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chargé d'une végétation luxuriante; les hauteurs boisées de la rive gauche se dressaient fières de leurs villages et de leurs cultures.

On côtoyait le district de Bolobo.

L'indigène de cette partie du fleuve n'était plus le sauvage et inhospitalier Wabouma, ou la brute intraitable qui s'était opposée la veille au repos des voyageurs. « Il semblait, écrivait Stanley en 1877, appartenir à l'humanite et comprendre qu'il y avait sur terre d'autres individus de son espèce, mais d'une autre couleur. »

Néanmoins les explorateurs firent escale de village en village sans pouvoir obtenir autre chose qu'un accueil d'une réserve agaçante.

Partout la population des agglomérations de huttes cachées dans les raphia vinifera, les elaïs guineensis et les bananiers de la rive gauche se portait au-devant des étrangers, mais, se tenant sur la réserve, refusait de répondre aux questions posées par Hanssens.

Sans être hostiles, ces gens étaient soupçonneux, méfiants, et ne comprenaient pas pourquoi les mundelės venaient chez eux. Les absurdes récits importés de la còte par les traitants d'ivoire, et qui posent les blancs en mangeurs de petits nègres, n'étaient pas étrangers à la froideur de l'accueil.

Il fut littéralement impossible aux explorateurs de connaître les noms des villages qu'ils rencontrèrent ce jour-là, et les noms des chefs de ces localités.

Voici du reste un extrait du journal de Janssen, relatant laconiquement les déboires de la journée du 28 octobre:

« Arrivés dans le district de Bolobo, nous rencontrons sur la rive gauche une série de villages.

« Nous stoppons au premier village, pour demander le nom. — « Pas de nom », répond une voix. celle d'un notable probablement. Le nom du chef, alors...>> « Pas de nom », répond la même voix.

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« Hanssens enrage, nous enrageons et nous partons. A cinq minutes de là, deuxième village; nous débarquons. La population accourt et attend respectueusement nos questions. « Comment nomme-t-on votre village? » fait demander le capitaine. «Que vous importe? » - Merci! et votre chef?» « Nous n'en avons pas. »

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<«< Inutile d'insister avec de telles brutes, nous filons. De quart d'heure en quart d'heure, nous stoppons devant le troisième, le quatrième, le cinquième... le neuvième village...

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Toujours et partout la même et désolante réponse : « Pas de nom! Pas de nom! »

« C'est une mystification. On pourrait croire que ces gaillards là se sont transmis par téléphone un mot d'ordre contre nous.

Enfin, dixième village; il y a un chef!... mais il est absent.

«En ce moment, la clarté du jour disparaît; la pluie continue à tomber; nous demandons à loger dans ce village, en dépit de l'absence du chef.

« — Il est trop tard, glapit quelqu'un, nous n'avons pas d'ailleurs de place pour héberger des étrangers. »>

Nous enrageons de plus belle, et nous quittons ces sauvages.

« Devant nous, vers le milieu du fleuve, nous entrevoyons des masses noirâtres coupant le courant. Ce sont des îlots estompant le ciel nuageux de leurs bois sombres et épais; nous abordons successivement le premier lot, le deuxième, le troisième. Impossible d'atterrir,... ces îles sont submergées; seuls, les domes touffus surplombent la surface liquide.

« Nous naviguons dans une obscurité complète jusqu'à dix heures du soir, mouillés, trempés, rincés, par une de ces averses africaines dont les plus abondantes giboulées d'Europe ne peuvent donner une idée.

«La nuit est trop noire pour continuer sans périls la navigation: l'Eclai reur et les pirogues sont amarrés à un arbre du troisième îlot; nous essayons jusqu'au matin de dormir sous les voiles de l'allège. Quelques hippopotames indiscrets viennent lugubrement renifler près de nous; plus loin, des crocodiles festoient bruyamment; et le ciel inclément lance dans ce concert terrible les notes sourdes et prolongées de son tonnerre peu rassurant.

« Le dixième jour, à 9 heures du matin, nous débarquons a Bolobo, capitale du district de ce nom, où s'élèvera bientôt, j'espère, une station dont j'aurai le commandement ab interim..... »

Le lendemain, 31 octobre, le capitaine Hanssens datait de ce village une lettre à laquelle nous emprunterons, sans être assez malavisés pour y changer un mot, les passages d'un haut intérêt touchant notre récit :

<< Ouvrez la carte de Chavanne et prenez la branche du Congo située en amont du Stanley-Pool et se dirigeant vers le nord-nord-est. Vous y trouverez la localité de Bolobo, par environ 2o 1/2 de latitude sud et 17o 3/4 de longitude est.

« C'est là que je me trouve depuis hier matin, et c'est de là que j'écris. « Mon bureau diffère essentiellement de ceux que l'on voit d'habitude en Europe. Il se compose d'une vieille caisse vide dont les planches ont été réunies pour faire une tablette plus ou moins horizontale, placée sur quatre pieux fixés dans le sol; pour plafond, j'ai un superbe palmier dont les longues gerbes garnies de feuilles me protègent des rayons du soleil. A quelques pas en face de moi, une hutte en paille que j'ai fait construire hier, et

dans laquelle je loge avec mon camarade d'exploration, le sous-lieutenant Janssen.

« Enfin, tout autour de moi, un cercle compacte d'indigènes accroupis ou debout, regardant d'un air ahuri cet homme blanc, ce mundelė, comme ils nous appellent, promenant sur une feuille blanche une pointe d'acier fixée au bout d'un morceau de bois et trempée de temps en temps dans un petit réservoir renfermant une liqueur noire.

« Je regrette de ne pouvoir croquer ce tableau réellement curieux et indescriptible. Il faut le voir pour s'en faire une idée. Ce groupe de spectateurs est là en quelque sorte en permanence, observant jusqu'au moindre de nos gestes et les commentant dans leur langue assez harmonieuse pour un dialecte sauvage; il ne diminue jamais; quand une partie s'en va pour une cause quelconque, elle est bien vite remplacée par un groupe nouveau venant de distances très éloignées et attiré ici par la curiosité.

<< Hier, durant la soirée, j'avais autour de moi plus de trois cents de ces types, armés, la plupart, de lances ou de longs et larges couteaux de fabri. cation indigène. Cette curiosité poussée jusqu'à l'indiscrétion n'est pas un des moindres désagréments de la vie du voyageur en Afrique; mais il n'y a pas moyen de s'y soustraire, il faut en prendre son parti.

« Heureusement ces enfants noirs possèdent un autre défaut, très ennuyeux parfois, mais qui, dans la circonstance présente, nous a fait le plusgrand bien : je veux parler de leur rapacité. Moyennant quelques pièces d'étoffe et quelques bibelots de bazar, je me suis peu à peu attiré leur sympathie.

« Les habitants de Bolobo et tous ceux qui vivent sur la rive gauche du Congo, à partir du confluent du Koango jusqu'un peu au-dessous de l'Équateur, appartiennent à la tribu des Bayanzi.

« Fort laids en général, ils ajoutaient à cette laideur un aspect féroce et repoussant en se bariolant et se peinturlurant la figure.

« Les couleurs employées sont variées à l'infini; mais celles qui prédominent sont le rouge, le jaune, le blanc, le bleu et même le noir pour ceux qui ont la peau d'une teinte bronzée.

Je vois un indigène ayant sur la poitrine une grande croix renversée peinte en trois couleurs, noir, jaune et rouge. J'éprouve une impression. indéfinissable de voir les couleurs nationales servir à l'ornementation d'un thorax de négro.

« Mais, au point de vue physique, une distinction caractéristique des Bayanzi réside dans leur coiffure.

« Contrairement aux indigènes du bas Congo, les Bayanzi ont les che

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