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par lequel S. M. Léopold II conférait au capitaine Edmond Hanssens, la croix de chevalier de son ordre, en récompense des éminents services rendus par l'officier belge à l'oeuvre internationale du Congo.

Le capitaine Zboïnski sortant des rangs des Européens, vint solennellement remettre au nouveau chevalier la croix et le ruban de l'ordre de Léopold. Les troupes zanzibarites présentèrent les armes; tous les blancs,

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tète découverte, acclamèrent le héros de cette touchante cérémonie. Puis, à tour de rôle, les Européens serrèrent affectueusement la main du nouveau légionnaire. Tous les visages étaient rayonnants, et parmi ces braves pionniers de nationalités diverses il n'était pas un cœur qui ne battît à l'unisson du coeur de Hanssens.

Un banquet splendide suivit cette réception. Les mets les plus recherchés, des vins de tout cru, mis depuis longtemps en réserve par les divers

agents qui s'étaient succédé à Léopoldville, des plumpuddings confectionnés par les missionnaires anglais du voisinage qui avaient réclamé la faveur de prendre part au festin avec leurs alliés, mirent le comble à l'entrain des convives; de nombreux toasts furent portés par des Anglais, des Suédois, des Italiens, des Français et des Belges à la santé du roi Léopold II et du vaillant capitaine Hanssens, à la prospérité des missions civilisatrices de I Afrique centrale. Les applaudissements et le bruit des verres qui s'entrechoquaient ne firent point défaut à ces santés sympathiques.

« Il me sera impossible, écrivait le capitaine, d'oublier la journée du 31 octobre 1884. De ma vie je n'ai reçu autant que ce jour-là des preuves de reconnaissance, des marques d'intérêt, des protestations d'amitié et d'attachement de la part d'hommes de cœur originaires de toutes les nations du vieux-monde civilisé et incivilisé.

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Européens, Zanzibarites et indigènes m'ont témoigné les plus vives et les plus sincères félicitations; les noirs m'expliquaient à leur manière qu'ils savaient l'honneur suprême que le Chef du mpoutou venait de m'accorder. J'étais profondément ému, et du fond de l'âme j'ai bėni les privations, les dangers, les fatigues, les rigueurs d'un ciel de feu, les miasmes pestilentiels, les moustiques, les insomnies, les heures de fièvre, les transes causées par la crainte de la famine, les ennuis, la nostalgie, les déboires, en un mot les misères de tout genre que j'avais bravées durant trois années en servant l'œuvre africaine, et qui me valaient une récompense enviable et les éloges flatteurs de mon auguste et généreux souverain. »

Le 3 novembre, les agents réunis à Léopoldville apprenaient qu'à la demande du gouvernement du roi Humbert, l'Association internationale allait envoyer une expédition chez les Basoko, pour tenter la délivrance d'un explorateur italien ayant nom Casati, capturé par les riverains du Népoko, au retour d'une campagne au Soudan.

A cette nouvelle officieusement communiquée par M. Saulez, chef de Léopoldville, l'âme chevaleresque de Hanssens tressaillit et le capitaine, oubliant les fatigues et les épreuves de ses longs et récents voyages, s'offrit spontanément pour voler à la libération de l'infortuné captif.

Trois jours plus tard, à l'issue d'un entretien avec le colonel de Winton, le capitaine Hanssens notifiait aux agents placés sous ses ordres, mais sans dire les motifs de sa résolution soudaine, son intention de rentrer en Europe par la malle portugaise quittant Banana le 17 novembre.

La foudroyante nouvelle de cette démission causa une impression douloureuse aux agents de la zone du haut Congo; quant aux pionniers belges

enrôlés sous la bannière bleue de l'Association, ils éprouvèrent une profonde tristesse : le départ du chef qu'ils adoraient laissaient dans leur cœur un vide que le temps ne comblerait jamais.

Avant de quitter Léopoldville, Hanssens partagea le commandement de la division du Stanley-Pool aux Stanley-Falls entre deux de ses compatriotes aussi estimés par les Européens qui les avaient vus à l'œuvre en Afrique que respectés et écoutés par les populations indigènes, entre Guillaume Casman et le lieutenant Van Gele.

Casman, dont on sait la belle conduite à Mukumbi, fut nommé commandant de la station de l'Équateur, avec juridiction sur la portion du fleuve située entre ce poste et le Stanley-Pool; le lieutenant Van Gele cut sous ses ordres la plus belle province du haut Congo, mais aussi la plus dangereuse, celle qui s'étend de l'Équateur aux Stanley-Falls.

Après la nomination de ces deux hommes d'élite, nomination qui fut unanimement approuvée par les agents internationaux des stations établies. entre Leopoldville et Ouana - Rousari, le capitaine Hanssens quittait Léopoldville-station le 8 novembre, pour se rendre à Vivi.

En route, il rencontra à Manyanga-Nord son ami et compatriote le docteur Nilis, qui venait d'être chargé du service sanitaire de l'expédition organisée sous la direction du lieutenant Valcke, pour transporter de Banana au Pool le futur steamer-amiral de la flottille du haut Congo, le Stanley.

Entre-temps, Casman, chargé à brûle-pourpoint d'organiser en cinq jours une expédition vers le haut Congo, recrutait à Léopoldville les éléments réclamés par cet important voyage.

Sur les indications mêmes du capitaine Hanssens, le nouveau chef de la division du Pool à l'Équateur songeait à s'adjoindre en qualité de second un agent belge, Léon Stevart, remplissant depuis deux mois à Léopoldville les fonctions intérimaires de directeur des cultures.

Né à Somzée en 1846, Léon Stevart était au Congo depuis le mois d'août 1884. Arrivé en pleine saison sèche, il avait ressenti à Vivi les premières atteintes de la flèvre bilieuse. Quoique malade, il avait, d'étape en étape, gagné Léopoldville en septembre, avec l'intention d'y attendre le retour du capitaine Hanssens alors en expédition dans le haut Congo.

Ennemi du repos, brûlant du désir de se rendre utile et ne tenant pas assez compte de sa maladie, Stevart avait sollicité l'emploi d'agronome vacant à la station. Malheureusement, le mois d'octobre avait ramené son cortège ordinaire de pluies et de chaleurs intermittentes, source d'affections morbides de tout genre. Le nouveau venu mal acclimatė, travaillant

tantôt sous l'averse, tantôt sous les rayons brûlants du soleil, se trouvait, au moment du départ de l'expédition Casman, dans un état de santé fort critique; il dut se résigner à prendre à contre-coeur le chemin du sanitarium de Boma, pendant que Guillaume Casman quittait Léopoldville pour se rendre à la station de l'Équateur.

« Le 12 novembre 1884, dit Casman dans son journal de voyage auquel nous empruntons l'extrait suivant, nous quittons Léopoldville à deux heures de l'après-midi. La flottille se compose du Royal, capitaine Nicholls, mécanicien Hamberg (Belge); de l'A. I. A., mécanicien Bennie, ayant à bord Liebrechts et Van den Plas; de l'En Avant, sur lequel j'ai pris passage, et d'une baleinière montée par neuf hommes.

« A trois heures et demie nous arrivons à Kinchassa, où nous débarquons; nous en repartons le lendemain matin à neuf heures.

« Chemin faisant, nous tuons cinq canards, de quoi garnir le gardemanger; nous touchons à Kimpoko, où M. Gleerup, agent suédois, prend place à bord de l'A. I. A.; il se rend aux Stanley-Falls en qualité de second du lieutenant Wester.

« Le 14 novembre, nous jetons l'ancre, à la sortie du Pool, dans un endroit facilement abordable. L'A. I. A. commence à nous jouer des tours; sa chaudière est avariée et nous devons procéder à sa réparation immédiate, besogne fort compliquée qui nous fait perdre plusieurs heures.

« Le 17, nous touchons à Msuata, où papa Gobila réclame avec instance un nouveau chef blanc; puis à la pointe de Ganchu, où le chef de ce nom m'envoie en échange d'un présent un superbe poisson tout frais pêché et un pot de malafou; à cinq heures du soir, nous débarquons à KwamouthStation, que commande le lieutenant suédois Paych.

• Les 19 et 20 novembre, l'A. I. A. continue à nous jouer des tours; sa chaudière subit un nettoyage en règle, et nous sommes retenus à l'embouchure du Kwa jusqu'au 21.

<< Dans la nuit du 21 au 22, nous couchons à Loussala, petit village de la rive gauche, où la population nous témoigne une grande bienveillance. « Le 22, nous stoppons à onze heures le long de la rive gauche, pour permettre à l'A. I. A., qui nous suit avec peine, de nous rejoindre.

«Les natifs se rassemblent a la rive; la plupart ont le corps enduit d'ocre rouge; ils sont tous armés de lances, quelques-uns ont de vieux mousquets. Une femme a les cheveux réunis en un gros bourrelet qui va du front à la nuque; le reste de la tête est rasé et couvert d'un enduit couleur d'encre; de loin, cette coiffure bizarre produit l'effet d'un casque bavarois.

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