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LE PHILOSOPHE.

Il n'est pas nécessaire de faire une pareille question, parce que c'est-là une chose dont on ne s'est pas encore avisé de douter.

LE THÉOLOGIEN.

Si ces lois sont faites par un Être infiniment sage et infiniment éclairé, elles ne peuvent pas être contradictoires les unes aux autres, ni se détruire les unes les autres.

LE PHILOSOPHÈ.

Si elles se contredisoient, et se détruisoient les unes les autres, elles ne porteroient plus le caractère de cette sagesse infinie.

LE THÉOLOGIEN.

Connott-on quelques-unes de ces lois?

LE PHILOSOPHE.

Non-seulement on en connoît un grand nom bre, mais on les connoît évidemment. Ces connoissances sont des principes indubitables pour tout homme sage, pour tout homme de bon sens. Ainsi connoît-on les lois des mouvements du monde planétaire, et l'on est en état

de prédire infailliblement plusieurs siècles à l'avance, les rencontres, oppositions, conjonctions, et éclipses des corps célestes. Ainsi connoît-on la plupart des lois de la gravitation, du mouvement, de l'équilibre, de l'action des liquides; et c'est de ces connoissances que l'on conclut qu'un corps abandonné à lui-même, doit toujours tendre au centre de la terre; que les liquides se mettent toujours d'eux-mêmes de niveau; qu'un corps solide, spécifiquement plus pesant que l'eau où il est plongé, doit y enfoncer, et ne peut surnager. Je ne finirois point, si je voulois déduire toutes les conclusions que l'on tire de ces principes.

LE THÉOLOGIEN.

Cela suffit bien, monsieur ; vous avez parlé r; des lois connues de la nature; mais ne pourroit-il pas aussi y avoir d'autres lois inconnues, qui eussent des effets tout contraires ?

LE PHILOSOPHE.

Il peut y avoir d'autres lois de la nature que nous ne connoissons pas encore; mais il ne peut point y en avoir, qui aient des effets contraires à celles que nous connoissons. S'il y avoit des lois de la nature qui détruisissent

les autres, ces lois pourroient-elles être regardées comme émanées d'une sagesse infinie? Y auroit-il alors quelques principes sûrs pour reconnoître la marche et la belle barmonie qui règne dans l'univers, pour la suivre, et pour en juger? Quels fonds pourroit-on faire sur toutes les observations astronomiques, sur les principes de mathématiques, sur tant d'écrits de savants physiciens qui se sont appliqués avec succès à étudier la nature?

LE THÉOLOGIEN.

Oh! monsieur, vous ne pouviez pas mieux parler pour la cause que je défends. Car, en premier lieu, non-seulement vous détruisez, mais vous faites sentir tout le ridicule de ce

principe du philosophe genevois, que pour juger d'un miracle, il faudroit connoître toutes les lois de la nature. En second lieu, vous démontrez au mieux la réalité des miracles consignés dans les livres divins, que ce philosophe ose contester.

LE PHILOSOPHE.

Je le sens, je n'en suis pas fâché, j'aime mieux la vérité que la victoire; ou plutôt, la plus belle victoire est celle par laquelle on cède à la vérité.

LE THÉOLOGIEN.

Avec ces preuves incontestables, voilà tous les miracles de l'ancien et du nouveau Testament prouvés et démontrés. Si les flots de la mer rouge1, à la parole de Moïse, et les eaux du Jourdain, à celle de Josué2, perdent leur fluidité, s'arrêtent comme des murs de cristal, pour laisser le passage aux Israélites voilà toutes les lois qui concernent les liquides arrêtées et suspendues; il n'y a que l'auteur de la nature qui puisse ainsi les arrêter et les suspendre. Si le soleil, à la parole du même Josué, s'arrête dans sa course, voilà toutes les lois du mouvement des corps célestes suspendues; or, qui est-ce qui peut les suspendre, si ce n'est celui qui en est l'auteur? Si Elie, par sa prière, fait descendre le feu du ciel, qui consume en un instant l'holocauste qu'il offre au Seigneur, quelle est la loi physique qu'on puisse donner comme la cause d'un fait aussi frappant?

LE PHILOSOPHE

Quelque juste que soit tout ce que vous dites sur ces miracles, il est bon de savoir ce que disent aussi les philosophes sur le même

• Exod. 14. 2 Josué 3.

3 Josué 10.

sujet. Plus les discusions seront exactes, plus la vérité deviendra claire et sensible. Spinosa prétend faire évanouir le miraculeux du passage de la mer rouge, en disant qu'un vent violent ayant soufflé toute la nuit, soutint par sa force latérale les eaux de part et d'autre, et sécha le fond de la mer; et que cela pouvoit arriver fort naturellement. Rousseau veut faire regarder, comme des jeux d'enfants, les miracles d'Elie et de Josué. "Jadis les prophêtes faisoient descendre à » leur voix le feu du ciel, vous dit-il; au"jourd'hui les enfants en font autant avec un » morceau de verre. Josué fit arrêter le soleil, » un faiseur d'almanachs va le faire éclipser. » Si les prêtres de Baal avoient eu M. » Rouelle au milieu d'eux, leur bûcher eût » pris feu de lui-même, et Elie eût été pris » pour dupe.

LE THÉOLOGIEN.

Monsieur, si vous faites un peu d'attention à ce que veulent dire par-là ces deux philosophes, vous trouverez sûrement que l'objection de Spinosa ne mérite que la pitié, et celle de Rousseau que l'indignation. N'est-ce pas en effet une chose pitoyable, de supposer, avec Spinosa, qu'il a pu naturellement y

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