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SOIXANTE-NEUVIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Aucun gouvernement fixe et nullement caractérisé n'était possible au moyen âge pendant la période des invasions. Le pouvoir social manquait presque absolument de moyens matériels pour se constituer, et il y avait encore un obstacle plus grand dans l'absence d'idées, de sentiments communs aux diverses populations; les essais d'organisation tentés par quelques grands hommes qui devançaient leur siècle ne pouvaient donc pas réussir. Dans la seconde période, lorsque les invasions ont cessé, que les propriétés sont devenues plus stables, que des rapports plus intimes s'établissent peu à peu entre les populations tout s'organise féodalement. Le principe féodal était le pouvoir de l'homme sur l'homme, il ne présentait aucunes garanties possibles pour le développement de la volonté générale. Le gouvernement féodal était donc essentiellement un gouvernement de privilége.

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MESSIEURS,

Après avoir établi la distinction fondamentale des gouvernements en gouvernements nationaux et gouvernements de privilége, nous avons désiré nous faire une idée des applications historiques de cette division; nous avons essayé de suivre rapidement l'histoire du principe gouvernemental dans l'histoire des peuples avant d'arriver à l'exposition

du système aujourd'hui en vigueur chez nous. Et en nous livrant à cet examen rapide, nous avons dû reconnaître que les peuples anciens n'ont guère connu que des gouvernements de privilége, et cela par des raisons tirées de leur système social, de leur organisation sociale qui n'admettait pas le principe fondamental de l'égalité civile, qui, en conséquence, et par système et comme institution sociale, chargeait les gouvernements de maintenir ces infractions au principe de l'égalité devant la loi; d'où il résultait nécessairement que le gouvernement chez les peuples anciens, chezles peuples à esclaves n'était pas protecteur de tous, n'était pas conservateur du droit de tous, mais était protecteur et conservateur des droits d'une portion de la société au détriment, au préjudice de l'autre ; en deuxième lieu, parce que, indépendamment de ce fait social et général chez les peuples anciens, le pouvoir politique était le plus souvent exercé exclusivement par une portion de l'État, par une petite portion de la société, le plus souvent par une ville qui dominait l'État tout entier, d'où il résultait que lors même qu'en principe le gouvernement eût été fondé dans l'intérêt général, par cela seul que c'était une fraction, une portion minime de l'État qui exerçait exclusivement le pouvoir social, ce gouvernement ne pouvait pas tarder à se transformer en gouvernement de privilége. Dans ces faits vous avez dû trouver la confirmation historique d'une observation que nous vous présentions au commencement du cours, lorsque nous vous faisions remarquer que l'égalité civile, la somme de droits publics ga

rantis à une nation et l'exercice des pouvoirs politiques sont trois idées distinctes, sans doute, et qu'on aurait tort de confondre et plus encore de prendre l'une pour l'autre, mais qui, quoique distinctes, ont cependant entre elles de nombreux rapports, dans ce sens, par exemple, que lorsque les pouvoirs politiques sont excessivement concentrés, il est difficile que l'égalité civile ne tarde pas à s'en ressentir et qu'en revanche, lorsque l'égalité civile n'existe pas, il est difficile que l'exercice du pouvoir ne se tourne pas contre telle ou telle partie de la société.

L'antiquité, je le répète, ne connaissait donc guère que des gouvernements de privilége; si des gouvernements nationaux s'y présentent quelque fois, ce n'est que comme des faits passagers et qui ne tardent pas à dégénérer de leur principe constitutif.

Maintenant, arrivez-vous au moyen âge, voulezvous suivre la vérification de ces mêmes principes, l'application de cette même division aux gouvernements divers du moyen âge, vous serez amenés à une conclusion presque identique, mais cependant avec des caractères essentiellement différents. Le moyen âge, nous l'avons déjà envisagé sous un autre point de vue sur lequel nous ne reviendrons pas. Nous réveillons seulement vos souvenirs et vous prions de vous rappeler que cette longue période qu'on appelle le moyen âge peut aisément se diviser, se divise même par la nature des choses en deux époques bien distinctes entre elles, l'une qu'on peut appeler l'époque du bouleversement et de la com

motion, l'autre l'époque de la réorganisation des sociétés politiques en Europe.

Je dis d'abord la période de bouleversement et de commotion. Je ne rappelle pas ici les faits, ils sont présents à votre souvenir, la chute de l'Empire, les invasions des barbares, et c'est avec intention que je dis les invasions des barbares, car le véritable moyen de ne rien comprendre à l'histoire du moyen âge, ce serait d'envisager les invasions des barbares comme un fait unique, sans succession de temps tandis qu'en réalité c'est un fait successif qui s'est prolongé pendant des siècles entiers. Or qu'était l'état social et politique de l'Europe pendant cette crise si extraordinaire et si épouvantable? Evidemment, tous les monuments historiques en font foi, et il est d'ailleurs facile de le concevoir à priori, lorsqu'on imagine ce grand choc produit non par des armées régulières, mais par des peuples se jetant sur des peuples, par des peuples sortant de leurs forêts à l'état de barbares et se jetant sur des peuples civilisés, mais amollis et ne pouvant repousser la force par la force.

Ce fut une époque de profonde confusion en toutes choses, de guerre intestine, de guerre sociale, la civilisation de l'Empire luttant avec les barbares, le christianisme luttant tour à tour, ici contre la corruption profonde du Romain, là contre la violence indomptable du Germain, le principe monarchique tel que l'empire romain l'avait développé luttant à son tour avec le principe de l'indépendance personnelle du barbare et avec l'aristocratie du conquérant, aris

tocratie toute militaire d'abord et bientôt militaire et territoriale. Dans cette lutte de ces principes et de ces faits divers, il n'y avait, il ne pouvait y avoir rien de stable, de régulier, car ces éléments divers, ces éléments que le nord déversait sur l'Occident et le midi, ce n'était pas dans un siècle qu'ils pouvaient s'incorporer, s'amalgamer et produire enfin ce tout nouveau dont nous sommes aujourd'hui les représentants.

Mais il y a plus encore, les modifications, les démembrements, les accroissements de territoire qui aujourd'hui ne sont que le résultat d'une longue guerre, de luttes très-prolongées, de traités de paix qui suivent les longues luttes, tous ces grands changements se faisaient alors en un clin d'œil; l'Empire se brisait, l'Empire se morcelait et de ce brisement résultaient un certain nombre d'États qui ensuite se brisaient de nouveau, se reformaient avec des dimensions différentes, aujourd'hui un royaume ici, demain un autre, tout était incertain, variable, comme tout devait être, dans cette lutte sans ordre possible et sans marche régulière sur aucun point de l'Europe. Telle est la vérité historique sur cette époque. Rien de stable, rien d'homogène.

Et en effet, considérez-vous la population? Vous le savez bien il n'y avait aucune homogénéité dans l'état des personnes. Il y avait celui qui ne relevait que de Dieu et de son épée; c'était l'homme libre par excellence. A côté encore un homme libre, mais un homme libre qui s'abritait sous le bouclier du premier; c'était son compagnon, son fidèle, c'était

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