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comprend celle qui put être acquise jusqu'en juin 1790, et qu'il y en a une postérieure tout aussi nombreuse, également variée par les plus hauts titres, et relevée par tout l'éclat des talens et des services. Ce n'est pas non plus une qualification fort solide, puisqu'elle fut abolie en 1790, et qu'auparavant elle s'effaçait par la dérogeance, ressuscitait par un diplome, et périssait, à vrai dire, faute de paiement, de taxes périodiques et arbitraires. Elle ne se fonde pas seulement sur la descendance par mâle, puisqu'il y avait de la noblesse utérine et des épouses infidèles; sur une descendance extérieurement légitime, puisqu'elle se propageait par bâtardise; ni sur des descendances vraies, puisqu'il y en a tant de supposées par des abus montés au comble 1; sur le mérite d'un père ou d'une mère, puisqu'elle s'acquérait par la possession d'un domaine, et, deux siècles durant, par le simple fait du domicile à Paris, par la prescription, par l'argent, par les offices les plus vulgaires, même les plus humbles, quelquefois les plus ridicules, par le vice et le crime; enfin, toute noblesse, dans son principe, a été faite à volonté; elle vient d'ennoblissemens certains, connus ou inconnus; et des nobles d'ennoblissement inconnu, il en subsiste à peine un vingtième '.

1 Précis chronologique concernant le fait de la Noblesse, par L. Chérin, conseiller à la cour des aides, généalogiste des ordres du roi, pages 12 et 47.

› Ibid., page 51. — Mably, Observations sur l'Histoire de France.

217. On sait à quoi s'en tenir sur les prétendus axiomes de ces publicistes qui, en écrivant, pensaient trop à leur robe ou à leur caste, et qui, retrouvant les titres du genre humain, en ont retenu cachés une bonne partie. La noblesse en France était si peu essentielle à la monarchie, si peu le ferme soutien de la succession légitime au trône et de la fortune du clergé, que d'abord elle se partagea les domaines et la puissance des rois; qu'elle s'appropria plusieurs fois les biens ecclésiastiques; renversa les deux premières dynasties; fit deux fois la guerre pour anéantir la troisième, et se montra généralement oisive, frivole, intrigante, avide, exclusive, séditieuse et perturbatrice 1. Plus les qualifications de noblesse ont eu d'effets politiques et civils, plus on a vu retarder la civilisation et la prospérité du genre humain.

218. Les qualifiés nobles appartiennent tous à la même race, à la même variété principale d'hommes. Dans le fait, ils ont les mêmes aïeux primitifs, et tous, ou presque tous, des aïeux communs trèsprochains. Les rapports de parenté et d'alliance naturelle et civile, connue ou inconnue, existent entre eux tous à l'infini. Sans nulle exception, ils ont tous pour auteurs des rois et des esclaves, des chasseurs et des brigands, des conquérans et des

'Histoire de la Noblesse révolutionnaire et des Nobles, sous les soixante-huit Rois de la Monarchie. Paris, 1818; 2 vol. in-8°; chez Baudouin frères. Que de nouveaux faits survenus depuis !

lifications idéales, avec des honneurs d'étiquette. Il ne dépendait pas de la puissance du législateur, en conservant ce qu'il autorise, d'en séparer les prétentions injustes; mais il est permis de prévoir que, si elles continuaient, elles serviraient à nous délivrer tout-à-fait, par les usages ou par les lois, et du mot, et de la chose.

C

221. Il résulte, de notre article 71 et des lois sur les élections et le recrutement, que la noblesse demeure abolie, en tant qu'elle formait, dans les âges de ténèbres, un ordre dans l'état et une branche de la puissance publique ; en tant qu'elle s'était ensuite, contre nos lois, fait attribuer ou conserver des droits exclusifs aux postes honorables ou largement salariés ; et qu'elle était exempte des charges et des devoirs communs. Au reste, elle subsiste comme dénomination personnelle et héréditaire, à laquelle demeurent attachés des titres, des rangs ou préséances, et des honneurs, c'est-à-dire de ces titres, de ces rangs et de ces honneurs purement civils, qui ne dépendent que de la volonté du roi ou de ses ministres, qui sont conséquemment audessous des titres, des rangs et des honneurs attachés aux fonctions politiques, ou simplement publiques; en un mot, les Français sont égaux, ou réputés égaux devant la loi : ils ne le sont pas toujours ou tout-à-fait devant le roi.

222. La nature subordonnée de ces titres, de ces rangs, de ces honneurs, est évidente, en ce que la Charte et la loi ne les constituent pas, ne les

règlent pas. La Charte se contente de les permettre; et ils doivent demeurer étrangers à la législation secondaire; car le roi fait des nobles à volonté ; il accorde à volonté des titres, des honneurs, des préséances de palais ou de cérémonies royales. C'est une faculté laissée aux cours judiciaires de ne désigner les parties les plus surchargées de titres, que par les noms et les prénoms '; mais ce serait violer l'esprit de la Charte et attaquer dans ses bases le gouvernement représentatif, que d'élever ces honneurs et ces préséances, même dans les palais et les cérémonies royales, au-dessus des honneurs et des préséances naturelles dues aux autorités, soit constitutionnellement, soit légalement établies.

223. Ce qui a pu induire en erreur à cet égard, ce sont les titres mêmes qui sont ceux des hautes fonctions publiques sous la plus vieille anarchie féodale, et conséquemment tous aujourd'hui mensongers, tous ennemis naturels des qualifications constitutionnelles, qui seules joignent aux noms la réalité. C'est sans doute un inconvénient passager que nous ayons non-seulement deux, trois, quatre titulaires de chaque emploi constitutionnel ou autre, mais encore deux hiérarchies politiques : l'une tout à-la-fois réelle et titulaire, seule conforme à la nature du gouvernement constitutionnel; et l'autre, uniquement titulaire et honorifique, très

' Article 38 de ce décret du 6 juillet 1810, qui est journellement exécuté, invoqué par le gouvernement.

conforme au gouvernement des douzième et treizième siècles, vraiment contraire au gouvernement presque absolu de nos derniers rois, mais totalement subversive du gouvernement actuel, à moins qu'on ne la renferme le plus rigoureusement dans les mots, dans les armoiries et dans ces préséances qui viennent d'être indiquées.

224. Il y a quelque chose de non moins singulier, par rapport aux pairs et autres nobles qui attacheraient de l'importance à la gradation nominale des titres de prince ou duc, ou marquis, ou comte, ou baron', ou à nos titres de vicomte, chevalier, écuyer: c'est qu'en 1789, il y avait de tout cela, par simple parole royale de vive voix, ou par écrit royal, ou par brevet royal enregistré; et il y en avait, en nombre innombrable, par simple étiquette d'antichambre et par courtoisie de salon, surtout le titre de marquis, devenu si comique depuis environ deux siècles, depuis le moment de sa grande apparition. En France, est marquis qui veut1. En 1789, tous les titres obtenus de vive voix ou par brevet, ou par politesse publique, ne passaient point aux descendans. Aujourd'hui, l'on va se

Il faut savoir que ces titres ont marché de front dans les vieux tems, et qu'ils tenaient lieu les uns des autres. L'aîné des fils de France est comte, et ne prend pas d'autre qualification nobiliaire.

2 Voltaire, articles cérémonies, titres, prééminence. Henri IV a le premier, en France, adopté la hiérarchie toute moderne et italienne des titres féodaux. C'est bien depuis Henri IV que tout le monde, à Paris même, a voulu être appelé marquis, autrement, comte de frontière, comme disent les anciens monumens.

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