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faut que vous puissiez arriver à proposer au jury une question simple comme en Angleterre. « Pour le de>> mandeur ou pour le défendeur? Vous prononcez» vous pour l'un ou pour l'autre? » Le jury répond je suppose : « Pour le défendeur, » et fixe le quantum des dommages-intérêts. Tout cela se fait avec une grande rapidité, avec la même rapidité que les verdicts en matière criminelle. Mais si le procès est compliqué, s'il y a à débattre des questions de donations entre vifs, de testaments, etc., les avocats venant aider encore à compliquer les questions, il est difficile que le jury sache quelle décision prendre. En pareilles matières, ce ne sont plus des jurys improvisés qu'il faut, mais des gens du métier. Les Anglais eux-mêmes commencent à s'éloigner un peu du principe et à livrer au jury des questions trop compliquées, s'ils allaient un peu plus loin dans cette voie, ils pourraient bien finir par compromettre l'institution même du jury en matière civile.

Quoi qu'il en soit, vous voyez ici une application du système anglais, c'est le jury qui est chargé de rendre la quatrième décision. Comment se forme ce jury? Il se prend sur la liste générale du jury; seulement le sort n'y est pour rien, c'est le conseil général du département qui forme une liste annuelle pour chaque arrondissement, liste qui ne peut être de moins de trente-six personnes et de plus de soixante-douze (art. 29). Je laisse de côté Paris qui est une exception. Voilà la liste annuelle, liste qui n'est pas formée par le sort, mais par le conseil général du département.

C'est la cour royale, là où il y en a une, et dans les autres départements, c'est le tribunal du cheflieu judiciaire du département qui, sur la liste annuelle, désigne seize personnes pour former le jury spécial, plus quatre jurés supplémentaires. Les récusations se bornent à quatre, mais sont péremptoires, c'est-à-dire qu'on n'a pas à alléguer de motifs, deux appartiennent à l'administration, deux aux parties intéressées (art. 34). Le jury n'est constitué que lorsque douze jurés sont présents (art. 35). Mais voici une autre exception aux règles ordinaires : Les jurés ne peuvent délibérer valablement qu'au nombre de neuf au moins (même article), de sorte que le jury est de douze, mais que si un, deux, trois manquaient, la délibération pourrait avoir lieu, pourvu qu'il restât au moins neuf jurés.

Quant à la délibération, elle n'a rien de bien spécial. Voyez les articles 36, 37 et 38.

Enfin, dans un titre particulier, la loi trace certaines règles pour l'appréciation équitable de certaines indemnités.

La décision du jury est remise par le président, qui est un des jurés, au magistrat directeur du jury, qui est un membre du tribunal; et alors, quand la décision du jury est rendue, le magistrat directeur du jury déclare cette décision exécutoire; il statue sur les dépens d'après les règles de la loi et envoie l'administration en possession de la propriété, à la charge de se conformer aux dispositions des articles 53, 54 et suivants, c'est-à-dire de payer préalablement les indemnités fixées par le jury entre les

mains des ayants-droit ou de faire des offres réelles et de consigner le prix.

Telle est l'économie générale de la loi. Certes, si on en excepte peut-être quelques lenteurs, quelques longueurs dans certains détails, on ne peut méconnaître que c'est une des lois spéciales dont l'économie est le plus rationnelle et le plus facile à saisir.

Ainsi quatre opérations très-distinctes. Déclaration initiale qui, par sa nature, appartient au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif, par délégation, dans certains cas; désignation des biens à exproprier qui appartient à l'administration;

jugement d'expropriation prononcé par les tribunaux ordinaires après vérification des formes; règlement des indemnités appartenant au jury. Et c'est sur la déclaration du jury que l'administration ou les concessionnaires sont envoyés en possession, à la charge du paiement préalable ou du dépôt à la caisse des dépôts et consignations de l'indemnité prescrite par la Charte constitutionnelle.

SOIXANTE-CINQUIEME LEÇON

SOMMAIRE

Expropriation de choses mobilières; réquisitions en nature en temps de guerre; inconvénients de ce moyen de pourvoir aux besoins des troupes; difficulté d'établir à cet égard des règles précises.

Législation sur le desséchement des marais; loi du 16 septembre 1807; examen des principales dispositions de cette loi.

MESSIEURS,

Nous avons examiné les principes fondamentaux et l'économie générale de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. Cette loi ne s'applique pas indistinctement et sans exception à tous les cas où la propriété particulière pourrait se trouver en conflit avec un intérêt général, avec l'utilité publique. Évidemment, ainsi que cela résulte notamment de l'article 4 de ladite loi, le législateur n'a eu en vue que l'expropriation des terrains ou des édifices dont la cession paraît nécessaire pour l'exécution de certains travaux d'utilité publique. Elle ne pourrait donc pas s'appliquer aux meubles, aux choses mobilières, si ce n'est à ceux des meubles qui, comme nous l'avons dit déjà, se trouveraient faire, en quelque sorte, partie de l'immeuble, que le pro

priétaire y aurait laissés et dont il devrait être indemnisé. Mais quant aux choses mobilières proprement dites, la loi ne s'en occupe pas. On peut bien cependant se représenter l'État ayant besoin de certaines choses mobilières, mais il est vrai qu'en règle générale l'État pourrait facilement les obtenir par les voies ordinaires, et sans avoir recours à l'expropriation pour cause d'utilité publique. Si l'État a besoin de blé, de chevaux, de drap ou de toife, il ne se trouve pas, vis-à-vis des détenteurs de ces objets, dans la position où il serait vis-à-vis de propriétaires d'immeubles placés sur le tracé d'un chemin de fer, et qui, par leur refus de ces immeubles, rendraient absolument impossible l'exécution du travail. Pour des chevaux, du blé, du drap ou de la toile, si l'un ne veut pas en donner, d'autres s'empresseront d'en offrir.

Ainsi, en règle générale, il est vrai que, par le moyen des achats qu'il peut faire comme un simple particulier, l'État suffit à ses besoins pour ce qui concerne les choses mobilières, et il est difficile, en temps ordinaire, de se représenter l'État ayant besoin d'une chose mobilière, dont il ne pourrait acquérir la propriété que par expropriation forcée.

Mais ce qui est vrai dans les cas ordinaires peut, il faut en convenir, cesser d'être vrai dans des circonstances extraordinaires, et il n'est pas un de nous qui soit assez jeune pour ne pas se rappeler quelqu'une de ces circonstances extraordinaires, ou, du moins, pour ne pas ena voir entendu parler. Ainsi, en temps de guerre, sans doute les gouvernements

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