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devant exercés. Ils ne forment guère que le sixième de notre population, qui s'élève à près de trente millions d'hommes; et dans l'état présent des choses, cette population n'est représentée que par environ 80,000 électeurs, 20,000 éligibles et 258 députés, dont la moitié, par le fait, se compose de ministres et de sous-ministres, et de salariés de ministres. Voilà ce que des mécontens appellent démocratie insupportable; et, dans l'exacte vérité c'est une haute aristocratie assez nécessaire, mais tempérée et contenue, s'il le fallait, par les deux branches héréditaires du pouvoir législatif, et par l'autorité directoriale du monarque.

286. Cette modique portion de citoyens propriétaires fonciers et industriels, qui élit seule nos députés, est généralement éclairée; elle a toute l'impartialité et toute l'indépendance désirables; elle est particulièrement intéressée au maintien des libertés et à la stabilité du gouvernement. La plus haute richesse n'y est pas plus favorisée que la médiocre fortune. L'aristocratie de naissance ou de corps, ou de prérogative personnelle, n'y est en rien considérée. On ne doit pas être humilié d'en être exclu, puisqu'on n'y existe point par privilége; puisque les plus indigens ont l'espoir d'y être admis un jour, comme le riche a la crainte, pour lui et pour ses enfans, de n'y être plus compté. Ce sont là de très-puissantes considérations pour conserver les bases de représentation élective et législative établies par la loi du 5 fé

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vrier 1817. On peut en désirer de plus agréables à un plus grand nombre, et n'être que séduit par une fausse apparence de mieux.

287. Il y a des départemens où il ne se trouve pas cent cinquante ni cent, ni même dix citoyens payant 300 francs de contributions directes, et pas un seul, ou à peine un ou deux qui paient les 1,000 francs; on a pourvu au second inconvénient par l'article 39 de la Charte, et on peut remédier au premier par une loi portant que si, dans un département, il ne se trouve pas au moins cent cinquante citoyens de l'âge de trente ans, et payant au moins 300 francs de contributions directes, ce nombre sera complété par les cent cinquante plus imposés, âgés de trente ans.

288. Parmi les moyens subversifs de la liberté publique, inventés par Napoléon, se trouvait l'adjonction arbitraire des membres de la Légiond'Honneur aux colléges électoraux. En 1814, 1815 et 1816, on autorisa les préfets à continuer le même désordre, et de plus à nommer arbitrairement d'autres électeurs. C'est ainsi qu'on nous a procuré les fameux introuvables. Nous savons trop, par l'expérience et par la raison, ce qu'on peut espérer de pareils électeurs, pour que les chambres consentent à des adjonctions si pernicieuses. On conçoit difficilement qu'il se soit trouvé, en 1818, un écrivain provocateur du renouvellement de ces abus. L'exercice de lá puissance publique doit demeurer, en tous ses degrés, indépendant de

tion, qui, par son roi et ses deux chambres, exerce la souveraineté sur les colonies. Quand nos colonies viendraient à diminuer nos charges au lieu de ne faire les que augmenter, il ne faudrait pas encore admettre la décision du ministre; il n'y a que l'impôt voté par les trois branches du pouvoir législatif de France, et voté pour le service de l'état souverain des colonies, qui puisse être compté quand il s'agit de nommer des membres du gouvernement de la France constitutionnelle. Au reste, une colonie qui commence ou qui n'est pas sortie d'une sorte d'enfance, est un mineur sous la tutelle de la métropole. Une colonie qui pourrait se suffire à elle-même, devrait être reconnue indépendante ou admise à députer à la législature de la métropole. Si nous conservons des colonies mineures, c'est-à-dire sujettes, que ce soit pour faire jouir de l'existence sociale nos déportés judiciaires, et ne pas les traiter plus cruellement que le Code Pénal ne l'a permis !

290. L'article 6 de la loi du 5 février 1817 sur les élections, veut que les difficultés relatives à la jouissance des droits civils et politiques du réclamant soient définitivement jugées dans les cours royales. Mais, le seront-elles en premier et dernier ressort, ou en seconde instance? Si c'est en seconde instance, pourquoi parler des cours? Si c'est en premier et dernier ressort, il fallait le dire; et alors pourquoi violer ces principes de la Charte: « Nul ne peut être distrait de ses juges naturels;

les tribunaux ordinaires et les cours d'appel sont maintenus?

Ce n'est pas tout : « les difficultés qui concernaient les contributions ou le domicile politique, seront jugées, porte le même article 6, par le conseil-d'état. » Le conseil-d'état, autrement les ministres, seraient donc juges de questions contentieuses, et même du contentieux politique; ils pourraient donc admettre ou écarter les électeurs et les éligibles. En tout, cet article a besoin d'être éclairci et réformé. (Voyez le chap. xII du liv. III de cet Essai.)

291. « Les présidens électoraux sont nommés par le roi, et ils sont de droit membres du collége. » (Art. 41 de la Charte.)

Un tel président est regardé et souvent annoncé comme un candidat des ministres. Ceux-ci protégent encore d'autres candidats; ils ont, pour une seule place, leur premier candidat, leur second et leur pis aller; d'ailleurs, le ministère emploie ouvertement les moyens de puissance exécutive, des moyens de tous genres, hormis la vive force, pour faire nommer les candidats qui peuvent être plus nombreux que les députés à élire. Les intrigues et les dépenses ministérielles, préfectorales et municipales, pour faire choisir les hommes des ministres, sont parvenues à un degré de scandale et de notoriété qui révolte les citoyens même les plus impartiaux. Il serait fort juste de rendre un jour aux électeurs le choix de leurs présidens, et au moins

propres contrôleurs, les juges de leur propre gestion. Il est inconcevable que les mêmés individus puissent vouloir faire le projet de loi au conseil, le proposer à la chambre élective, le suivre et le protéger dans les bureaux de cette chambre, le vanter et le défendre, l'amender, même au nom du roi, dans la discussion solennelle et à la tribune des députés et au banc des ministres ; concourir par leur vote à régler le sort provisoire de ce même projet; enfin, à lui accorder ou lui refuser la sanction et la promulgation.

293. Cette réunion, dans les mêmes individus, de tant de rôles différens et contradictoires, n'est tolérable que dans les jeux de théâtre, à moins que le ministère ne soit, comme chez les Anglais, l'organe certain et reconnu de la majorité nationale; or, c'est là ce qu'on ne voit pas en France. J'ajoute nous avons sur le continent une pudeur délicate qui ne peut s'accommoder de cette confusion des rôles politiques. En Angleterre, les chambres n'auraient jamais admis les ministres à discuter, à voter dans leur enceinte, si ce n'eût pas été comme pairs ou comme députés. Mais en France, la Charte veut qu'ils puissent être présens comme ministres, et entendus s'ils le désirent, quoiqu'ils ne soient pas députés.

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De plus, la loi du 13 août 1814, interprétative de la Charte, et illégalement écartée du bulletin des lois, accorde le droit d'entrée et de discussion dans les chambres, à tous commissaires royaux.

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