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d'autres échos et une notoriété digne d'elle, car elle aussi a des cités, des rues, des places publiques, des atlas géographiques, des annales. Elle se souvient. Attendons. Elle saura faire grand et bien.

Ce dernier mois de l'année 1884, déjà si lugubre, ne devait point s'écouler sans porter un autre coup à l'Association internationale et à la nation belge.

Le message qui apprenait à Bruxelles la luctueuse nouvelle que nous venons d'enregistrer, annonçait encore le décès de Léon Stevart, ce jeune voyageur belge présent à Léopold ville lors du départ de l'expédition Casman.

Notre pauvre compatriote, que sa mauvaise santé forçait de renoncer au voyage des Falls, avait quitté cette station dès les premiers jours de décembre, pour se rendre au sanitarium de Boma, où il arrivait dans. un état déplorable, après vingt jours de marche ou de navigation, pendant lesquels les privations, les fatigues et les souffrances ne lui avaient point fait défaut.

Malgré les soins du docteur Allard et de son adjoint Émile Van den Heuvel, Stevart était emporté par la maladie qui le minait depuis son arrivée au Congo. L'infortuné jeune homme succombait à la peine, avant d'avoir pu recueillir le moindre fruit de son ardent dévouement.

Léon Stevart s'était en effet empressé de saisir au passage toutes les occasions de se rendre utile à l'Association. Ennemi du repos, il avait, dissipant imprudemment ses forces, refusé de subir à Vivi une période d'acclimatation suffisante, et, bravant le soleil et les pluies des tropiques, il tenait à remplir, même souffrant, ses fonctions intérimaires d'agronome à Léopoldville-Station.

L'annonce simultanée de ces deux morts si rapides souleva de plus belle dans une certaine presse du pays un cri d'alarme et de compassion feinte contre le Minotaure africain qui dévorait les plus généreux enfants de la Belgique.

Et cependant, nous le répétons, quoique nous l'ayons déjà dit ici même, les grandes entreprises qui intéressent l'humanité ont eu et auront toujours leurs martyrs. Les peuples, aussi bien que les particuliers, doivent supporter ces coups inéluctables avec résignation et grandeur d'âme. Ces victimes du présent se sont généreusement dévouées et sont tombées sans se plaindre pour assurer le bonheur, la prospérité, la civilisation et l'avenir de centaines de millions de leurs semblables.

Plusieurs de ces journaux que nous ne voulons pas nommer, emportés par une pseudo-philanthropie, ne se sont pas contentés de leur cri de rage

demeuré sans écho, ils ont dirigé des attaques furibondes contre la grande œuvre même de S. M. Léopold II et ont conclu à l'insalubrité de l'immense et fertile territoire qu'arrose le Congo.

Quoi que puissent écrire ces grands critiques humanitaires de cabinet, l'état sanitaire du Congo n'est pas de nature à décourager les émigrants; le territoire baigné par le fleuve dans sa partie basse est le plus malsain. C'est d'ailleurs partout et presque toujours aux bords des embouchures des grands fleuves que se développent les maladies contagieuses: le choléra, au delta du Gange; la fièvre jaune, à l'estuaire du Mississipi, par exemple.

Qui donc, parmi les gens sérieux et qui voient sans passion, qui donc affirmera jamais que les travaux entrepris sur les bords du Congo, tels que fondation de stations, défrichements de sol, percements de routes à travers des forêts vierges ou des contrées marécageuses, n'engendrent aucune maladie et ne coûtent la vie d'aucun travailleur? Doit-on, devant l'inéluctable perspective de la perte de quelques-uns, sacrifier les incalculables intérêts de plusieurs mondes? Doit-on rétrograder? Doit-on abandonner l'œuvre de régénération morale et physique des noirs de l'Afrique centrale? Doit-on formuler de gaieté de cœur l'impossibilité de livrer à l'exploitation des peuples producteurs le territoire africain si étendu, si riche et si fertile?

Personne n'oserait donner de pareils conseils, encore moins les soutenir. Si le climat de la zone intertropicale africaine est fatal à certaines constitutions européennes; si les températures excessives sont de prime abord difficilement supportées par le blanc; si les miasmes paludéens, d'où résultent les fièvres malignes, la dysenterie, l'anémie, sont les écueils de l'acclimatement, la pratique de certaines grandes. lois hygièniques aidera les pionniers et les émigrants à en conjurer, à en combattre les dangers. Ces lois, ces indications salutaires, ces moyens préservateurs, ce sont les explorateurs eux-mêmes, ce sont ceux qui ont parcouru ou qui parcourent à l'heure où ces lignes paraîtront l'Afrique dans ses divers sens, qui vont nous les fournır.

Le docteur Von Danckelmann, qui a séjourné pendant deux ans à Vivi comme agent de l'Association internationale, a consigné dans son journal les observations météorologiques suivantes :

« La température moyenne de l'année est à Vivi de 24° 6. (centigrade). Les températures supérieures à 35° sont rares dans l'Afrique tropicale; la chaleur moyenne est semblable à celle que l'on ressent en Allemagne par une chaude journée d'été, sauf que dans cette dernière contrée les nuits.

sont toujours assez fraîches, tandis qu'en Afrique la température nocturne ne descend pas au-dessous de 25°. Des températures de 40° et plus, comme on en observe dans le nord de l'Inde, aux États Unis, dans la mer Rouge et à l'intérieur de l'Australie, sont aussi extraordinaires dans l'Afrique équatoriale que dans l'Europe centrale. »>

Voici, d'après le docteur Nilis, des renseignements climatologiques concernant la partie la moins salubre du Congo: de Vivi à Léopold ville.

<< Deux saisons, l'une pluvieuse, l'autre sèche, y divisent l'année climatérique. La grande période sèche ou cacimba, commence vers la mi-mai et finit vers la mi-octobre. Elle est suivie par une période pluvieuse que traverse, du 20 décembre au 1er février, une saison sèche secondaire.

<< La saison sèche est la plus favorable à l'acclimatement des Européens, et il serait désirable que l'époque de l'arrivée des douveaux agents de l'Association coïncida avec les débuts de cette période clémente. On a peu de chance d'échapper à la fièvre, à la dysenterie, à l'hépatite, en un mot aux maladies endémiques, en stationnant à l'époque de la saison pluvieuse à Vivi, ou même sur le littoral, avant de pénétrer vers l'intérieur.

« Le fleuve, dont les bords sont très marécageux entre Vivi et Léopoldville, est encaissé entre deux chaînes montagneuses, qui retiennent les miasmes pestilentiels; il en résulte que les stations d'Issanghila et de Manyanga sont de véritables nécropoles..

« Sur le haut Congo, les stations sont au contraire très salubres; l'Association n'a eu à déplorer la perte d'aucun de ses agents stationnés.

« Il est certaines mesures hygiéniques recommandables aux voyageurs dans l'Afrique centrale, concernant le vêtement, l'alimentation et le loge

ment.

« Les effets de laine et de flanelle doivent être adoptès; on doit, quelque soit la chaleur, éviter de se vêtir de toile ou d'étoffes légères, et avoir soin de ne jamais s'exposer tête nue aux rayons du soleil; les insolations ne pardonnent guère sous les tropiques.

« Une nourriture saine et bien dirigée, l'usage modéré du vin permettent de faire face aux effets débilitants du climat.

«

Quand au logement, les Européens doivent suivre de point en point les précautions indiquées par le docteur Fischer, explorateur africain, relativement à la construction d'une maison d'habitation en Afrique centrale.

« Il faut avant tout, dit M. Fischer, prendre garde à l'emplacement sur lequel on élève sa maison, sa hutte, ou sur lequel on ne dresse qu'une simple tente. En outre il ne faut pas lésiner, faire des économies aux dépens

d'une installation vraiment saine, car la première condition du maintien de la santé, c'est une habitation et surtout une chambre à coucher salubre. « Le voyageur doit emporter avec lui une tente qui réponde aux exigences du voyage, dût-il engager quelques porteurs de plus. Cette tente doit être à toiture double; le toit supérieur, d'un tissus imperméable, devra dépasser de beaucoup les parois de la tente.

« Par un temps humide, il importe de dresser la tente sur un sol imperméable: par un temps clair, il faut l'exposer au soleil.

A l'époque des pluies, on évitera de camper sous les arbres ou sous un

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feuillage épais: le campement au vent et à la pluie est plus salubre que dans les endroits où l'air se renouvelle difficilement. Dans la saison sèche, on peut au contraire dresser sa tente sous les arbres, si le soi est sec et qu'il ne s'y trouve pas d'insectes rongeurs; mais si l'on a le choix entre un terrain sans arbres et une forêt humide, il convient de choisir le premier. Il est préférable de stationner au grand soleil et sur le sable, qu'à l'air de la forêt.

« Durant le jour, entre 9 heuree du matin et 4 heures de l'après-midi, il est quelquefois impossible, en raison de la forte chaleur, de se tenir sous une pareille tente; il faut alors faire élever une toiture d'herbe ou de feuil

lage, reposant sur des perches; les indigènes et les Zanzibarites sont très experts a élever en peu de temps de pareils arbres. On peut dès lors être sûr que dans une semblable hutte aérienne, dressée sur un terrain sec, exposée au soleil tout le jour, et dans laquelle la température monte parfois jusqu'à 50°, on sera pendant la nuit, préservé de toute infection de germes fébrigènes.

• Les cabanes ou les maisons seront construites autant que possible dans un endroit ouvert exposé au soleil et aux vents, loin des grands arbres ombreux qui retiennent l'humidité et empêchent l'air de se renouveler. Il faut laisser agir le soleil des tropiques, dont la force est souverainement efficace pour sécher et par là même pour désinfecter; résultats très importants, surtout lorsque les habitations sont recouvertes de toits en paille.

« Dans une hutte d'argile, couverte de chaume, on peut obtenir une fraîcheur bienfaisante, si le toit est suffisamment élevé et qu'on laisse de côté un espace libre pour un courant d'air.

« Le plancher doit être formé d'une couche d'un demi-pied de cendre et d'argile pétris ensemble; les fenêtres ou les ouvertures seront pratiquées de telle sorte qu'elles puissent établir beaucoup de courants d'air.

« Les toits doivent avancer, comme des marquises, pour garantir le plus possible de l'humidité les murs des huttes. Enfin, pendant la saison pluvieuse, il faut protéger le côté du vent au moyen d'une paroi tissée d'herbe ou de feuilles de palmier, que l'on enlève lorsque le soleil reparaît. »

Ces citations pourraient être multipliées, mais il faut savoir se borner. Des indications de même nature ont déjà figuré, çà et là, au cours de ce livre celles-ci les complètent.

Si elles ont été groupées à la fin d'un chapitre dont plusieurs pages pourraient être bordées de noir comme les lettres de deuil, c'est pour répondre à des déclamations regrettables et surtout pour calmer les transes que ces déclamations ont jetées au sein des familles qui comptent des parents parmi les courageux pionniers actuels de l'Afrique centrale. Que les mères éplorées se rassurent et qu'elles attendent patiemment leurs chers fils qui, plus heureux que Hanssens et Stevart, leur reviendront chargés de lauriers et de souvenirs, et fier d'avoir participé à l'œuvre africaine d'affranchissement et de civilisation!

Néanmoins, pas trop d'optimisme. Cette œuvre sera longue. Il y a, même au sein des nations civilisées des deux mondes, bien des ignorances, bien des appréhensions, bien des légendes, bien des croyances superstitieuses

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