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«<les autres, comme s'ils étaient vivans, tant les rangs « étaient serrés (1). »....

Cette manière de combattre était commune à tous les peuples du Nord; les Celtes la pratiquaient comme les Germains. J'en rapporterai un exemple tiré du premier livre de la guerre des Gaules de César, chapitre 25. Le général romain s'était mis en bataille sur une colline; les Helvétiens, marchant très-serrés, vinrent l'attaquer en colonnes, renversèrent sa cavalerie, et montèrent jusqu'à la première ligne. Mais il arriva que les javelots lancés par les Romains enfilè→ rent les boucliers, des Gaulois, qui, se trouvant trop serrés, ne purent les arracher ni combattre commodément, parce qu'ils n'avaient pas le bras gauche libre. D'ailleurs, comme ils étaient hors d'haleine, et que le terrain était inégal, les premiers n'eurent pas plutôt reculé, que les autres furent entraînés par leur poids; ce qui fut cause qu'ils se rompirent en trèspeu de temps. Cette observation d'un si grand maître fait voir que la colonne, si elle a de grandes forces, a aussi de grands inconvéniens, pour peu qu'elle ne soit pas ajustée, par un chef habile, au terrain qui lui convient.

Il ne faut cependant pas croire que les Français

(1) Ibi enim tanta strages ab utroque exercitu facta est, ut phalanges in ingressu certaminis contra se præliantes, cadavera virorum occisorum undique, non habuerunt ubi inclinata jacerent, sed stabant mortui inter cæterorum cadavera stricti, quasi viventes, (Fredegarii scholastici chronicum, c. 38.)

s'en tinssent uniquement à cette ordonnance; ils en pratiquaient plusieurs autres, suivant la nature du terrain ou les desseins du général. Ils savaient, comme les autres Germains (1) et les Romains même, se former en coin ou en tête de porc, ordonnance qui à de grands avantages pour pénétrer dans une armée ennemie, la fendre, pour ainsi dire, et la rompre. Voici l'idée que je me forme d'un corps d'armée disposé en coin:

Cette figure revient à celle que donné le Père Da niel dans son Histoire de la milice française (2). Toute la différence consiste dans la pointe du triangle, que je fais plus aiguë, et en vraie tête de porc, ce qui me paraît mieux convenir à l'usage du coin. Ce fut dans cette disposition que Bucelin, général des Français en Italie, fit attaquer, à quelques lieues de Capoue, l'an 554, l'armée impériale, commandée par Narsès. Il était question de rompre d'abord un

(1) Acies
per cuneos componitur. (De mor. Germ.)
(2) T. 1, p. 24.

rière eux,

gros bataillon de soldats armés de pied en cap, qui faisaient la tortue; c'est-à-dire qu'étant extrêmement serrés, ceux du premier rang se couvraient tout le corps de leurs boucliers; les autres les mettaient sur leurs têtes. Dès que les Français furent proche de la tortue, ils lancèrent leurs haches contre les boucliers du premier rang pour les casser, et avancèrent tout de suite l'épée à la main. Non seulement ils rompirent la tortue des Impériaux, mais ils renversèrent la première ligne de leur infanterie, et même la seconde en quelques endroits; de sorte que, sans regarder derils marchèrent au camp des ennemis pour le piller. Ce fut alors que, s'étant mis en désordre, Narsès fit donner sa cavalerie: elle les prit en même temps à dos et en flanc; et entrant sans peine dans leurs rangs, elle en fit, conjointement avec les autres troupes impériales, un si grand carnage, que, de près de trente mille hommes effectifs dont leur armée était composée, il ne se sauva que cinq soldats. Ceux qui voudront voir une description bien faite, avec le plan de cette bataille, les trouveront dans le tome 1er de l'Histoire de France et de l'Histoire de la milice française du Père Daniel. J'ajouterai seulement deux réflexions à celles de eet excellent historien: la première, c'est qu'il me paraît que Bucelin n'avait disposé ses troupes en tête de porc, qu'à dessein de se faire un passage à travers l'armée de Narsès, car c'était proprement l'usage du coin; et il y aurait apparemment réussi, si l'ardeur du pillage n'avait dérangé les Francs. La seconde, c'est l'autorité d'Aga

que

thias ne me persuadera pas qu'une bataille soit si meurtrière, que, de trente mille hommes, il ne se sauve que cinq soldats. L'exagération, ce me semble, forte.

est un peu trop

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SUR LA MILICE FRANÇAISE DES DEUX PREMIÈRES RACES (1).

LES Français ont toujours passé pour une des plus braves nations de l'Europe, et pour une de celles qui

(1) Cette pièce forme l'avant-propos d'une Histoire géné– rale de la guerre, par l'abbé de Camps, manuscrit en 4 vol. in-fo, qui n'ont jamais été publiés. Elle fut insérée dans le Mercure d'octobre 1719, d'où nous l'avons extraite, d'après l'indication des auteurs de la Bibliothèque historique de France, et l'éloge qu'ils font de l'ouvrage entier. Cette histoire est, suivant eux, «< pleine de recherches savantes et curieuses sur << les Français et leur amour pour la guerre, sur la manière << dont ils l'ont faite, comment et par qui ils y ont été con<< duits depuis leur établissement dans les Gaules. >> Les mêmes auteurs font remarquer, à l'article de l'Histoire de la milice par le Père Daniel, dont la publication précéda les recherches de l'abbé de Camps, qu'il est utile de joindre à cette histoire la Dissertation imprimée dans le Mercure, c'est-à-dire celle que nous donnons ici, parce qu'elle a été composée à l'occasion de l'ouvrage du Père Daniel, qu'elle combat sur différens points. Cette dernière production n'est pas sans importance. Elle est assez généralement estimée pour donner quelqu'intérêt aux choses qui s'y rattachent. Ceux qui la possèdent nous sauront gré, surtout, de leur en offrir une sorte de supplément nécessaire, et d'autant plus

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