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magnétisme soit interdit à toute personne qui ne présenterait pas les garanties indispensables de savoir et d'expérience.

La loi française actuelle satisfait-elle à cette nécessité?

Par quelles voies atteindre, et comment réprimer (réprimer c'est prévenir) les pratiques des individus de tous ordres, amateurs philanthropes ou entrepreneurs intéressés, dépourvus de titres réguliers, étrangers à l'art de guérir, et par là même capables de faire de l'hypnotisme un agent nuisible à la santé publique?

Telle est la question complexe soumise à la section de médecine légale sous cette forme concise:

« Des délits résultant de la pratique du magnétisme par des personnes non diplômées. »

Ces délits, pour nous, sont de trois ordres :

1° Délit d'exercice illégal de la médecine.

2o Délit d'escroquerie.

3o Délits d'imprudence.

1o Délit d'exercice illégal de la médecine.

Déjà, sous l'empire de la loi de Ventôse, an XI (art. 55 et 36), il était assez généralement admis en France que la pratique du magnétisme par des personnes non diplômées pouvait constituer le délit d'exercice illégal de la médecine'.

La loi du 30 novembre 1892 ne parait nullement, à notre avis, avoir rendu plus favorable la situation des magnétiseurs. L'article 16 de cette loi, qui définit l'exercice illégal de la médecine, est conçu en termes très généraux. L'expression « traitement » en parti

1. Voir notamment un arrêt de la Cour de Lyon, 4 avril 1892. Gaz. du Palais, 1892, 2-40. 2. Art. 16. Exerce illégalement la médecine: 1° Toute personne qui, non munie d'un diplôme de docteur en médecine, d'officier de santé, de chirurgien dentiste ou de sage-femme, ou n'étant pas dans les conditions stipulées aux art. 6, 29 et 52 de la présente loi, prend part habituellement ou par une direction suivie, au traitement des maladies ou des affections chirurgicales, ainsi qu'à la pratique de l'art dentaire ou des accouchements, sauf le cas d'urgence avérée. 2° Toute sage-femme qui sort des limites fixées pour l'exercice de sa profession par l'art. 4 de la présente loi. 3° Toute personne qui, munie d'un titre régulier, sort des attributions que la loi lui confère, notamment en prêtant son conCours aux personnes visées par les paragraphes précédents, à l'effet de les soustraire aux prescriptions de la présente loi. Les dispositions du § 1er du présent article ne peuvent s'appliquer aux élèves en médecine qui agissent comme aides d'un docteur, ou que celui-ci place auprès des malades, ni aux personnes qui, sans prendre le titre de chirurgien dentiste opêrent accidentellement l'extraction des dents. » Pénalités portées en l'article 18: Amendes, et. en cas de récidive, emprisonnement possible. Ces pénalités s'élèvent en cas d'usurpation de titre (Art. 19). L'art. 24 fixe les conditions de la récidive (récidive spéciale).

culier ne suppose, en aucune façon, l'administration de médicaments, et comprend bien évidemment tous les procédés employés dans un but curatif. Le magnétisme, d'ailleurs, est un moyen thérapeutique véritable, et il est scientifiquement établi qu'il peut intervenir avec efficacité dans le soulagement des infirmités ou maladies de nature hystérique'.

En vain, invoquerait-on, en sens contraire, le rapport de M. Chevandier qui a précédé la loi (11 juin 1892): les arguments, toujours incertains, qui se peuvent tirer des travaux préparatoires ne sauraient prévaloir contre un texte formel 2.

Le délit d'exercice illégal est la résultante forcée de la pratique du magnétisme sans diplôme de médecin.

Les délits d'escroquerie et d'imprudence sont seulement des conséquences possibles de cette pratique.

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Le délit d'escroquerie est en principe réalisé quand sont réunis les éléments suivants : 1° Une intention frauduleuse et intéressée.

2o Un profit recherché ou obtenu, au détriment de la fortune d'autrui, par l'un des moyens proscrits par la loi : a) usage de faux noms ou de fausses qualités; b) manoeuvres frauduleuses3.

1. GILLES DE LA TOURETTE. Ibid. V, p. 279.

2. La jurisprudence est plutôt favorable à notre interprétation. Trib. Seine, 26 janvier 1893, Gaz. du Palais, 1895, 1,156; Trib. Lille, 8 juillet 1897; Gaz. du Palais, 1897, 2,421; et surtout Trib. Seine, 6 janvier 1899; Gaz. du Palais du 11 janvier, confirmé par arrêt, Cour d'appel du 15 mars 1899; Gaz. du Palais, 1899, 1,581.

En sens contraire: Cour d'Angers (veuve Blin et minist. public). Gaz. du Palais, 1894, 2,99. « Ne constitue pas l'exercice illégal de la médecine, le fait par un individu de pratiquer sur les personnes qui sollicitent ses soins des passes magnétiques, d'appliquer sur leurs bras des barreaux magnétiques et de leur conseiller comme boisson de l'eau aimantée. »

3. Article 405 du Code pénal français : « Quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naitre l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remettre ou délivrer des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou décharges, et aura par un de ces moyens, escroqué ou tenté d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui, sera puni d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus, et d'une amende de 50 fr. au moins et de 3000 fr. au plus. Le coupable pourra être, en outre, à compter du jour où il aura subi sa peine, interdit, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, des droits mentionnés en l'art. 42 du présent Code : le tout, sauf les peines plus graves, s'il y a eu crime de faux. »

MÉDECINE LÉGALE

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D'après cela, il semble bien que le magnétisme « commercial » pourra très souvent donner lieu à l'application des peines de l'escroquerie.

Cette solution s'impose en présence d'actes de charlatanisme.

Le délit existera encore, même au cas d'hypnotisme réel, quand le magnétiseur cherchera à faire impression sur l'esprit de ses clients, en exhibant de prétendus titres scientifiques', ou des parchemins aussi pompeux que fantaisistes.

Le délit existera enfin, toujours au cas d'hypnotisme réel, quand la nature de la maladie traitée sera telle que le magnétiseur n'aura pas pu légitimement considérer ses pratiques comme susceptibles de présenter une efficacité quelconque. Les opérations magnétiques constituent bien alors, selon les termes mêmes de l'article 405, les manœuvres frauduleuses tendant à faire naître l'espérance d'un succès (guérison) chimérique.

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L'imprudence, opposée à l'intention dolosive, est caractérisée théoriquement par ce fait qu'un résultat a été causé, sans avoir été ni prévu ni voulu, mais alors qu'il était possible de le prévoir et de l'éviter 2.

Le droit positif de toutes les législations modernes réprime l'imprudence, suivie de conséquences graves. Et, spécialement, le Code pénal français prévoit aux articles 319 et 320 « l'homicide, les blessures et les coups involontaires* ».

1. Par exemple : « Diplômé de la Faculté des sciences magnétiques de Paris »>, « Élève de l'École supérieure de Magnétisme ».

2. H. SAUVARD, Le délit d'imprudence. Paris, 1899, Rousseau, V, p. 34 et suiv., et p. 56 et suivantes.

3. SAUVARD, Ibid., p. 5 et p. 10.

4. Art. 319. «Quiconque par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide et en aura involontairement été la cause, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende de cinquante à six cents francs. »

Il convient de remarquer que le terme « imprudence » est assez large pour comprendre toutes les expressions de l'article: inattention, négligence, etc.

Art. 320. «S'il n'est résulté du défaut d'adresse ou de précaution que des blessures ou coups, le coupable sera puni de six jours à deux mois d'emprisonnement, et d'une amende de seize francs à cent francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. »

Le mot «blessures » doit être entendu dans un sens très large et comprend les « lésions », «désordres organiques », « perturbation nerveuse », etc.

Ces délits supposent essentiellement :

1o La réalisation d'un résultat déterminé (mort et blessures).

2o Un acte imprudent relié à ce résultat par un rapport certain de causalité.

Ces éléments peuvent parfaitement sortir de la pratique de l'hypnotisme sans diplôme de médecin.

Il est certain, d'abord, que le magnétisme est capable de produire des accidents assez sérieux pour entraîner la mort, ou causer de terribles désordres organiques.

D'autre part, l'individu, qui, sans posséder les connaissances nécessaires, ose mettre en œuvre un agent naturel aussi dangereux; celui qui jette un sujet dans un état anormal, sommeil ou crise, sans savoir s'il aura le pouvoir de faire cesser les phénomènes qu'il a provoqués, fait preuve de la plus coupable témérité.

S'il n'a ni voulu ni prévu le mal causé, il reste vrai qu'il aurait pu et dû le prévoir, et, que son acte a été imprudent.

Il pourrait avoir prévu la possibilité du mal, sans avoir voulu sa réalisation. Son imprudence consciente1 serait alors bien voisine du dol, et, en tout cas, particulièrement grave.

Les conclusions de ce très rapide aperçu se réfèrent surtout aux données positives du droit français.

Nous pensons qu'elles sont susceptibles de généralisation théorique. Une législation bien comprise, et satisfaisant aux exigences de l'utilité sociale, pourra et devra toujours réprimer sévèrement la pratique illicite du magnétisme, et l'atteindre par l'une ou l'autre de ces trois voies incrimination pour exercice illégal de la médecine; incrimination pour escroquerie; incrimination pour imprudence.

DISCUSSION DU RAPPORT.

G. ROCHER.

M. CLARK-BELL. Aux États-Unis, les médecins croient très peu à l'efficacité de l'hypnotisme comme agent thérapeutique. Il serait difficile d'en. limiter la pratique, d'autant plus que le sentiment public est contraire à toute limitation, et qu'il ne serait pas possible d'obtenir une loi conçue dans cet esprit.

M. MOTET. Je rappelle cependant que M. Clark-Bell a cité le fait d'un jeune homme en état de rigidité cataleptique qui mourut à la suite des manœuvres (piétinement sur le ventre) qu'on pratiqua sur lui. M. ClarkBell, à la suite de cet accident, supplia qu'on réglementat l'hypnotisme et qu'on fit bien connaître les dangers de sa pratique.

1. H. SAUVARD, Délit d'imprudence, p. 48 et suivantes.

M. CLARK-BELL déclare à nouveau que l'opinion publique américaine est contraire à la réglementation législative des pratiques hypnotiques.

M. MARCEL BRIAND montre l'intérêt qu'il y a à bien préciser les termes de la question et à définir les mots magnétisme et hypnotisme, de manière à viser, dans le vœu exprimé par la section, la totalité des manœuvres et des catégories de charlatans qui s'y adonnent.

M. ROCHER propose d'émettre un vœu indiquant les dangers des pratiques hypnotiques et l'utilité de ne les permettre qu'aux médecins compétents.

Me DEMANGE Voudrait que le Congrès tranchât la question de savoir si la pratique de l'hypnotisme et du magnétisme constitue un exercice illégal de la médecine.

Les Cours d'appel ont tranché la question en admettant qu'il ne s'agit pas d'une méthode thérapeutique.

Dans les rapports qui viennent d'être soumis au Congrès, on affirme au contraire qu'il y a là une méthode thérapeutique. Si les médecins déclarent que les manœuvres de l'hypnotisine constituent un procédé curatif, la Cour de cassation saura trancher la question en France, tout au moins, la loi permettra de poursuivre les magnétiseurs pour exercice illégal de la médecine.

Me Demange, à la suite d'une discussion qui eut lieu, il y a une douzaine d'années, à la Société de médecine légale de France, sur la question de l'hypnotisme, a assisté à une séance à la Salpêtrière pendant laquelle on fit écrire par une malade un testament en faveur d'un des médecins présents. Est-il possible d'admettre, par exemple, qu'un mari puisse faire écrire à sa femme un testament en sa faveur?

M. DUPRÉ. Pour obtenir d'un sujet un tel document, il est nécessaire qu'on soit en présence d'une hystérique soumise depuis longtemps aux pratiques hypnotiques, comme l'était la malade de Charcot.

M. Étienne MARTIN rappelle que, dans une affaire qui s'est déroulée à Lyon, un magnétiseur qui tenait depuis plusieurs années sous sa tutelle une femme âgée a pụ lui faire écrire un testament en sa faveur (affaire GuindrandJouve).

M. le Dr SZIGETI. En Hongrie, il y a environ cinq ans, au château de Tuzser, une jeune fille du nom d'Ella Salomon fut hypnotisée par le magnétiseur Neukom qui était terrassier de profession. Cette jeune fille mourut pendant le sommeil hypnotique. A la suite de cet événement, un édit impérial fut publié prohibant l'exercice de l'hypnotisme par les personnes non diplômées.

M. le professeur OTTOLENGHI, qui a traité la question dans son livre récent sur la suggestion (Bocca, Turin, 1900), soutient que la suggestion exercée à l'état de veille est bien plus importante que la suggestion hypnotique pour susciter les faux témoignages et les crimes. Pour lutter efficacement contre les pratiques de l'hypnotisme et du magnétisme, il est essentiel d'interdire ces pratiques aux personnes non diplômées; mais, avant tout, il faut chercher à modifier par une bonne propagande scientifique l'opinion publique.

Après un court échange d'observations qui démontrent l'unanimité d'opinions des membres de la section, l'Assemblée vote le vœu suivant :

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