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fussent à l'abri de tout reproche, mais il n'est pas moins vrai que le système de ces trois lois prises dans leur ensemble est un beau monument législatif sur cette matière, un monument d'autant plus remarquable que, pour la première fois, depuis trente ans qu'on promettait à la France la liberté de la presse, c'est alors qu'on se trouva théoriquement et pratiquement sur le vrai terrain des principes.

Or qu'était le système de 1819? Trois lois furent présentées. La première, celle du 17 mai, était la véritable loi répressive proprement dite. Là vous trouverez implicitement admises les vérités que nous avons énoncées. La presse est un moyen par lequel on peut faire du bien et du mal. L'œuvre du législateur consiste donc à déterminer quels sont les faits de la presse qui méritent d'être placés dans la catégorie des crimes et délits. C'est là le système de la loi du 17 mai 1819. Le premier chapitre a pour titre : De la provocation publique aux crimes et délits, ce qui nous amène à l'idée de complicité, de complicité du moins quant à la provocation. Le second chapitre contient les outrages à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs. Puis viennent dans les chapitres III et IV les offenses publiques envers la personne du roi, les membres de la famille royale, les chambres, les souverains et les chefs des gouvernements étrangers, et, dans le chapitre V la diffamation et l'injure publiques. - Voilà la nomenclature générale des crimes et délits prévus par la première loi de 1819.

La seconde loi, celle du 26 mai, était bien autre

ment remarquable encore, elle était relative à la poursuite et au jugement des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication. Et c'est dans cette loi que vous trouvez (article 13) les crimes et délits commis par la voie de la presse ou tout autre moyen de publication, renvoyés par la chambre des mises en accusation de la cour royale, devant la cour d'assises, c'est-à-dire devant le jury. Seulement l'article suivant renvoyait aux tribunaux de police correctionnelle les délits de diffamation verbale ou d'injure verbale contre toute personne, et ceux de diffamation ou d'injure par une voie de publication quelconque contre les particuliers. Une nouvelle garantie donnée aux écrivains se trouve dans l'article 28: « Toute personne inculpée d'un » délit commis par la voie de la presse ou par tout >> autre moyen de publication, contre laquelle il aura » été décerné un mandat de dépôt ou d'arrêt, obtien>> dra sa mise en liberté provisoire moyennant caution. » La caution à exiger de l'inculpé ne pourra être » supérieure au double du maximum de l'amende » prononcée par la loi contre le délit qui lui est im» puté. » Vous savez que d'après le Code pénal la mise en liberté sous caution dans les cas analogues est purement facultative de la part des magistrats. Ici la mise en liberté est obligatoire.

La troisième loi, celle du 9 juin, est une loi préventive, elle est relative aux journaux ou écrits périodiques. Elle ne rétablissait point la censure, ni l'autorisation préalable pour les journaux, mais elle soumettait les propriétaires ou éditeurs de tout journal

ou écrit périodique, consacré en tout ou en partie aux nouvelles ou matières politiques et paraissant soit à jour fixe soit irrégulièrement, mais plus d'une fois par mois, à faire une déclaration indiquant le nom au moins d'un propriétaire ou éditeur responsable, sa demeure, et l'imprimerie, dùment autorisée, dans laquelle le journal ou l'écrit périodique devait être imprimé. Elle exigeait, en second lieu, un cautionnement dont le montant variait en raison des départements où les journaux se publiaient, et des termes plus ou moins rapprochés des publicatons. Voilà les deux mesures fondamentales prescrites par la loi du 9 juin 1819, mesures qui sont évidemment de l'ordre préventif, mais appartiennent à la seconde. catégorie des mesures préventives dont j'ai parlé, tandis que la censure et l'autorisation préalable appartiennent à la première catégorie.

Le reste de la loi du 9 juin 1819 est essentiellement réglementaire pour l'exécution de ces deux mesures et contient, en outre, les dispositions pénales qui doivent les sanctionner.

Tel est l'ensemble du système présenté en 1819 par M. de Serres et adopté par le pouvoir législatif. La route était désormais tracée. Lorsque trois lois de cette espèce prennent place dans une législation, on peut conclure que le travail d'élaboration dont je parlais il y a un instant est en grande partie accompli. La France savait déjà alors ce que c'est que la liberté de la presse, elle connaissait les véritables principes dirigeants dans cette matière importante. Nous retrouverons sans doute des aberrations, nous retrou

verons des lois différentes de celles que nous venons de voir, mais il n'est pas moins vrai que les principes fondamentaux ont été posés par la législation de 1819, et quand on est revenu aux saines idées sur la matière, on s'est rapproché des principes posés en 1819. Je dis des principes, je ne m'occupe pas des détails. On comprend qu'il peut y avoir là des modifications, des changements qui tiennent à l'état, aux circonstances extérieures du pays. Il est tel fait que le législateur n'a pas besoin de réprimer sévèrement aujourd'hui et qui pouvait avoir besoin de l'être alors. Ce sont là, je le répète, des détails, mais il n'est pas moins vrai que vous trouvez les grands principes posés définitivement en 1849, je veux dire le système répressif et non préventif, le renvoi des crimes et délits de la presse au jury, et la liberté provisoire sous caution accordée toujours aux prévenus de délits de presse.

CINQUANTE-SIXIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Obstacles au maintien de la législation de 1819 provenant soit des gouvernements, soit de la presse elle-même. Assassinat du duc de Berry; rétablissement du système préventif contre la presse par la loi du 30 mars 1820, prorogée et étendue par celle du 26 juillet 1821. Loi du 17 mars 1822 nécessité de l'autorisation préalable pour les journaux; droit d'établir la censure par ordonnance dans l'intervalle des sessions législatives; droit de poursuivre, de suspendre et de supprimer les journaux pour cause de tendance; monstruosité de ce système. · Loi du 15 mars 1822; connaissance des délits de presse enlevée au jury. Retour aux principes de 1819 par la loi du 18 juillet 1828.

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MESSIEURS,

En jetant un coup d'œil sur le système adopté en 1819 relativement à la liberté de la presse, nous avons reconnu qu'on était revenu au système de la répression, qu'on avait renoncé aux mesures préventives qui paralysent l'action, en adoptant seulement quelques mesures préventives de la nature de celles qui peuvent se concilier à la rigueur avec le système répressif, n'ayant d'autre effet que d'assurer la répression, de la rendre plus certaine ou plus sévère. Nous avons vu aussi que l'autre caractère dominant de la législation de 1819 était l'attribution au jury de la

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