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SOIXANTE-DOUZIÈME LEÇON

SOMMAIRE

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Caractères essentiels de la monarchie qui gouverne la France: 1° Elle est héréditaire, par ordre de primogéniture, de mâle en måle, à l'exclusion des femmes et de leurs descendants; loi salique; 2° elle est représentative ou constitutionnelle. Pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire. Quand ces trois pouvoirs sont réunis dans la même personne il y a pouvoir absolu. - Comment doit être entendu le principe de la séparation des pouvoirs. C'est dans l'élément monarchique qu'est posé le principe d'unité qui tient ensemble les trois parties de la machine gouvernementale; la monarchie a une part dans les trois branches du pouvoir, mais cette part est limitée, et elle ne peut aller au delà. — L'initiative en toutes choses appartient au pouvoir législatif composé du roi et des deux chambres; c'est donc l'organisation de ce pouvoir qu'il faut étudier d'abord et il paraît logique de commencer par celle des trois branches de ce pouvoir qui procède de l'élection, la Chambre des députés.

MESSIEURS,

Le gouvernement de la France n'est pas un gouvernement de privilége. Nous avons déjà expliqué longuement dans la première partie de ce cours que le principe fondamental de notre organisation sociale, principe formellement écrit en tête de la Charte est le principe de l'égalité civile. Je ne reviendrai plus sur cette matière qui me paraît épuisée.

Quant à la forme du gouvernement aujourd'hui en vigueur, c'est la forme monarchique. C'est là la forme qui, à quelques exceptions près, a été adoptée en France, depuis que les Gaules, se détachant de l'Empire romain, ont essayé d'avoir une organisation politique particulière.

La monarchie française réunit les caractères essentiels qui suivent: elle est héréditaire, par ordre de primogéniture, de mâle en mâle à l'exclusion des femmes et de leurs descendants, enfin elle est représentative, limitée, constitutionnelle, comme vous voudrez l'appeler.

Je reprends chacun de ces quatre caractères de la monarchie française.

Elle est héréditaire, c'est-à-dire qu'elle exclut formellement la forme élective. La forme élective a toujours été dans l'ordre des idées monarchiques, une forme en quelque sorte exceptionnelle, une forme qui n'a jamais longtemps resté, dès que le peuple chez lequel elle s'est établie s'est avancé dans la carrière de la civilisation, les inconvénients de la forme élective ayant bientôt frappé les esprits.

Par ordre de primogéniture de mâle en mâle. Il n'est personne qui n'ait entendu parler d'une loi qui, dit-on, est le fondement de ce principe, l'exclusion des femmes de la succession au trône; il n'est personne qui n'ait entendu parler de la loi salique. Qu'était-ce donc que cette loi salique dont tant de gens ont parlé et que si peu de gens ont lue? (ce n'est pas moi qui parle, c'est Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XVIII, ch. xxII) c'était la loi d'un des peuples

barbares, des saliens, une des lois barbares dont la rédaction a eu lieu après que ces peuples eurent envahi l'Occident. C'était la loi d'un de ces peuples germains chez qui on ne pouvait dire rigoureusement qu'il y eût une monarchie, ni même beaucoup de terres appropriées, car ces peuples germains tels que Tacite les a si bien décrits, ne possédaient que des maisons isolées entourées d'un petit terrain. Le reste des fortunes particulières consistait en armes, en troupeaux, en esclaves, en chevaux, en choses mobilières. Il est donc singulier qu'on soit parti de cette loi salique pour en tirer le principe de l'exclusion des femmes du trône.

Voici comment s'exprimait cette loi. Je prends la traduction de Montesquieu :

<< 1° Si un homme meurt sans enfants, son père » ou sa mère lui succéderont; 2° s'il n'a ni père » ni mère, son frère ou sa sœur lui succéderont; » 3° s'il n'a ni frère ni sœur, la sœur de sa mère lui >> succédera; 4° si sa mère n'a point de sœur, la >> sœur de son père lui succédera; 5° si son père » n'a point de sœur, le plus proche parent par mâles » lui succédera; 6o aucune portion de la terre sa

lique ne passera aux femelles, mais elle appar» tiendra aux mâles, c'est-à-dire que les enfants » mâles succéderont à leur père. »

Ce texte dit tout simplement : Lorsqu'il s'agira de succession d'enfants, la terre salique appartiendra aux mâles et ils la partageront entre eux, c'est-à-dire que les enfants mâles succéderont au père ou pour mieux dire partageront la succession. Car cette terre

salique était précisément cette terre qui entourait la maison. Il est bien clair qu'on devait la donner aux mâles. Les filles se mariaient et allaient habiter la maison et la terre de leur mari. Et d'ailleurs, dans ce temps de violence, la terre devait être confiée à celui qui pouvait la défendre.

Lorsque les Francs sont devenus maîtres de la Gaule, ils sont devenus riches. Leur position a changé comme propriétaires territoriaux, et alors on trouve une grande quantité de documents où il est question de la succession des femmes. On trouvait rigoureuse la disposition de la loi qui leur était rela

tive.

Vous voyez donc, sans entrer dans aucune discussion, que cette induction de la loi salique est une induction forcée. C'était une application du droit civil au droit politique et une application forcée, car cette exclusion dans la loi salique n'était pas systématique. C'est une confusion d'idées qui a fait attribuer à la loi salique un droit féodal, puisque la féodalité n'existait pas en Germanie. Elle ne s'est établie qu'au x siècle et c'est alors seulement que sont nées ces idées de la conservation de l'éclat des familles.

Cependant, il est parfaitement vrai que cette loi doit avoir eu une certaine influence sur l'application du principe au droit politique. Car l'exclusion des femmes de la succession au trône se trouve admise dans les pays soumis à la loi salique et non dans les autres. Mais c'est là, aujourd'hui, une chose de pure curiosité, car l'exclusion des femmes peut se motiver

sur des raisons meilleures, principalement sur celles de nationalité, les femmes pouvant faire passer le royaume à un prince étranger.

Nous avons dit en dernier lieu que la monarchie est représentative ou constitutionnelle. Or, vous le savez tous, on est convenu de considérer le pouvoir social sous trois points de vue divers, selon la forme de l'action qu'il exerce, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et administratif et le pouvoir judiciaire. Le pouvoir législatif qui déclare la volonté du gouvernement social, le pouvoir exécutif qui fait exécuter cette volonté et qui en même temps administre les affaires générales. Et puis il peut arriver qu'il y ait dissentiment entre celui qui doit faire exécuter la loi et celui qui doit s'y soumettre. De là une contestation spéciale, particulière, individuelle, sur un point déterminé. Il peut arriver encore qu'il s'élève une discussion sur l'application des lois entre individus et individus, ou bien enfin que des individus portent atteinte aux droits de la société ou des autres individus, en commettant des crimes, des délits. Dans tous ces cas, il s'élève une question qui n'est plus une question générale, mais une question particulière qui doit être vidée devant le pouvoir judiciaire.

C'est là que se trouve la ligne de démarcation entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Le pouvoir législatif consulte les intérêts généraux de la société et statue sur ces intérêts généraux. Lorsque, ensuite, il s'élève la question de savoir si un individu s'est ou non conformé à la loi, il y a là une

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