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semblée. Qui avait la force? Les membres de l'assemblée. La féodalité, on l'a dit, n'était qu'une fédération monarchique, elle n'était autre chose qu'une fédération avec un chef qui n'avait guère plus de puissance que les autres. Les fédérations sont les gouvernements les plus difficiles et les plus compliqués, et s'il y a un problème difficile à résoudre dans ce monde, c'est de soumettre à la loi et à la raison publique une confédération qui ne veut pas se soumettre; c'est toujours une question de guerre et de menace de dissolution. Or, si ces considérations ont de l'importance même au XIX siècle où la puissance de l'opinion publique est grande, où la presse et les autres moyens d'influer sur l'opinion publique sont puissants, songez à ce qu'elles devaient en avoir au moyen âge, lorsque les confédérés étaient des hommes qui n'avaient jamais écouté que leurs passions, leurs intérêts, et n'avaient aucune idée d'une société régulièrement organisée.

Il n'y avait donc aucune garantie possible dans le gouvernement féodal. Le pouvoir social se trouvait lui-même brisé, impuissant. Qu'aurait-il fallu pour arriver à une garantie, pour arriver à un gouvernement national ou pour s'en approcher du moins? Puisqu'il y avait alors une force prétorienne, la force féodale, il aurait fallu que d'autres forces se développassent, que d'autres forces rivales arrivassent şur la scène politique. Alors les divers éléments auraient pu se maintenir les uns les autres, alors on aurait pu les coordonner, alors aurait commencé la possibilité d'une organisation sociale et politique

dans l'intérêt de tous, mais tant que le pouvoir féodal était là, seul, prépondérant, ne trouvant personne qui osât lui tenir tête, cette organisation était impossible.

En quoi cependant les peuples du moyen âge, tel que nous venons de le décrire, se distinguent-ils des peuples anciens? Il semble en apparence qu'ils ont les uns et les autres un seul principe dominateur. Mais la différence est celle-ci. Chez les peuples anciens, quand divers principes étaient en présence, la guerre s'ensuivait jusqu'à ce qu'un principe étouffât les autres. Dans le moyen âge, le principe dominateur était seul, mais cependant d'autres principes existaient, faibles il est vrai, mais en germe. Il y avait sans doute de nombreux châteaux, des villes singulièrement affaiblies, un commerce singulièrement appauvri, mais cependant il y avait des villes, des bourgs, un commerce quelconque, des souvenirs municipaux, c'est là, il faut le dire, le legs de l'empire romain pour lequel on lui doit le plus de reconnaissance et même, dans quelques pays, il y avait plus que le souvenir. Et ne voyez-vous pas bien de loin ce grand mot, la Commune. Et puis une autre puissance également en germe, faible aussi, mais qui existait cependant, la Royauté. Et enfin un troisième élément, l'Eglise. Vous voyez donc qu'alors même que le pouvoir féodal dominait la société, il n'a jamais dominé complétement les autres pouvoirs, qui se trouvaient affaiblis, il est vrai, mais qui existaient, qui n'attendaient que l'occasion de se développer chacun, sans doute, dans son intérêt particu

lier, mais malgré leurs vues et leurs projets égoïstes devaient dans leur développement, servir la cause de l'affranchissement de l'Europe. Tous y ont contribué; c'est ce que je vous ferai remarquer dans la séance prochaine.

SOIXANTE-DIXIÈME LEÇON.

SOMMAIRE

Si l'élément féodal était l'élément dominateur de la société européenne dans la seconde période du moyen âge, d'autres principes existaient au moins en germe et allaient lutter contre lui. Tentative du principe théocratique pour se faire gouvernement et gouvernement exclusif. C'était à la fois une grande conception et une grande illusion. Il est dans la nature du christianisme de gouverner les âmes, mais non de s'occuper du gouvernement des intérêts matériels. La tentative théocratique devait donc échouer malgré toutes les conditions de succès que l'église semblait avoir dans sa lutte contre la féodalité. Élément communal. Il n'avait jamais disparu entièrement, même pas l'action de la féodalité; il s'était maintenu surtout dans la Gaule méridionale et en Italie. Deux principes différents dans l'organisation communale principe germain, association de familles; principe romain, association de citoyens. -Communes libres en Italie, en Suisse, en Flandre et sur les bords du Rhin. - Les républiques italiennes et les cantons suisses étaient certainement des gouvernements plus nationaux que ceux de la féodalité, mais ils ne l'étaient pas complètement, et de là leur chute rapide surtout pour les républiques italiennes. Tyrannie de la bourgeoisie contre les autres classes amenant la guerre civile; villes souveraines ayant des pays sujets qui ne prenaient aucune part au gouvernement; absence d'unité; l'Italie n'a pu même arriver au système fédératif de la Suisse.

MESSIEURS,

L'élément féodal était un des éléments de la société européenne, telle que les événements l'avaient faite alors; l'élément féodal se trouvant par les circonstances le plus fort, celui qui était le plus immédiatement susceptible d'une organisation, s'empara

tout naturellement du pouvoir, du gouvernement de la société; il imposa son organisation et, ainsi que nous l'avons fait remarquer, indépendamment du principe de la féodalité qui régnait dans le gouvernement de la société, les formes féodales avaient été, en quelque sorte, appliquées à toutes choses dans ce temps-là. On arrivait jusqu'à donner de l'argent en fief, au lieu de le prêter comme nous faisons aujour d'hui. Et la prétention de la féodalité était évidemment de se constituer seule puissance sociale, de se constituer puissance unique, exclusive. C'est là la première prétention de tout principe qui arrive à se réaliser et à s'emparer du gouvernement de la société. C'est là ce que tous les principes et tous les éléments sociaux ont successivement tenté en Europe; chacun a tenté de se constituer maître de la société, du gouvernement, seul et à son profit, et c'est là l'expérience longue et douloureuse que devait faire l'Europe dans sa carrière politique. Elle devait supporter toutes les luttes, tous les combats dont ces prétentions exclusives devenaient nécessairement la cause ou le prétexte. Ainsi vous savez tout ce qu'ont souffert les peuples de l'Europe avant d'arriver enfin à un gouvernement qu'on pût sérieusement appeler un gouvernement national, à un système qui, sans détruire tel ou tel principe, tel ou tel élément, trouvât le moyen d'assigner à chacun sa place, d'accorder à chaque droit sa part d'influence.

Ainsi, peu de temps après le principe féodal, ce fut le principe théocratique qui essaya de s'emparer de la société, de se faire gouvernement et gouverne

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