Page images
PDF
EPUB

juridiction tellement étendue qu'on ne trouve rien de semblable ni en France, dans les tems antérieurs à la révolution, ni dans les autres pays de l'Europe, telle enfin, qu'elle se mêle à presque tous nos intérêts, qu'elle affecte presque toutes nos propriétés, qu'elle touche à presque toutes nos personnes. Voyez d'ailleurs, au mot Charte, ce que c'est que notre gouvernement constitutionnel; cette phrase si exacte d'un savant et judicieux administrateur ne laisse presque plus rien à dire sur le conseil-d'état. Le mal est dans les élections vicieuses et fausses de nos députés; il est dans leur septennalité; un retour à la constitution et à son esprit est le plus grave et le plus urgent de nos besoins.

On ne saurait trop le répéter, sous un gouvernement constitutionnel et représentatif, il ne peut y avoir d'autorités judiciaires légitimes que celles qui sont fondées par les lois conformes aux principes des garanties sociales et aux dispositions à l'esprit de la constitution jurée. Surtout, il ne peut y avoir de juges amovibles à volonté, et dont les actes, secrets en eux-mêmes, dépendent tout-à-fait du bon plaisir des ministres.

Encore un fait, un double abus intolérable en matière de conseil-d'état, il y a une section privilégiée que réprouve l'article premier de la Charte. Ce comité, qui érige des majorats privilégiés, et qui est un tribunal d'attribution en cette matière, se paie par ses mains, et lève, sous le nom de droits de sceau, de grandes contributions dont il

n'est pas rendu compte aux chambres. Les droits de sceau sont un grapillage indigne du gouvernement d'un peuple riche et généreux, et qui paie chaque année, en contributions connues, plus d'un milliard. Si l'on était réduit à la mesquine ressource des droits de sceau, la loi devrait en fixer le tarif, et le produit être versé au trésor public.

Nous ne pousserons pas plus loin ces détails, quiexigeraient des traités spéciaux, et qu'on trouve • déjà indiqués ou rassemblés dans les Traités du Conseil-d'État, par M. Locré, in-8°, Paris, 1810; par M. de Corménin, in-8°, Paris, 1818; par M. Sirey, dans son livre du Conseil-d'État selon la Charte, et dans sa Jurisprudence du Conseil-ď État; dans les Élémens de Jurisprudence Administrative de M. Macrel, et dans son Recueil des Arrêts du Conseil, enfin dans les Questions Administratives de M. de Corménin, et dans le livre de M. Le Graverend, sur les Lacunes de la Législation française, tome II, page 17-38.

Conseil du roi en Angleterre. C'est un corps simple de consultans, payé par le roi sur la liste civile; il n'est pas tribunal de contentieux. Il est établi par un usage de plusieurs siècles que tout le pouvoir judiciaire appartient aux tribunaux de justice; le roi ne peut rien changer à la composition des tribunaux, ni à leurs formes. Les juges ne peuvent être dépossédés de leurs offices que pour indignité légalement jugée. Le roi ne fait point de réglemens sur le fond des lois; il règle seulement par

ses proclamations la manière et le tems de mettre

les lois à exécution.

No IX.

VUES POLITIQUES

SUR LES CHANGEMENS A EAIRE

A LA CONSTITUTION D'ESPAGNE,

AFIN DE LA CONSOLIDER, SPÉCIALEMENT DANS LE ROYAUME DES DEUX-SICILES.

JANVIER 1821,

Non ut Pythius Apollo sed ut homunculus.....

CIC.

AVERTISSEMENT.

DANS toute l'Europe civilisée, le progrès naturel des lumières et de l'industrie a rendu si généralement odieux le gouvernement arbitraire et les inégalités factices, étrangères à la liberté, au bonheur social, que les constitutions écrites et représentatives, qui étaient encore, avant 1789, l'heureux privilége de quelques territoires, dans les grands états, sont devenus le droit commun des rois et des peuples entiers.

Mais tout ce qui sort de la main des hommes se ressent de l'imperfection des auteurs.

Soit que des représentans électifs imposent des constitu

tions aux rois et aux grands, soit que les rois prétendent les octroyer aux nations, le besoin d'améliorer se fait bientôt ressentir plus ou moins généralement. On a vu les États-Unis d'Amérique forcés d'admettre des changemens dans leur constitution naissante, de resserrer leur lien fédéral, et de fixer des formes spéciales pour introduire au besoin d'autres mutations futures. Ces formes sages, déjà ils les ont mises en pratique, et ils se préservent ainsi des secousses dangereuses.

La constitution française de 1791 avait des formes de révision, mais elle n'a pu en attendre l'époque, ni même les observer. Elle est tombée, non pas seulement parce qu'il y avait au dehors une émigration nombreuse, et au dedans une cour mécontente qui, avec les émigrés, provoquait la guerre étrangère contre la constitution et la patrie, mais encore parce que l'évasion du roi, en 1790, ayant rendu impossible tout concert avec lui, pour régler ses attributions, l'unité de chambre, nécessaire sans doute en 1789, fut conservée en 1791; et parce que l'on repoussa le droit royal de dissoudre l'assemblée législative, droit sans lequel il n'y a point assez dé garantie pour un chef héréditaire.

Il y avait encore deux autres vices dans la constitution de 1791, l'amovibilité périodique de tous les juges, et peut-être ' aussi la permanence habituelle de la session législative. Sur les avantages et les inconvéniens de cette permanence, il peut rester encore des doutes raisonnables, dont il faudrait renvoyer l'examen, ou du moins la décision, à des tems futurs et surtout pacifiques, où l'on sût haïr autant, dans les lois, la prodigalité que l'avarice.

Au reste, on convient que cette constitution mérite de grands éloges. Elle fut reçue avec satisfaction, avec une profonde reconnaissance. Il serait peu raisonnable de la censurer, parce qu'elle ne tolérait point cette noblesse nominale et de caprice royal, qui s'agite encore pour dominer par des priviléges.

Telle est la constitution que les plus héroïques et les plus

religieux des hommes, les Espagnols, prirent pour base de leurs travaux, en 1812, mais sans avoir pu se concerter avec leur roi, pour lequel ils ont fait tous les sacrifices, et dont ils ont aussi trop énervé la puissance lorsqu'il était prisonnier de Napoléon.

Pendant la guerre de la liberté contre l'Europe coalisée, les Français avaient légèrement aboli la royauté. Long-tems ils triomphèrent en se faisant à eux-mêmes des maux infinis, dont aucun des deux partis ne fat innocent. Mais ils se confièrent trop à l'un de leurs guerriers. Ils souffrirent qu'il recréât le pouvoir absolu, parce qu'ils espéraient l'avenir, parce qu'il leur conservait l'indépendance extérieure, et qu'il les enivrait de la folle gloire des conquêtes.

Ce guerrier succomba, victime de son ambition et de son despotisme. Louis XVIII fut rétabli sur le trône de ses ancêtres, il donna cette Charte, en vain garantie par les étrangers, et que bientôt il a reconnue vicieuse dans quatorze articles; cette Charte, qu'il a déclaré ensuite ne vouloir jamais changer, mais que nos ministres et les chambres ont toujours exténuée par des lois de proscription, de suspension, de suspicion et de violation; ajournant, refusant, rétractant ses développemens et ses conséquences, faisant revivre arbitrairement les constitutions abrogées par elle, et même les décrets illégaux du ci-devant chef de l'empire. Il en est résulté que cette Charte a besoin, autant et bien plus d'être rétablie, ou tout-à-fait remplacée par une autre, que d'être révisée avec des formes qui assurent la permanence de tout ce qui ne serait pas changé par la révision. Déjà n'est-ce pas un crime de l'avoir invoquée, et d'avoir protégé la vie de ses défenseurs officiels, menacée avec violence et impunément? Le peuple n'est-il pas forcément représenté par des privilégiés, en raison inverse de ses intérêts? La cour des pairs n'est-elle pas, dans les tribunaux, dégradée, et mise au rang honteux des commissions extraordinaires? Ne voyons-nous pas régner l'article 75 de la constitution de l'an VIII, et un

« PreviousContinue »