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quelles les deux professions se rencontreraient et échangeraient leurs vues sur des sujets médico-légaux. Ces sociétés auraient leurs comités d'administrateurs auxquels on donnerait le pouvoir de recevoir et de porter des accusations contre les membres des deux professions en vue de recommander et d'instituer des procédés qui permettraient de frapper des peines disciplinaires de la suspension ou de l'expulsion de leurs professions respectives ceux qui auraient été reconnus coupables de s'être livrés à des pratiques peu honnêtes. Outre cesmesures destinées à la réhabilitation de l'expert médical, on devrait promulguer des lois faisant de l'expert un officier du tribunal dans toutes les procédures des tribunaux où il peut être appelé à paraître, de façon à le soumettre, au besoin, au contrôle et aux méthodes disciplinaires du tribunal dans les cas où sa conduite serait contraire à l'honnêteté.

En bonne justice, à l'égard de l'expert médical honnête, nous pensons, en terminant, que beaucoup des principales critiques dirigées. contre lui pourraient disparaître, si, avant de répondre à une question hypothétique, on lui demandait de se mettre bien au courant de tous les témoignages se rapportant au sujet sur lequel on le questionne et si on n'autorisait aucune réponse à une question hypothétique que sous la condition que cette question tiendrait compte de tous les témoignages produits.

Le sujet que nous avons traité a une grande importance et nous espérons que les idées que nous suggérons soulèveront dans cet honorable Congrès des discussions dont le résultat sera dans des mesures. prises pour la réhabilitation du témoin appelé comme expert médical..

MERCREDI 8 AOUT

Présidence de M. MIOT (Charleroi).

DES DÉLITS POUVANT RÉSULTER DE LA PRATIQUE DU MAGNÉTISME PAR DES PERSONNES NON DIPLÔMÉES

par M. DUPRÉ,

Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris (Étude médicale)

et M. ROCHER

Avocat à la Cour d'appel, membre de la Sociéte de Médecine légale (Étude juridique).

Notre rapport, exposé sommaire de l'état actuel de la question, a pour but de tracer les grandes lignes médicales et juridiques de la discussion qui peut s'engager au sujet des Délits qui résultent de la pratique de l'hypnotisme par des personnes non diplômées. Il ne comporte donc ni l'exposé historique de la question, ni l'appréciation critique des doctrines, ni l'interprétation des faits constatés par l'observation clinique, ni enfin la documentation bibliographique qui convient soit à un travail personnel et original, soit à une revue générale, mais qui eût été un appendice démesuré et inutile à ces quelques pages, destinées seulement à l'amorce d'une discussion.

L'étude de l'hypnotisme, après avoir passé par plusieurs phases, n'est entrée dans sa période scientifique que par les travaux de Braid (1845) et de Charcot (1878). C'est sous l'impulsion et grâce à l'autorité de ce dernier maître que les médecins ont repris, avec les méthodes positives, l'étude de ces faits, jusqu'alors abandonnée aux mystiques, aux amateurs et aux charlatans. Les conditions étiologiques, les relations cliniques des phénomènes, ont été précisées, et, grâce aux discussions soulevées sur la nature des faits observés, la question a revêtu dans ces derniers temps une ampleur et un intérêt plus grands encore. Les juristes sont à leur tour intervenus dans le débat, et on peut dire actuellement que l'étude de l'hypnotisme est un des domaines où se rencontrent, avec le plus d'intérêt commun et de profit réciproque, tous ceux qui, médecins, magistrats, avocats, législateurs ou psychologues, cultivent la médecine légale.

On doit entendre, sous le nom d'hypnotisme, un état psycho-pathologique, survenant momentanément, dans certaines conditions parti

culières de terrain et d'expérience, et dont le caractère fondamental consiste dans l'inhibition fonctionnelle, plus ou moins complète, des centres psychiques supérieurs ou conscients, et dans l'activité indépendante des centres psychiques inférieurs ou automatiques. L'exaltation, la dépression et les perturbations fonctionnelles de ces centres automatiques, les rapports nouveaux qui s'établissent entre ceux-ci et les centres supérieurs de la conscience et de la volonté expliquent tous les degrés d'intensité et toutes les variétés d'aspect de l'hypnotisme. Une des conséquences les plus constantes et les plus remarquables de cette désagrégation psychique est l'extrême développement de la suggestibilité, c'est-à-dire de l'aptitude à réaliser passivement, par voie d'association automatique, les tendances à l'acte, éveillées dans les centres psychiques par la voie extrinsèque des sens et du langage (hétéro-suggestion), ou par la genèse intrinsèque et inconsciente de processus mentaux, d'apparence spontanée et personnelle (auto-suggestion).

Cette définition de l'hypnotisme éclaire les étroites relations qui unissent cet état morbide à l'hystérie. La psycho-névrose hystérique relève, ainsi qu'il ressort des travaux de Charcot, Pitres, Janet, Mœbius, Breuer, Freund, d'une désagrégation plus ou moins profonde et continue de la personnalité psychique, d'une dissociation des éléments conscients et subconscients de la synthèse mentale. Les stigmates permanents et les accidents épisodiques de l'hystérie reconnaissent donc le même substratum physio-psychologique que les états hypnotiques ceux-ci, d'ailleurs, sont, comme les états hystériques, extrêmement variés dans leur forme, leur intensité, leur durée. Depuis le simple et passager engourdissement de la conscience et de la volonté du petit hypnotisme (états hypnoïdes) jusqu'au profond sommeil léthargique du grand hypnotisme, on observe une gradation continue d'états hypnotiques, dont les degrés, les rapports et les formes, ont été bien établis par les observateurs de la Salpêtrière et de Nancy.

Ces deux écoles, appliquant à l'étude de l'hypnologie chacune sa doctrine et sa méthode, ont abouti à des conclusions différentes, dont l'opposition a eu le précieux avantage de signaler à la critique impartiale les exagérations doctrinales de chaque école et les faiblesses de chaque théorie. Il ne nous appartient pas d'instituer ici ni l'histoire, ni le jugement de cet intéressant procès. La médecine légale ne veut en recueillir que les conclusions positives et l'enseignement pratique.

Or, des travaux scientifiques, des discussions académiques et des enquêtes médico-légales, concernant l'hypnotisme, semblent ressortir les conclusions suivantes :

L'état hypnotique peut être, à l'aide de différentes manœuvres, obtenu chez un grand nombre de sujets. La provocation de l'hypnose est d'autant plus aisée à obtenir que le sujet est plus entaché d'hystėrie. La grande majorité des hystériques est hypnotisable. L'hypnose peut aussi être provoquée chez des sujets qui sont ou semblent indemnes d'hystérie. En pareil cas, l'hypnotisation, en ébranlant un édifice mental peu solide, éveille souvent une prédisposition jusqu'alors latente à la névrose. L'hypnose est d'autant plus facile à obtenir qu'elle a été déjà plus souvent provoquée. L'entraînement et l'éducation, dus à la répétition des manoeuvres, les influences autosuggestives et hétérosuggestives exagèrent, grâce à l'inertie de la volonté et à l'obnubilation de la conscience, l'exaltation des centres automatiques, et finissent par modifier profondément la personnalité du sujet, surtout lorsqu'on envisage celui-ci dans ses rapports avec son magnétiseur. Aux mains de celui-ci, le sujet devient hyperhypnotisable et d'une extrême malléabilité psychique.

Le résultat immédiat de l'hypnotisme est donc le développement progressif de la suggestibilité du sujet, surtout et parfois seulement vis-à-vis de l'hypnotiseur. C'est là qu'est d'ailleurs le fondement de l'hypnotisme thérapeutique.

Ces propositions ne visent que le degré de fréquence relative et d'éducabilité rapide des hypnotisables. Mais la pratique de l'hypnotisme sur ces sujets a des conséquences que le médecin légiste doit connaitre. Ces conséquences sont les unes immédiates, les autres lointaines; les unes d'ordre médical, les autres d'ordre social: il nous faut indiquer brièvement les principales.

Par sa définition même, l'état hypnotique est un état pathologique. En effet, le grand hypnotisme se confond, dans ses manifestations, avec les crises cataleptiques, somnambuliques ou léthargiques de l'hystérie. Le petit hypnotisme, avec ses différents degrés (états de charme, de fascination, de léthargie lucide, etc.), représente autant de variétés d'automatisme morbide.

L'hypnotisme est donc, dans l'ordre thérapeutique, assimilable à tous les agents médicamenteux ou physiques, dont le maniement délicat exige l'intervention d'un médecin éclairé sur les indications à remplir, les dangers à éviter et la méthode à suivre. Le médecin a donc scul qualité pour pratiquer l'hypnotisme, et encore ne doit-il en user que dans certaines conditions déterminées, que nous n'avons pas à rappeler ici.

Mème entre les mains d'un médecin compétent, à plus forte raison entre celles d'un ignorant, la pratique de l'hypnotisme peut com

porter, dans le domaine médical, des conséquences d'ordre pathologique assez variées; les unes immédiates, les autres plus éloignées, les unes bénignes et passagères, les autres sérieuses et tenaces. Ces accidents psycho-pathiques, imputables à la pratique inconsidérée de l'hypnotisme, sont de trois ordres hystérique, neurasthénique et vésanique. Les accidents hystériques consistent en diverses manifestations de la névrose (attaques convulsives, paralysies et contractures, crises de somnambulisme spontané, etc.), dont l'hypnotisation a été la cause occasionnelle. Parmi les agents provocateurs de l'hystérie, l'hypnotisme figure au premier rang, pour les raisons d'affinité fondamentale que nous avons plus haut indiquées. Les accidents neurasthéniques ou hystéro-neurasthéniques, secondaires aux séances hypnotiques, sont très fréquents (céphalée, insomnie, asthénie neuromusculaire, aboulie, incapacité de travail mental, etc.). Les accidents vésaniques sont ceux qui résultent du trouble apporté par les pratiques hypnotiques dans l'équilibre instable de la mentalité des dégénérés. En exaltant l'émotivité des déséquilibrés, en éveillant les aptitudes délirantes des débiles ou des prédisposés, l'hypnotisme peut déterminer chez eux des accidents épisodiques, qui ont pour fonds commun la dégénérescence mentale et pour cause occasionnelle l'ébranlement psychique, souvent même léger, dù aux manœuvres magnétiques (états d'obsession, d'anxiété, d'aboulie, phobies, idées fixes, bouffées délirantes, etc.).

Ces accidents psycho-pathiques se développent en raison directement proportionnelle à la répétition des pratiques, à la prédisposition nerveuse des sujets, et à la publicité des séances d'hypnotisme : dans ce dernier cas, la contagion nerveuse joue un rôle fort important, surtout dans l'éclosion des accidents hystériques: on a observé, à la suite de représentations théâtrales ou foraines de phénomènes hypnotiques, de véritables épidémies d'hystérie provoquée, à forme convulsive, somnambulique ou délirante.

Cette première catégorie de méfaits dus à l'hypnotisme résulte de l'incompétence des hypnotiseurs non diplômés, qui, en maniant à tort et à travers un agent thérapeutique redoutable dont ils ignorent les dangers, font de la médecine un exercice illégal et périlleux, et portent à leurs clients, par imprudence et légèreté, un préjudice le plus souvent inconscient et involontaire.

Une deuxième catégorie de méfaits, dus à l'hypnotisme, résulte non plus de l'incompétence, mais de la malhonnêteté des hypnotiseurs elle vise, dans le domaine social, des faits d'ordre criminel. L'hypnotisme a, de tout temps, été pratiqué par des magnétiseurs

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