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l'ignorance et le despotisme, tant religieux que politique, ont vu diminuer leur empire ; la science des gouvernemens a fait de réels progrès, en sorte que maintenant elle est mieux analysée, mieux raisonnée, conséquemment plus imposante et plus salutaire qu'en 1789; elle est aussi plus répandue et mieux accueillie. Voulant écrire sur la constitution présente, je me trouve heureux de pouvoir unir aux travaux de nos devanciers les vives lumières de nos contemporains qui ont le mieux conçu, le mieux exposé la théorie modérée des gouvernemens monarchiques et constitutionnels représentatifs. L'histoire louera ces bienfaiteurs du genre humain. Le public éclairé les nomme et les applaudit; ils trouvent dans eux-mêmes une digne récompense de leurs veilles. J'ai profité de leurs ouvrages; et, les estimant, les admirant sans m'y asservir, j'ai tâché de faire au sujet particulier de ce livre une juste application de leurs meilleures idées, c'est-à-dire, de celles qui m'ont paru les plus exactes et les plus utiles.

2. On appelle gouvernement une ou plusieurs personnes considérées comme gouvernant, ou devant gouverner une ou plusieurs personnes, une ou plusieurs choses assujéties à Icur direction.

3. Le terme gouverner, emprunté de l'art nautique, signifie littéralement, penser, ordonner, agir comme chef de navire, et exécuter soi-même, faire exécuter les manœuvres, ou ce qui doit être commandé, exécuté, afin d'atteindre le but d'une

navigation entreprise. Ce n'est pas sans raison qu'on l'applique à l'ordre social. Comme les navigateurs quittent la terre pour entrer dans le vaisseau, les hommes quittèrent jadis l'état purement naturel, soit d'isolement, soit de famille, pour s'embarquer, au sens figuré, dans l'ordre social, ne trouvant pas, comme individus, ni même comme attachés à une famille, des garanties suffisantes pour la liberté et la sûreté de leurs personnes et de leurs propriétés; en un mot, ne pouvant pas, dans l'état de nature, satisfaire à leur impérieux besoin de déployer, avec sécurité, leurs facultés physiques, intellectuelles et morales. Dans ce noble but ils s'unirent, en se soumettant à un pouvoir de volonté et d'action commune: par là ils s'établirent, se constituèrent en corps de peuple ou de nation; ils se formèrent en état ou établissement national, en corps social ou politique, en cité, république, monarchie, démocratie, aristocratie, etc.

4. Quand on emploie le mot gouvernement pour signifier la seule autorité exécutrice, on donne, par une figure de langage, le nom du tout à l'une des parties cela n'est point mal, pourvu qu'on s'entende; mais le gouvernement n'est pas seulement dans l'exécution, il est principalement dans la volonté; en un mot, il est premièrement dans la loi, et, en second lieu, dans l'exécution de la loi exécuter, c'est obéir plus ou moins.

5. Ainsi, le gouvernement politique est l'auto

rité supérieure, tant législative qu'exécutive, confiée à un seul homme ou à plusieurs personnes ou corporations, et constituée ou reconnue par la nation, afin de conserver et dé conduire cette société et ses membres au grand but social que nous avons indiqué.

6. Cette autorité, ainsi constituée et reconnue, étant la première, étant supérieure à tous les agens qu'elle établit à son tour, et à tous les individus de l'association, étant, pour ainsi parler, trois fois grande, se nomme, sous le premier rapport, le prince; sous le second, le souverain; sous le troisième, le magistrat, dans le sens le plus élevé.

7. Elle peut être divisée en plusieurs branches, et il se peut que chaque branche, ou quelque branche, se compose de plusieurs individus; mais alors elle ne veut efficacement, elle n'agit que sous la forme d'un être collectif.

8. Si elle est déterminée, circonscrite par une loi ou par plusieurs lois qui règlent ses devoirs, cette loi, ou ces lois, sont des lois politiques; elles sont aussi constitutionnelles, si elles constituent le gouvernement, si l'on ne peut les établir, ni les changer sans le consentement général.

Les lois que cette autorité fait elle-même comme autorité constituée, ne sont que des lois ordinaires ou secondaires; elles ont pour modèles et pour régulateurs la loi de la nature et la loi constitutionnelle. Les ordres ou les commandemens du pouvoir exécutif doivent être conformes aux lois tant con

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stitutionnelles qu'ordinaires, et préférablement à la loi constitutionnelle.

9.

Il est remarquable que notre mot souverain ne signifie littéralement que supérieur, et non supérieur dans un sens tout-à-fait absolu, et non supérieur sans limites. On appelait souverains les quatre présidens de l'ancien parlement de Paris, quoiqu'ils ne fussent que les organes de l'autorité de leur compagnie, et que le parlement se reconnût soumis aux lois et subordonné au roi.

La souveraineté constituée a pour supérieur naturel, et quelquefois pour supérieur conventionnellement reconnu, la nation entière exerçant, par elle ou par ses représentans, l'autorité constituante.

Cette même souveraineté a pour limites de droit, 1° les commandemens et les défenses de la loi naturelle ou de la raison, qui est une loi divine; 2o les clauses du code constitutionnel, et, à défaut d'un tel code, les règles qui dérivent du but unique de la société politique, savoir, la conservation des droits de tous, l'intérêt commun à tous, ou la volonté générale, présumée; elle a pour limites de fait, les religions, les mœurs, l'opinion publique, et les mouvemens généraux insurrectionnels qui peuvent résulter de cette opinion, et demeurer victorieux.

10. Il y a des gouvernemens qui reconnaissent pour principe fondamental et constitutif la volonté générale et persévérante des associés ; il en est qui cherchent à s'appuyer sur une autre base, comme

un prétendu droit divin, la conquête, la naissance, la propriété, le lien féodal, un concordat positif ou tacite, supposé irrévocable, ou non révoqué entre la nation et une ou plusieurs familles, considérées comme puissances étrangères l'une à l'autre ou aux autres : les premiers sont des gouvernemens nationaux et de droit commun; les autres sont des gouvernemens spéciaux, ou d'exception.

C'est souvent un prétendu mystère, ou une question prétendue problématique, inutile, dangereuse, que de savoir à laquelle de ces deux classes tel gouvernement appartient.

11. Par rapport à la durée qu'on lui a destinée dans son institution, tout gouvernement est provisoire ou définitif.

12. Considérés sous le point de vue de la marche initiale, ou progressive, ou retrograde, relativement au but naturel de l'ordre social, toutes les formes de gouvernement viennent se ranger sous la division suivante; simples, mixtes, représentatifs, constitutionnels en même temps que représentatifs.

La monarchie et la démocratie pures sont des gouvernemens simples. Ces gouvernemens consistent: l'un, dans le monarque seul et ses agens, l'autre, dans les seuls démocrates; au lieu que les gouvernemens mixtes sont des mélanges de deux ou de plusieurs des formes connues, sous les noms de monarchie, démocratie ou aristocratie.

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