Page images
PDF
EPUB

» ment exécutés selon leur forme et teneur jusqu'à » ce qu'il en ait été autrement ordonné. »

Voilà donc au 10 juin 1814 le décret du 5 février 1810 provisoirement maintenu, mais l'ordonnance de 1814 déclare que c'est en attendant une loi répressive évidemment supposée par l'article 8 de la Charte. Il n'y avait donc là rien qui ne fût vrai, et si on pouvait regretter que, même momentanément, le décret de 1810 fût maintenu, on énonçait que les lois pénales actuellement existantes étaient à la fois insuffisantes et trop rigoureuses, ce qui était encore vrai. Par cette ordonnance on ne sortait pas des termes où la Charte avait placé les garanties constitutionnelles de la liberté de la presse.

Cependant nous avons divisé la période de la Restauration en deux parties, la première se terminant à 1819, et l'autre commençant à cette année 1819. C'est qu'en effet il y eut là deux systèmes relativement à la liberté de la presse. Dans le premier, nous verrons que, en dépit de l'article 8 de la Charte, la censure fut rétablie non comme moyen exceptionnel, mais comme moyen ordinaire et, en quelque sorte, compatible avec la Charte elle-même. En 1819 le système fut radicalement modifié, et les lois présentées alors aux Chambres par M. de Serre replacèrent la question sur son véritable terrain.

CINQUANTE-CINQUIÈME LEÇON

SOMMAIRE

La liberté de la presse reconnue comme un droit public dans la Charte de 1814. — Loi du 21 octobre 1814; désaccord entre les dispositions de cette loi et le principe posé dans la Charte; système préventif substitué an système répressif; censure pour les écrits de moins de vingt feuilles d'impression. Rétablissement de la liberté de la presse pendant les Cent Jours.- Ordonnance royale du 20 juillet 1815; la censure supprimée pour les écrits en général, mais maintenue pour les journaux.-Distinction entre les mesures répressives et les mesures préventives; deux catégories de mesures préventives, les unes paralysant l'exercice d'une faculté, les autres ayant seulement pour effet de rendre la répression plus sûre ou plus sévère. Lois du 17 mai, du 26 mai et du 9 juin 1819. Examen de ces trois lois qui paraissent avoir posé les vrais principes sur la matière.

MESSIEURS,

Nous avons vu à la fin de la dernière séance que l'article 8 de la Charte de 1814 posait en principe la liberté presse. « Les Français, disait cet article, ont le droit » de publier et de faire imprimer leurs opinions, en >> se conformant aux lois qui doivent réprimer l'abus » de cette liberté. » Certes si on veut entendre l'article selon le sens naturel des expressions, il est incontestable que le principe est exprimé comme il devait l'être dans une charte constitutionnelle. Et

cette disposition se trouve placée sous la rubrique de Droit public des Français, ce qui veut dire que le législateur considérait la liberté de la presse comme un véritable droit public, d'après la notion que nous avons exposée dans notre introduction. Vous vous rappelez que nous avons distingué les droits en trois classes, les droits civils proprement dits, les droits publics et les droits politiques, distinction essentielle, avons-nous dit, fondée sur la nature même des choses, les deux premières classes étant le but, et la troisième le moyen, l'organisation sociale étant déstinée précisément ainsi que l'organisation politique, à faire jouir chacun de ses droits civils et publics, à en garantir à chacun la jouissance dans les limites de l'ordre général.

Ainsi il se présentait au législateur une double voie. Il aurait pu, à la rigueur, envisager la liberté de la presse] uniquement comme une institution politique, comme le système électoral, comme la loi sur l'éligibilité, comme telle autre institution politique qui est un moyen de maintenir l'ordre et les libertés publiques. Et en partant de là, en partant de cette manière d'envisager la question, on arrivait à de tout autres résultats. Car si vous envisagez la liberté de la presse comme une institution politique, comme un moyen, et non comme un des buts essentiels qui doivent être atteints, vous arriverez, par exemple, à cette conséquence que le législateur pourrait se donner sur la matière la plus grande latitude. Or le législateur ne l'a pas considérée sous ce point de vue étroit, il l'a envisagée sous sa véritable face, c'est-à

dire comme une liberté naturelle et légitime, qui doit être garantie et dont les abus seuls doivent être réprimés, quand ils sont à la fois coupables en eux-mêmes et dangereux pour la société. Il l'a considérée comme un droit public et non simplement comme un ressort du système représentatif.

C'était donc là le véritable point de vue, et jusquelà la disposition de la Charte était irréprochable, même aux yeux du publiciste théoricien, du publiciste spéculatif. La liberté de la presse était reconnue comme une faculté naturelle et légitime, garantie comme un droit public des Français. Ainsi, je le répète, si on voulait prendre l'article 8 de la Charte de 1814 dans son sens vrai, naturel, rien n'y manquait, si ce n'est la loi répressive. Cette loi parut le 21 octobre 1814. Mais, il faut le dire, elle n'était nullement en harmonie avec le principe de la Charte; car, encore une fois, le principe de la Charte était la liberté de la presse avec une loi répressive des excès qu'on peut commettre par l'abus de cette faculté naturelle, comme par l'abus de toute autre faculté naturelle. Tel n'est pas le système de la loi du 21 octobre 1814. Quel est en effet l'esprit, quelle est l'économie de cette loi? Les voici: D'abord point de liberté pour toute publication n'ayant pas plus de vingt feuilles d'impression. On distinguait les publications ayant plus de vingt feuilles de celles qui n'avaient que vingt feuilles ou moins. Vous comprenez le motif de cette distinction qui, au premier abord, pourrait paraître un peu bizarre. Les écrits d'un petit volume sont facilement imprimés, circulent

aisément, sontlus par un grand nombre de personnes, tandis que les ouvrages plus considérables, et vingt feuilles d'impression forment déjà un assez gros volume, ne peuvent être aussi aisément imprimés à un grand nombre d'exemplaires et trouvent beaucoup moins d'acheteurs et de lecteurs, à moins qu'ils n'attirent l'attention d'une manière spéciale.

Eh bien, tout écrit de plus de vingt feuilles pouvait être publié librement sans examen ou censure préalable, ce qui veut dire que tous ceux qui en contenaient moins étaient sous le régime de la censure. A l'égard de ces derniers, le directeur général de la librairie et les préfets pouvaient ordonner qu'on les leur représentât, pour qu'ils les fissent examiner avant l'impression. Le premier principe de la loi était donc la censure pour tous les écrits qui n'atteignaient pas un certain nombre de feuilles d'impression.

Un second principe, posé à l'article 9, était que les journaux ou écrits périodiques ne pouvaient paraître qu'avec l'autorisation du Roi. Voilà donc deux moyens préventifs établis dans la loi, la censure et l'autorisation préalable pour les écrits périodiques.

Le troisième élément de la loi de 1814, c'est la police de la presse qui forme le titre II et dont le principe fondamental est celui-ci : « Nul ne sera >> imprimeur ou libraire s'il n'est breveté par le Roi >> et assermenté. » Il est vrai que cette disposition n'est pas accompagnée d'une sanction pénale. Cela a donné lieu a une discussion judiciaire dont probablement chacun de vous à eu connaissance, même tout

« PreviousContinue »