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le coup d'État qui est une infraction à toutes les règles. Aussi vous connaissez le résultat du coup d'État de fructidor. Il ne servit qu'à donner encore au Directoire quelques jours de vie et à préparer les voies à l'homme qui devait s'emparer de toutes choses et les organiser à son profit.

Le coup d'État une fois exécuté, il fallait, comme il est facile de le comprendre, une législation ad hoc, une législation qui soutînt ce qu'on venait de faire. Le ciel me préserve donc de citer le décret du 19 fructidor an V, comme quelque chose qui ressemble à une législation régulière et destinée à une longue existence. Le décret du 19 fructidor était lui-même un coup d'État. C'est le même qui ordonnait la déportation d'un certain nombre de citoyens sans aucun jugement. Eh bien, à l'article 35 il est dit: « Les >> journaux, les autres feuilles périodiques et les >> presses qui les impriment sont mis pendant un an >> sous l'inspection de la police, qui pourra les pro» hiber, aux termes de l'article 355 de l'acte consti>>tutionel,» article dont voici la teneur : « Il n'y » a ni privilège, ni maîtrise, ni jurande, ni limitation » à la liberté de la presse, du commerce et à l'exer»cice de l'industrie et des arts de toute espèce. >> Toute loi prohibitive en ce genre, quand les circons>> tances le rendent nécessaire, est essentiellement >> provisoire et n'a d'effet que pendant un an au plus, » à moins qu'elle ne soit formellement renouvelée. » Le fameux décret devait donc sous ce rapport cesser d'être en vigueur à la fin de l'année. Mais il y a toujours le grand moyen des provocations. Aussi trouvez

vous à la date du 9 fructidor an VI un décret dans lequel il est dit qu'on ne peut pas rendre à la presse des moyens dont elle a si manifestement abusé, et que le temps manquant pour établir une loi répressive, on proroge encore pour une année les dispositions de l'article 355 de la constitution.

Le 9 vendémiaire an VI (septembre 1797) on établit le timbre des journaux.

Vous le voyez, la liberté de la presse fondée en principe dans la constitution de 1791, confirmée en principe dans la constitution de l'an III, avait été blessée, et blessée à mort dans la seconde partie de l'ère directoriale. Elle alla bientôt expirer aux pieds du vainqueur d'Arcole et des Pyramides. Certes, dans l'état où elle se trouvait, il ne fallait pas de grands efforts pour l'étouffer, surtout quand on l'étouffait dans les bras de la gloire. Le public, il faut le dire, ne s'émut pas beaucoup alors de la perte d'une de ses plus précieuses garanties. Les uns étaient las, les autres éblouis. Ce qui avait été au-dessus des forces du Directoire, il arriva un homme capable de le faire, il arriv a un homme assez puissant pour clore une époque. Et d'un autre côté on savait bien qu'en ouvrant une époque nouvelle, ce n'était pas au profit de la contre-révolution qu'il l'ouvrait. Car cet homme étonnant réunissait trois grands éléments de puissance: 1° il portait en lui-même pour la nation des garanties d'organisation; 2° la nation savait trèsbien qu'il n'organisait point au profit d'un autre, car si quelques hommes pouvaient s'imaginer que celui qui venait de faire les campagnes d'Italie et d'Égypte,

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que celui qui, dans ces deux campagnes, avait déployé plus de génie, plus d'éclat, plus de poésie qu'aucun conquérant n'en avait déployé avant lui, qu'il n'en déploya lui-même dans tout le reste de sa vie, si quelques hommes, dis-je, pouvaient s'imaginer que cet être extraordinaire travaillait pour autrui, comme l'avait fait autrefois certain général anglais, la France avait trop de bon sens pour partager des idées aussi niaises; 3° il ouvrait de son épée une immense carrière à des sentiments d'une noble ambition et ajoutons aussi à des sentiments personnels et d'égoïsme. Il y avait donc là trois grands éléments de succès; mais la liberté de la presse ne pouvait exister en pareilles circonstances.

En attendant voyez-la dans la première période. Elle sort de la révolution, mais elle en sort jeune, impatiente, furibonde même; bref elle sort de la révolution, révolutionnaire. Tantôt les pouvoirs tremblent devant elle, tantôt ils s'irritent et la frappent avec des coups d'État. C'etait force contre force, violence contre violence. C'était là le caractère de l'époque, époque de bouleversement où il était impossible que la presse et les pouvoirs ne se livrassent pas également à des violences. La presse était donc telle qu'elle devait être alors et son histoire, dans cette période, n'est pas autre chose qu'un reflet exact de la période elle-même. Toute révolution sociale au fond n'est autre chose qu'une génération qui s'offre en holocauste au profit des générations suivantes. La presse fut désordonnée et le pouvoir réagit souvent contre elle d'une manière désordonnée; et dans cette

lutte, dans ce choc, le pouvoir et la presse vinrent expirer devant un nouveau système, devant un nouvel ordre de choses. L'un et l'autre disparurent sous une action que nous examinerons dans la séance prochaine.

CINQUANTE-QUATRIÈME LECON

SOMMAIRE

Seconde période : Constitution de l'an VIII; arrêté des consuls du 27 nivôse an VIII. Mesures préventives contre la presse. Commission du Sénat chargée de veiller à la liberté de la presse. Parallèle entre Louis XIV et Napoléon. Décret du 5 février 1810 sur la police de Censure. Le livre de Me de Staël, De l'Allemagne,

l'imprimerie.

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mis au pilon après avoir été soumis à la censure et imprimé avec approbation. - Réaction en faveur de la liberté de la presse à la chute de l'Empire. - Premières dispositions du gouvernement de la Restauration à ce sujet.

MESSIEURS,

Dans notre dernière réunion nous avons jeté un coup d'œil sur la législation relative à la liberté des publications, et en particulier à la liberté de la presse pendant la révolution; nous avons vu que le principe de la liberté de la presse et des opinions, avec exclusion de mesures préventives, avait été proclamé formellement et à plusieurs reprises, qu'il était devenu un des principes fondamentaux des constitutions de 1791, 1793 et 1795. Mais nous avons reconnu en même temps que ce principe n'avait pu résister au choc des événements, des passions, des vicissitudes politiques et qu'il avait fini par succomber.

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