureux qui a conçu le crime l'arrête, il se répent et avoue son horrible projet. La circonstance qui, dans ce cas, a suspendu ou fait manquer le crime, émane de la volonté de l'auteur de la tentative, et, par suite, elle n'est pas punissable. La loi en effet ne frappe qu'à regret, elle aime mieux empêcher le crime, que de le punir; si l'auteur de la tentative, après avoir préparé le crime par des actes extérieurs, s'arrête par un sentiment libre et spontané, sur le bord de l'abîme, il est sauvé. C'est un appel aux remords, une rémission, une grâce accordé au repentir volontaire.--Comme une tentative de crime n'est assimilée au crime même qu'autant qu'elle réunit les trois circonstances qu'indique notre article, il s'ensuit que l'acte d'accusation devrait énoncer toutes ces circonstances, sous peine autrement d'être annulé avec tout ce qui s'en est suivi, par la cour suprême, lors même qu'il n'aurait pas été attaqué devant la cour d'assises, parce que l'omission de ces circonstancos empêche que l'acte d'accusation ne repose sur un fait criminel aux yeux de la loi. Les expressions, qui énoncent les circonstances élémentaires de la tentative punissable, ne sauraient être remplacées par des termes équipollents. Dans les premiers temps qui suivirent la promulgation du code pénal, quelque incertitude s'était manifestée à cet égard dans la jurisprudence de la cour de cassation, mais le principe est aujourd'hui parfaitement reconnu. Et en effet, si des expressions équipollentes étaient admises, comment reconnaître que ces expressions ont identiquement la valeur des termes de la loi? Quelle interprétation serait assez infaillible pour en être assurée ? Et comment asseoir une peine sur une interprétation? La question doit donc être posée aux jurés dans

les termes mêmes de la loi ; et peut-être est-ce un devoir pour le président d'appeler leur attention sur les circonstances constitutives du crime, et sur les nuances qui distinguent ces circonstances.

Lorsque l'accusé est renvoyé devant la cour d'assises comme coupable d'un crime consommé, la question de la tentative peut-elle être posée au jury? En général, l'affirmative n'admet aucun doute. En effet, la tentative d'un crime n'est qu'une modification du crime même; l'accusation du crime consommé comprend donc nécessairement l'accusation de la tentative de ce crime. Cependant cette solution peut, dans certains cas, n'être pas exemple de difficultés. C'est ainsi que la question de la tentative ne devait pas être posée sans quelque distinction à l'égard de l'accusé de meurtre. En effet, la nuance qui sépare les coups et blessures de la tentative de meurtre ou d'assassinat est difficile à saisir. Il n'y a pas tentative de meurtre, par cela seul que les blessures ont été graves, ou qu'elles ont été faites avec une arme meurtrière il est nécessaire qu'il y ait eu dessein de tuer. La question de la tentative ne doit donc être posée que lorsqu'il résulte des débats que l'attaque a été effectuée avec la volonté de tuer, et elle doit renfermer cette circonstance au cas contraire, la question ne doit porter que sur les blessures. En ce cas, c'est un devoir pour le président des assises d'appeler l'attention des jurés sur les nuances qui pourraient leur échapper, si elles ne leur sont pas indiquées, parce qu'elles résultent de dispositions des lois pénales qu'ils peuvent ignorer. — Par une espèce d'exception au principe posé dans l'article actuel, de grandes considérations d'intérêt public ont fait décerner des peines contre ceux qui ont eu connaissance de crimes de lèse-majesté et de complots, et qui ne les ont pas révélés, à moins qu'ils ne soient époux, ascendants, etc. (103, 104, 105, 106, 107 et 108.)

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Les complices de la tentative doivent être punis comme

les actes qui avaient pour but d'accomplir une action criminelle, mais que cette action n'a pas eu l'effet matériel qu'il attendait. Ainsi un individu décharge une arme à fem sur celui qu'il voulait tuer, mais le coup n'atteint pas la personne, ou cette personne blessée est sauvée par les secours de l'art. Ainsi encore, un homme, pour procurer l'avortement d'une femme enceinte, lui fait avaler un breuvage, mais l'effet de ce breuvage est prévenu par des soins. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a pas seulement tentative, car le crime ne peut plus être volontairement suspendu par la volonté de son auteur, il a achevé tous les actes d'exécution; mais ce crime n'est pas consommé, car une condition essentielle du meurtre et de l'avortement, c'est que la mort ait été donnée, que l'avortement ait eu lieu. Ce résultat n'a pas suivi les faits matériels accomplis dans le dessein de les produire : le crime est manqué.

C'est une opinion professée par plusieurs criminalistes, que la loi ne doit pas infliger les mêmes pénalités au crimé manqué dans son effet, et au crime dont l'effet a été consommé. Leurs metils peuvent se résumer dans deux arguments principaux. L'auteur du crime manqué n'a pas produit le même préjudice matériel que l'auteur du crime consommé. Cette diversité du résultat doit peser dans la balance de la justice sociale en fixant la mesure de la peine. Le législateur doit avoir égard non-seulement à la criminalité de l'intention revelée par le délit, mais aussi au mal qui résulte de ce délit pour la société, au dommage et à l'alarme qu'il produit. A la vérité, ajoute M. Rossi, si l'événement n'a pas suivi l'action, c'est l'effet du hasard, et le coupable en profite. Mais dans tous les crimes qui exigeut, comme condition légale de leur existence, un certain résultat, le hasard exerce sa puissance; il y a bonne ou mauvaise fortune, et pourquoi l'auteur du crime ne profiterait-il pas, dans une certaine mesure, du bonheur qui a protégé sa victime?

Une seconde considération a été produite dans le même système. It existe, a-t-on dit, un fait constant, général, un de ces faits de l'humanité dont le législateur doit tenir compte, lors même qu'il ne saurait en trouver une explication suffisante : c'est que les hommes ne confondent pas l'auteur d'un crime manqué avec l'auteur d'un crime consommé; c'est que le remords du criminel dont le crime est irréparable est plus cuisant; la conscience de l'au

tre s'apaise plus facilement. Or, la loi pénale doit-elle faire abstraction de ce rapport que la conscience humaine parait reconnaitre entre l'événement et l'immoralité de l'agent? L'expiation ne doit-elle pas se mesurer d'après le sentiment intime?

Reprenons ces deux argumentations. D'abord, il est évident, et nul ne l'a nié, que l'auteur du crime manqué dans son effet est aussi coupable aux yeux de la morale que celui dont le crime a été consommé : car, dans l' et l'autre cas, l'action est également consommée dans l'intention de son auteur; dans l'un et l'autre cas, le repentir n'a point arrêté ses pas, il n'a point hésité à l'instant de l'exécution, le crime s'est accompli; si l'événement a trahi son exécution, c'est le simple effet d'un hasard. Or, est-il vrai que la peine doive fléchir par cela seul que le plomb, par exemple, a rencontré sur le cœur de la victime un obstacle quelconque, un acier protecteur, ou parce que des secours ont arrêté à temps son sang et conservé sa vie? Le crime est le même; la différence du châtiment doit-elle se puiser uniquement dans la différence d'un résultat qui a été indépendant de la volonté du coupable? Nous avons éprouvé, nous l'avouerons, quelque étonnement de rencontrer une telle doctrine dans une école spiritualiste qui a l'habitude de prendre dans l'immoralité des actes la base commune de ses incriminations.

La question se réduit à ceci : Le législateur doit-il proclamer comme un fait d'excuse le hasard qui a empêché le crime de réussir? Mais ne pro lamerait-il pas par là même une immoralité? Car it easeignerait a peser les actions d'après leur résultat matériel, et non d'après l'intention criminelle qui les a dirigées. Le dommage causé par le crime est, sans doute, un élément de la pénalité, mais c'est lorsque la qualité de ce dommage peut être considérée comme un fait révélateur de la criminalité de l'agent. Il est encore vrai de dire que les hommes ont moins d'horreur pour les mains qui ne se sont pas souillées de sang que pour celles qui s'y sont trempées. Mais est-ce donc dans cette impression toute physique que la loi doit puiser les règles de sa répression? Ce qu'elle doit apprécier, c'est la criminalité telle qu'elle est révélée par les faits; ce qui doit la déterminer à échelonner ses peines, ce sont les nuances diverses de l'immoralité qui accompagne chaque action criminelle,

les complices du crime consommé ; cela résulte et de l'art. 2 qui assimile au crime même la tentative qui se produit avec les circonstances prévues par la loi, et de l'art. 60 qui frappe les complices des mêmes peines que les auteurs principaux.

De ce principe découle une double conséquence. Si la tentative n'est pas accompagnée des circonstances qui la constituent, le complice, quelle que soit la part qu'il y ait prise, est à l'abri de toute peine. Ainsi le mandant qui a chargé un individu de commettre un crime, qui a manifesté cette volonté par des actes extérieurs, qui n'a rien fait pour en empêcher l'exécution, est protégé par la loi, si le mandataire n'a pas agi; car cette tentative n'est qu'un projet tant qu'elle n'a pas été suivie d'un commencement d'exécution. C'était aussi la décision des docteurs Mandans aliquod delictum non videtur puniendus, si illud non sequatur.

Au contraire, si la tentative effectuée par l'agent réunit les caractères qui la rendent punissable, la peine atteint les complices, quelque légère que soit la part qu'ils aient prise à la préparation du crime, et lors même qu'ils n'auraient pas trempé dans l'exécution commencée. Cette décision rigoureuse n'est que l'application de l'article 60 du code, qui a voulu que l'assistance donnée avec connaissance dans les faits préparatoires du crime constituat la complicité par elle-même et indépendamment de toute participation des complices au commencement d'exécution du fait principal. En effet, aux termes de cet article, l'un des faits caractéristiques de la complicité, c'est d'avoir aidé ou assisté avec connaissance l'auteur d'une action qualifiée crime dans les actes qui l'ont préparée, et ce fait caractérise la complicité dans les tentatives comme dans les crimes consommés, puisque la tentative du crime, lorsqu'elle réunit les circonstances fixées par l'art. 2, forme un crime principal. Or, de même que l'intention de son auteur a toujours été de consommer le crime, de même aussi c'est à cette consommation que s'est référée l'assistance donnée dans les actes préparatoires.

3. Les tentatives de délits ne sont considérées comme délits, que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi (1).

Ne sont considérées comme délits. Ainsi nous avons vu, qu'à quelques exceptions près, les tentatives de crimes, accompagnées des circonstances énumérées dans l'article précédent, étaient toutes assimilées au crime; il en est différemment en matière de tentatives de délits, et c'est simplement lorsque la loi le déclare spécialement, qu'une tentative de délit prend les caractères du délit lui-même. Le législateur a pensé que les caractères des délits n'étant pàs aussi marqués que les caractères des crimes, leur exécution peut très-bien avoir été préparée et commencée par des circonstances et des démarches, qui, en elles-mêmes, n'ont rien de repréhensible, et dont l'objet n'est bien connu que lorsque le délit est consommé; il eût par suite été dangereux d'embrasser les tentatives de délits dans une disposition générale. L'intérêt de la société à la répression de ces délits n'est évidemment que secondaire, et cet intérêt devient plus faible encore lorsqu'il ne s'agit que d'une simple tentative. Ce n'est plus un mal réel produit par le délit

consommé que l'on poursuit ; c'est un péril, une alarme, qui sont fort légers, puisqu'ils se proportionnent à l'exiguité du fait. Et puis, parmi ces tentatives, si les unes échappent à la répression sociale par leur faible importance, les autres s'y dérobent par la difficulté de déterminer leurs caractères et d'en faire ressortir la criminalité. « In levibus delictis, disaient les docteurs, non punitur affectus seu conatus, effectu non secuto.» En règle générale, la tentative d'un simple délit ne doit donc faire la matière d'aucune poursuite, soit à cause de la difficulté des preuves, soit à cause de l'exiguité du péril social; et ce n'est que dans quelques cas spéciaux où ce péril est plus appréciable, où les preuves sont faciles, que cette criminalité peut être justifiée. Telle est aussi la théorie que le code pénal a consacrée. Les cas spéciaux, dans lesquels la loi punit les tentatives de délits, sont même fort rares. Ce sont, par exemple, la tentative de corrompre des fonctionnaires publics (179); les lentatives de larcins et filouteries (401); les tentatives d'escroquerie (405); les tentatives ayant pour objet d'abaisser le salaire des ouvriers ou d'empê cher le travail dans un atelier. (414, 415. F ́. aussi les art. 241 et 245.) Bien que la loi ne dise pas, quant aux tentatives de délits, qu'elles doivent être accompagnées, pour être punissables, des trois circonstances énoncées dans l'article précédent, il paraît constant cependant, que ces tentatives n'existent réellement qu'avec ces circonstances; car autrement ces tentatives ne seraient que des projets qui, n'existant encore que dans la pensée, échapperaient nécessairement à la vindicte publique.

4. Nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis (2).

Des peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis. Il est de principe, que la loi n'est exécutoire que du jour où la promulgation en est réputée connue; cette règle est en elle-même hors de toute atteinte. Or sa conséquence nécessaire est que la loi ne peut avoir d'effet rétroactif : c'est la disposition textuelle de l'art. 2 du code civil. « Si les lois pouvaient rétroagir, il n'y aurait plus ni sûreté ni liberté. La liberté civile consiste dans le droit de faire ce que la loi ne défend pas. On regarde comme permis tout ce qui n'est pas défendu. Il est impossible aux citoyens de prévoir qu'une action innocente aujourd'hui sera défendue demain. >>

Tel est aussi le principe que le code pénal a consacré par son art. 4.

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« Cet article, a dit M. Treilhard, retrace une maxime « que l'on peut regarder comme la plus forte garantie « de la tranquillité des citoyens. Un citoyen ne peut étre puni que d'une peine légale. Il ne doit pas être laissé dans l'incertitude, sur ce qui est ou n'est pas punissable; il ne peut être poursuivi pour un acte qu'il a pu, << de bonne foi, supposer au moins indifférent, puisque la loi n'y attachait aucune peine. »>

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Voilà l'esprit de l'art. 4. On doit en déduire cette règle tutélaire qu'aucune condamnation ne peut être prononcée, aucune peine infligée, si elle ne s'appuie

(1) La définition de la tentative posée à l'art. 2 du code pénal, est applicable aux délits, lorsque la loi punit la tentative des délits. (Br., cass., 29 janvier 1836.)

Les tribunaux de police correctionnelle étant juges du fait et du droit, on a pensé qu'il suffisait qu'ils reconnussent un prévenu coupable d'une tentative de délit, et que cette déclaration proclamait implicitement l'existence des circonstances constitutives de cette tentative. Mais nous ne saurions adopter cette opinion. La tentative d'un délit, dans le cas même où la loi l'incrimine, n'est punissable qu'autant

qu'elle est caractérisée; il est donc nécessaire que le jugement qui applique la peine constate les caractères qui seuls justinent cette application, Autrement le délit ne serait pas qualifié, puisqu'on chercherait vainement dans le jugement les circonstances constitutives du fait que la loi à voulu atteindre et punir.

La tentative d'un délit forestier n'est pas assimilée au délit même. Arrêts de la cour de France et de Bruxelles. (2) Nulle peine ne peut être établie niappliquée qu'en vertu de la loi. (Const. Belge, art. 9.)

sur un texte précis de la loi. Il faut même que ce texte soit clair, transparent, de sorte que le citoyen le moins instruit puisse en saisir la prescription (1).Car, s'il n'a pu comprendre la défense, comment avec justice pourriezvous lui appliquer la peine? Si la prohibition était environnée d'ambiguités, où serait sa faute de ne l'avoir point aperçue?

On doit donc surtout rejeter sans hésitation, en matière pénale, ces interprétations tirées, soit d'analogies plus ou moins exactes, soit de rapprochements, soit de déductions plus ou moins ingénieuses; on doit répudier l'application de ces lois pénales, dont l'existence est une question parmi les jurisconsultes, à demi vivantes, à demi abrogées par des lois postérieures ou par désuétude. Comment le délinquant aurait-il connu la peine, lorsque les criminalistes eux-mêmes en controversent la vitalité? Les citoyens seront-ils punis pour avoir embrassé telle face de cette controverse? Seront-ils astreints à parcourir toutes les séries du bulletin des lois, pour s'assurer quelles dispositions sont éteintes, quelles dispositions peuvent se rallumer au flambeau dé l'interprétation? Cette tâche et cette étude appartiennent aux jurisconsultes; elles ne doivent pas être imposées aux citoyens.

Le principe conservateur de la non-rétroactivité reçoit deux exceptions, que les lois et la jurisprudence ont introduites.

La première est favorable aux prévenus. Elle permet à la loi pénale; nouvellement promulguée, de se retourner en arrière, et de saisir les prévenus de faits commis avant sa promulgation, dans le cas où les peines qu'elle porte seraient plus douces que les anciennes. (L'on peut voir une application de ce principe dans la jur. de Belg. an 1836, p.360.) La théorie de cette exception s'explique aisément lorsque le pouvoir social juge que les peines dont la loi est armée sont trop sévères, lorsqu'il pense que la conservation de l'ordre social n'est pas intéressée à les maintenir, lorsqu'il désarme en un mot, il ne pourrait, sans une étrange inconséquence, continuer à appliquer, même à des faits antérieurs à ses nouvelles prescriptions, mais non encore jugés, des peines qu'il proclame lui-même inutiles et trop rigoureuses. Ce n'est donc pas une sorte de faveur, comme quelques écrivains l'ont dit, mais un strict principe de justice qui justifie cette exception. Car, il serait d'une souveraine injustice d'appliquer des peines qu'au même instant on déclare surabondantes ou d'une sévérité excessive. La seconde exception a été introduite par la jurisprudence plus que par la loi, à l'égard des lois qui règlent la compétence ou la forme de procéder.

5. Les dispositions du présent code ne s'appliquent pas aux contraventions, délits et crimes militaires.

La légitimité d'une justice militaire ne pourrait être sérieusement mise en doute. Elle est légitime, a dit M. de Broglie, parce qu'elle est nécessaire. En effet, l'indépendance des nations n'est protégée que par les armées, et les armées ne peuvent exister que par le rigoureux accomplissement des engagements et des devoirs qui leur sont propres. Pour en assurer la constante exécution, il faut donc qu'une justice ferme et prompte frappe ceux qui les méconnaissent. On peut même ajouter que l'existence des tribunaux militaires importe à la saine distribution de cette justice; car seuls ils peuvent comprendre et les devoirs qu'il est essentiel de faire respecter, et les circonstances de la transgres

(1)L'arrêt de la cour de Bruxelles du 2 mars 1833,qui décide que la prohibition faite par la loi du7 octobre 1831, art. 6, d'acheter aux militaires des effets de leur équipement non revêtus de la marque de rebut comprend celle de les acqué

tion qui en modifient le caractère. Cette juridiction exceptionnelle se fonde donc, d'abord, sur une haute et puissante considération politique, une raison d'état souveraine, la nécessité d'assurer la mission d'obéissance et de sacrifices à laquelle les armées sont dévouées; elle se fonde, ensuite et secondairement, sur un principe de justice substantielle, parce que ce n'est que devant des tribunaux militaires que les délits disciplinaires peuvent obtenir bonne et sûre justice. Mais puisque c'est de la nécessité que dérive la légitimité de la justice militaire, on doit conclure que là où cette nécessité n'est plus constatée, cette juridiction cesse d'être légitime Cest le premier principe théorique de la matière, et il est évident que plus les règles du droit commun domineront dans l'esprit du législateur, plus les limites de la juridiction exceptionnelles seront étroites et resserrées. Hors des rangs de l'armée, nul ne doit être sujet à sa juridiction. Le citoyen appartient à la justice civile: son immunité est si grande, qu'en cas de complicité il entraîne le militaire qui a coopéré à son délit devant la juridiction ordinaire. Le législateur ne doit livrer aux tribunaux exceptionnels que les individus qui, par position, par choix, par nécessité, ont ces tribunaux pour leurs juges naturels : il doit placer entre la société civile et la famille militaire une barrière qui ne peut être franchie. Les militaires eux-mêmes doivent être considérés sous deux points de vue distincts. Comme militaires, ils ont contracté des obligations d'un ordre tout spécial. Ces obligations, lorsqu'ils y manquent, les exposent à des peines particulières; c'est à ce tire qu'ils sont réclamés par les tribunaux d'exception. Mais avant d'être militaires, ils sont citoyens; ils sont soumis, comme les autres membres du corps social, aux lois générales qui régissent le pays; accusés, eux aussi, ils ont droit à toutes les garanties que la loi assure à l'innocence en péril, et dans un intérêt opposé, s'ils ont failli,c'est à la justice du pays,à la justice ordinaire qu'ils doivent réparation. Cette distinction capitale a été trop long-temps méconnue. La société n'est plus en sûreté, lorsque la poursuite des délits qui blessent l'ordre civil n'est point confiée aux magistrats chargés de sa défense. Il faut restituer à la juridiction ordinaire tous les délits commis, même par des militaires, contre les lois générales de la société.

La compétence des tribunaux exceptionnels ne doit donc exister que pour les militaires ou les personnes nécessairement attachées à l'armée, et seulement à raison des délits militaires qu'ils ont commis. Or, ces délits peuvent se réduire à deux espèces : les uns sont d'ordre politique, ce sont ceux qui attentent à la discipline de l'armée, ceux qui enfreignent le devoir militaire; les autres appartiennent à l'ordre moral : ce sont des délits communs qui prennent un caractère mixte à raison de la qualité des prévenus et des personnes qu'ils lèsent; tels sont les délits commis de militaire à militaire, et les vols dans les casernes. Mais les infractions de cette deuxième catégorie ne doivent même appartenir aux conseils de guerre que lorsque les prévenus sont en pleine activité de service; dans toute autre situation, la nécessité du service militaire n'exigeant plus leur concours, elles doivent être de la compétence des tribunaux ordinaires.

LÉGISLATION MILITAIRE (2).

Des lois particulières règlent l'organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et

rir par échange, semble,à la rigueur, avoir méconnu ces principes.

(2) La législation criminelle militaire étant peu connue,nous croyons devoir en donner ici un aperçu succinct.

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