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états; mais rendue immuable dans une caste, dans les aînés d'une caste, elle n'est plus qu'une grande iniquité, une perpétuelle calamité publique et illégale, enfin, le plus vif aiguillon, le plus spécieux prétexte aux révoltes et aux lois agraires.

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Le despotisme, et quelquefois une sorte de nécessité, substituant la vanité à l'orgueil national, font reconnaître par la loi des nobles titulaires et sans fonctions; le despotisme encore, et l'usurpation et le sommeil des bonnes lois introduisent de fait et de droit, pour ces nobles, toutes sortes de priviléges honorifiques et utiles au grand détriment du prince et de la nation; et enfin le despotisme encore ajoute à ces priviléges les substitutions graduelles à l'infini ou les majorats, et alors les majoratisés ne sont plus occupés que de titres et de rubans, d'intrigues de cour et de mendicité ambitieuse pour eux et pour leurs frères, leurs sœurs et leurs cousins. Tous se condamnent par une folle imprudence; par une ridicule hauteur ou par une impuissance réelle à une constante fainéantise, à tous les vices à tous les excès qu'elle entraîne; il faut un dédommagement aux cadets, privés comme la plupart des citoyens de toute espérance de patrimoine territorial; ils se refusent, par préjugés d'honneur, à tout travail honnête, à toute industrie. Alors naissent la galanterie chevaleresque et les débats des cours d'amours; les femmes nobles affichent l'indécence de mocurs; chacune a son cavalier, son cortejo en Espagne, et son sigisbé en

Italie. Il en est résulté des devoirs non moins bizarres qu'immoraux, fondés sur les deux règles du beau monde; aucune femme ne peut paraître seule, et aucun mari ne peut, sans un extrême ridicule, accompagner sa femme : les bonnes mœurs périssent et le point d'honneur les remplace. Viennent ensuite les spadassins, les joueurs, les suicides, etc., et toute cette troupe corrompue se multiplie. Les non nobles imitent autant qu'ils le peuvent les habitudes scandaleuses des hautes classes; le corps social dépérit, languit ou meurt, et ne peut naître qu'en traversant les malheurs effroyables des révolutions.

Les cadets sont sacrifiés à l'aîné; les filles restent sans dot et sans époux, et les puinés, faute d'un capital, végètent dégradés, sans instruction, sans industrie, dans la dépendance et l'oisiveté, se consolant par l'ivresse et les orgies licencieuses.

L'aîné est le seul maître, et il est haï comme tel : on ne se borne pas toujours à le haïr. Le possesseur du majorat est le premier puni des injustices dont il devient l'instrument. Propriétaire exclusif, il est regardé comme l'administrateur des biens communs; il ne donne pas assez à l'un, il donne trop à l'autre. Frères, sœurs, femmes, enfans, ont formé contre lui une ligue secrète pour s'approprier chacun ce qu'il pourra, et améliorer sa situation, sans s'inquiéter de la gêne où se trouve leur chef. Accablé de chagrins domestiques, il finit par s'abandonner aux plaisirs des sens, et dans leur ivresse,

il se prépare de nouvelles douleurs et de nouveaux remords.

Ainsi les nobles, et les majoratisés surtout, dégénèrent sans cesse, sous tous les rapports moraux et physiques, et ils tombent fort au-dessous des citadins et des laboureurs qu'ils ont la folie de mépriser.

No VI.

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DISCOURS

CONTRE LE PROJET DE RÉTABLIR ET D'AGGRAVER LES PRIVILEGES D'AINESSE, DE MASCULINITÉ, DE SUBSTITUTION;

ET DISCOURS SPÉCIAL CONTRE LES SUBSTITUTIONS.

1826.

Unice à malo est nova rogatio;
Adhuc mala nobis addit infinita ;
Fata minitatur pessima Galliæ.

ILLUSTRES PAIRS,

Vous avez entendu les cris de la douleur et de l'aversion publiques s'élevant de toutes parts contre ce malheureux projet, qui, jusqu'à l'ouverture de vos débats, au milieu d'un déluge d'écrits, tous

en faveur de l'actuelle égalité de partage, n'a guère trouvé que deux apologistes, l'auteur des motifs et le rapporteur de votre commission.

Les hommes les moins clairvoyans ont reconnu dans ce bout de loi le dessein mal déguisé de refaire l'ordre social actuel, afin de récréer le despotisme et les castes, et la misère des trente millions de hors-castes; enfin, de vicier à jamais nos élections, déjà si peu réelles, d'en exclure successivement tous les patentés, de n'y souffrir que les sesseurs privilégiés d'électorats territoriaux, soit nobiliaires, soit ecclésiastiques, et d'anéantir ainsi l'union, le bonheur des familles et notre prospérité agricole, manufacturière et commerciale.

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Ainsi j'ai dû, oubliant les infirmités de l'âge, retrouver des forces pour combattre devant vous le parti aveugle et perturbateur qui ne veut souffrir de la Charte qu'un vain simulacre, avec lequel il s'imagine pouvoir conserver le grand budget et les petits budgets. Ce parti, dans son entreprise, a débordé les ministres, sans doute; mais, avec la congrégation et les ministres, chaque année, il arrache des pierres angulaires de notre constitution; par-là même, il compromet de plus en plus l'honneur et les intérêts du trône et de la pairie, la liberté, la paix, la félicité nationales.

Voici le cadre fort simple que je me suis tracé, que je vais tâcher de remplir, m'arrêtant aux grands traits, indiquant légèrement les autres, évitant les détails devant des auditeurs si perspicaces, et dans

un sujet immense, déjà traité non moins habilement par vos orateurs, que par d'autres écrivains les plus distingués!

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Je prouverai d'abord que le projet en discussion vient d'un grand mal, c'est-à-dire qu'il n'est qu'un accès violent et périodique de la grande maladie anti-constitutionnelle qui sans cesse nous travaille, et qui ne peut se guérir qu'en renonçant d'abord aux contre-lois; je montrerai que ce projet ce projet en luimême nous menace de grandes calamités publiques et privées, et n'est appuyé que sur des motifs erronés, faux et trompeurs; je ferai voir qu'il amène et prépare des désordres, des dangers politiques, dont les résultats seraient incalculables.

PREMIÈRE PARTIE.

La cause unique du projet est la guerre à la Charte : il forme un acte principal de cette guerre manifeste et continue.

Sans doute, ce projet pernicieux ne doit son existence, et ne devrait sa continuation, annoncée dans les motifs, qu'à un mal énorme, à notre honteuse maladie chronique, à un système d'efforts continuels pour convertir la Charte en pure fantasmagorie, sans perdre, s'il se pouvait, les avantages financiers qu'elle procure.

Ce système seul peut expliquer l'histoire de nos dernières années; seul il peut faire comprendre le vrai but direct du projet qui nous est soumis.

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