Page images
PDF
EPUB

viter l'étranger à envahir son pays, pousser les citoyens à la guerre civile ou au renversement de la constitution, ce sont de véritables crimes. Et, vous le voyez, l'Assemblée constituante s'était déjà crue dans l'obligation de recourir à une haute pénalité, puisqu'elle demandait que les coupables fussent poursuivis comme criminels de lèse-nation. Il y avait là plutôt un acte de défense, un acte de guerre contre les ennemis du nouvel ordre de choses, qu'une loi pénale sur la presse mûrement réfléchie.

Faisons un pas de plus, et vous allez voir que, à mesure que l'action et la réaction se développaient dans le champ de la révolution et que la lutte devenait plus acharnée, les mesures législatives aussi perdaient de plus en plus leur caractère de lois proprement dites pour revêtir celui de moyens de guerre.

L'Assemblée législative qui, comme vous le savez, succéda à l'Assemblée constituante, ordonna également, par un décret du 20 juillet 1792, de poursuivre les journalistes incendiaires et libellistes. Elle en désignait même nominativement, et elle disait dans les motifs de son décret que l'abus qui se faisait journellement de la liberté de la presse ne pouvait être trop tôt réprimé. Mais dans ces temps d'agitation et de profondes commotions politiques, vous le savez tous, l'histoire vous l'a assez dit et répété, il ne faut jamais s'attendre à une suite régulière, à un développement méthodique et normal d'un système quelconque, ce sont des faits qui succèdent à des faits. Moins de deux mois après, par son décret du 3 sep

tembre, l'Assemblée législative abolit tout procès de presse et tout jugement pour délit de presse prononcé après le 14 juillet 1789.

Ainsi sous le premier système, sous la constitution de 1791, vous voyez le système répressif consacré et quelques échantillons de répression à la vérité très-sévère, puisque, dans les cas dont il est question dans les décrets, les écrivains étaient déclarés coupables du crime de lèse-nation, mais le système préventif est tout à fait rejeté.

J'arrive à la Convention. Si nous consultons le projet de constitution de 1793 qui, au surplus, n'a jamais été en vigueur, nous y trouvons également le principe à l'article 122 : « La constitution garantit à >> tous les Français.......... la liberté de la presse. » Telle est la disposition de la Constitution de 1793. Mais il ne faut pas aussi se dissimuler que la Convention elle-même avait senti la nécessité de se défendre, et elle se défendait à sa manière contre les auteurs d'écrits tendant à renverser l'ordre de choses établi. Le décret du 29 mars 1793 porte, article 1: « Quiconque aura composé ou imprimé des écrits >> qui provoquent à la dissolution de la représenta>>tion nationale, au rétablissement de la royauté ou » de tout autre pouvoir attentatoire à la souverai» neté du peuple, sera traduit au tribunal extraor>> dinaire et puni de mort. » Là encore il y avait un essai de répression violent, fait ab irato, plutôt qu'une loi répressive digne de faire suite à la déclaration de l'Assemblée constituante.

J'arrive à la constitution de 1795, à celle qui,

comme vous le savez, établit le Directoire. Voici l'article 353 « Nul ne peut être empêché de dire, » écrire, imprimer et publier sa pensée. Les >> écrits ne peuvent être soumis à aucune censure » avant leur publication. — Nul ne peut être res>ponsable de ce qu'il a publié ou écrit que dans les » cas prévus par la loi. » C'est encore le même système, liberté de la presse, liberté qui suppose une loi répressive, purement répressive, et repousse toute loi, toute mesure préventive.

Le Directoire travailla à la loi répressive avec plus de détail que ne l'avaient fait les gouvernements précédents. Mais, il faut le dire, cette loi répressive se ressent elle-même des craintes que le Directoire ne cessait d'éprouver, et des mesures violentes auxquelles il se croyait trop souvent obligé d'avoir recours; car voici sa loi répressive: Art. 5 de la loi du 28 germinal an IV: « Les auteurs, imprimeurs, » distributeurs, colporteurs, etc...., d'écrits conte»nant les provocations déclarées crimes par la loi » du 27 germinal, seront poursuivis de la manière » qui est portée dans ladite loi. »'Or, que dit la loi du 27 germinal? Voici l'article 4°. « Sont coupables » de crime contre la sûreté intérieure de la Répu>>blique et contre la sûreté individuelle des citoyens » et seront punis de la peine de mort....., tous ceux » qui, par leurs discours, par leurs écrits impri» més, soit distribués, soit affichés, provoquent la » dissolution de l'Assemblée nationale ou celle du » Directoire exécutif, ou le meurtre de tous ou au>> cun des membres qui les composent, ou le réta

>>blissement de la royauté, ou celui de la constitu» tion de 1793, celui de la constitution de 1791 ou » de tout gouvernement autre que celui établi par >> la constitution de l'an III acceptée par le peuple >> français, ou l'invasion des propriétés publiques, » ou le pillage ou le partage des propriétés particu»lières sous le nom de loi agraire ou de toute autre » manière. >> S'il y avait des circonstances atténuantes, la peine de mort devait être commuée en celle de la déportation.

Voilà la partie répressive. Mais dans une loi du 28 du même mois de germinal an IV commencent à s'introduire certains moyens préventifs. Ainsi, vous trouvez dans cette loi qu'aucun écrit périodique ne pourra paraître (et cela sous des peines assez sévères) sans nom d'auteur et sans indication exacte de la demeure de l'imprimeur. Ceux qui contreviendraient à cette disposition devaient être renvoyés devant le jury. C'était là la garantie des citoyens.

Telle est la première période de la législation directoriale. Comme vous le voyez, répression fort dure, quelques premiers éléments de moyens préventifs. Mais à la rigueur, on pouvait dire que jusque là les dispositions de la constitution étaient assez respectées. Car la constitution supposait une loi répressive la trop grande rigueur de la répression était blâmable, mais non contraire à la constitution.

Mais arrive l'an V et dans cette année la fameuse date du 18 fructidor. Le Directoire, vous le savez, pour peu que vous ayez étudié l'histoire de cette

grave époque, le Directoire se trouvait dans une position que les uns ont voulu expliquer d'une manière, que d'autres ont voulu expliquer d'une manière différente, les uns se portant accusateurs impitoyables contre le Directoire, les autres lui accordant plus d'éloges qu'il n'en méritait peut-être. Pour moi la vérité se réduit à ceci : que désormais le Directoire n'avait plus la force de maintenir ce qu'on pouvait proprement appeler la révolution, et qu'il n'avait pas d'un autre côté la force d'organiser un système normal sans se livrer lui-même pieds et poings liés à la contre-révolution. Il était donc placé dans cette terrible alternative: maintenir la révolution dépassait son pouvoir, parce que, il faut le dire, le génie de la révolution s'apaisait, et il n'était pas donné au Directoire d'entretenir artificiellement cet état de choses. De l'autre côté il ne pouvait organiser un système définitif parce qu'il n'avait pas assez de force; il sentait que la contre-révolution l'aurait débordé à l'instant même. Dans cette terrible position il eut recours au moyen des faibles; je dis au moyen des faibles, car les coups d'État n'ont que les apparences de la force, ce sont au fond des actes de faiblesse et de désespoir. Et ceux qui ont cru que les coups d'État pouvaient être bons à autre chose qu'à renverser, sont dans une erreur complète, les coups d'État n'ont jamais rien édifié, et le Directoire tomba dans l'erreur commune quand il crut qu'il pourrait se maintenir et organiser un système quelconque avec ce moyen. Il tomba dans l'erreur commune quand il crut pouvoir organiser un système par un moyen opposé à tout système, par

« PreviousContinue »