Page images
PDF
EPUB

Stanley, avant de quitter le poste avancé des Falls, envoya, ria Nyangwé, un courrier au lieutenant Storms, chef de la station de Karéma, pour l'informer que le drapeau bleu à étoile d'or flottait à cent lieues à peine de l'extrémité septentrionale du lac Tanganika.

[graphic]
[graphic][merged small]

Retour de Stanley et Roger à Léopoldville. - Troisième incendie de Bolobo-Station. - Rentrée de Roger en Belgique.. Hanssens est nommé chef de l'expédition du haut Congo.

TANLEY quitta l'île d'Ouana-Rousari le 11 décembre. Il retournait à Léopoldville avec Roger dont la santé laissait beaucoup à désirer.

Le départ ne fut pas entravé par les populations riveraines et le voyage s'effectuait rapidement, lorsqu'un acci

dent imprévu, ce fut le seul heureusement, vint retarder la descente de la flottille. Le Royal, privé de son excellent mécanicien Bennie resté aux Falls, toucha le 15, au détour d'un îlot, contre une sorte de snag énorme,

arbre flottant dont les branches soutinrent le steamer et l'empêchèrent de sombrer. Le renflouage ne fut achevé qu'après quatre jours de travail. Le 20 décembre, la flottille stoppa au pied des collines d'Oupoto. Stanley, après des pourparlers avec les notables de la contrée que lui conciliérent son habileté et sa générosité habituelles, obtint la concession d'un vaste territoire pour l'établissement d'une station, et le drapeau de l'Association fut arboré sur ce point, entre les Falls et le district d'Iboko. Cinq jours après, l'expédition atterrissait chez les Bangala. Mais Stanley n'eut point la bonne fortune de rencontrer son frère de sang Matamvikė; il l'attendit inutilement pendant deux jours et partit pour échapper aux obsessions avides des sous-chefs et arrière-chefs bangala. En les quittant, l'agent général de l'Association promit de leur envoyer un blanc qui les enrichirait par ses nombreux cadeaux.

Le 29, la flottille s'arrêtait à l'embouchure du Louloungou et le même jour, sur la demande des indigènes, le drapeau étoilé d'or flottait sur le district de l'Ouranga.

Le 1 janvier 1884, Stanley et Roger racontaient les circonstances heureuses de leur voyage aux lieutenants Van Gele et Coquilhat qui, grâce à leurs intelligents efforts avaient installé sous l'Équateur un établissement aussi confortable que propice.

Le 12 janvier, ils retrouvaient à Loukolėla M. Glave et ses hommes en parfaite santé et s'entendant à merveille avec les natifs, dans la ravissante clairière artificielle d'une forêt tropicale, sur laquelle ils avaient conquis un fertile domaine qu'enrichissaient des habitations hospitalières, des hangars bondés de matériel et de marchandises, des étables et des poulaillers pourvus d'hôtes nombreux et assurant pour de longs mois, à la garnison laborieuse de ce poste, des réserves contre la famine.

La dernière heure du séjour de Stanley à Loukolėla fut troublée par une désastreuse nouvelle arrivée du sud.

La station de Bolobo, relevée de ses cendres grâce aux efforts réunis de Brunfaut et Liebrechts avait été entièrement détruite par un incendie dans la nuit du 13 au 14 janvier.

Les sujets d'Ibaka n'avaient point pardonné à Boula Matari la rançon des huit cents mitakos, et ils avaient, dès qu'ils apprirent le retour imminent de Stanley, dirigé contre Bolobo-Station une attaque aussi làche qu'impossible à réprimer.

A la date du 13 janvier, les populations des villages voisins de BoloboStation avaient processionnellement conduit à sa dernière demeure la dépouille mortelle d'un trafiquant bayanzi qui, pendant sa vie, avait contre

balancé, grâce à ses richesses énormes. l'influence du roi Ibaka luimême.

Ce jour là, Brunfaut et Liebrechts, retenus à leur poste en prévision de l'arrivée de Stanley, avaient refusé d'assister aux cérémonies, si répugnantes pour eux de l'inhumation.

Par caprice, ou mieux pour se venger du refus des blancs, les Bayanzi creusèrent la fosse du défunt au pied du morne sur lequel s'élevaient les bâtiments de la station, et ils s'évertuèrent à donner aux ordalies de l'enfouissement un apparat inusité.

Des sacrifices humains supplémentaires eurent lieu sur la tombe; les chants, les danses en choeur, les battements de mains, les batteries de tambour, les sonneries de trompe, les jongleries, et surtout les libations, furent continués par les assistants bien après le coucher du soleil.

Sans prendre garde au vacarme produit par ces réjouissances funèbres, les commandants de Bolobo regagnèrent à la nuit tombante l'habitation provisoire où ils couchaient depuis le dernier incendie de la station, en attendant que le corps de logis principal, encore en voie de construction, fût en état de les recevoir.

Avant de se livrer au repos, les deux pionniers belges passaient l'inspection minutieuse de leur domaine. L'ordre et le calme régnaient sur le morne de Bolobo. Les hommes de couleur dormaient près de leurs chimbecks de feuillage, groupés à quelques mètres de l'asile des blancs, à l'exception des gardiens de nuit allant et venant sur le plateau; le monstre-fusil, canon fétiche de Liebrechts, reposait silencieux sur son affùt de bois ferré.

Arrêtés un moment sur le seuil de la hutte où ils comptaient se reposer des fatigues d'une journée bien remplie, le lieutenant Liebrechts et son a.ni Brunfaut regardèrent, à la lueur des feux de nuit, les nègres bayanzi dansant des rondes infernales.

Les cris rauques, les ricanements de cette sauvage multitude montaient jusqu'aux deux pionniers et résonnaient à leurs oreilles comme les aboiements d'une meute innombrable altérée de sang.

«Ne croirait-on pas que ces noirs veulent réveiller par leurs clameurs le mort qu'ils viennent d'enterrer? dit Brunfaut. Ils ont juré sans doute de nous empêcher de dormir.

Que ces gaillards s'amusent comme ils l'entendent, répliqua le lieutenant; je tombe de sommeil, et, fussent-ils assez audacieux pour venir pendant la nuit s'exercer au tir de mon canon Krupp, ils ne m'empêcheront pas de dormir.

- A propos de canon, ajouta Brunfaut, il serait bon, mon cher lieutenant, de réparer un oubli que nous avons commis aujourd'hui même en déplaçant et replaçant le matériel et les munitions dont nous disposons. Les cartouches des winchesters, les gargousses et les charges du krupp, toutes nos munitions de guerre sont entassées pêle-mêle dans le nouvel arsenal, mais ce bâtiment est encore dépourvu de portes. Il serait prudent de faire transporter ces engins dans la cabane où nous logeons. >>

Le sage avis de Brunfaut fut approuvé par l'officier d'artillerie qui, luttant courageusement contre un sommeil de plomb, fit transporter par une escouade de Zanzibarites réveillés à cette intention toutes les munitions de guerre dans la hutte d'herbages, sous les couchettes des deux commandants.

L'exécution de ces mesures d'ordre demanda plusieurs heures pendant lesquelles les nègres bayanzi continuèrent au bas de la colline leur infernal sabbat.

« Enfin, nous pouvons maintenant songer au repos. Bonsoir, Brunfaut; je dors debout, je me jette sur mon lit de camp.

Et ce disant, Liebrechts s'étendait en effet sur sa dure couchette, sans prendre même la peine de se déchausser.

Brunfaut procéda comme d'habitude aux détails de sa toilette de nuit. Il ôta un à un ses vêtements de flanelle blanche, s'enveloppa dans une ample gandourah en laine, et se glissa lentement dans le sac de toile étendu sur son lit de camp, de façon à ne pas déranger sa couverture de voyage, merveille de l'industrie européenne, où le talent d'un habile tisserand avait fidèlement représenté deux lions de l'Atlas se disputant à coups de griffes une pintade ensanglantée.

Cette couverture avait valu à son possesseur de nombreuses et respectueuses protestations d'amitié de la part des indigènes, et bien des fois les femmes d'Ibaka, les reines de Bolobo, avaient jeté sur elle des regards pleins de désirs et d'admiration.

Avant d'éteindre la chandelle fumeuse qui répandait dans la hutte une clarté douteuse, Brunfaut, par précaution et par habitude, fit jouer les gâchettes de ses revolvers, placés tout chargés sur une caisse d'emballage lui tenant lieu de bureau et de table de nuit. Puis, après s'être assuré du bon fonctionnement de ses armes, le pionnier jeta les yeux sur son chronomètre qui marquait onze heures et souffla sa lumière.

Au dehors le vacarme des Bayanzi avait cessé; mais Brunfaut percevait confusément les bruissements de centaines de créatures humaines, marchant

« PreviousContinue »