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centaines de mètres au sud du confluent de la Nselé, rivière qui déverse dans le Stanley-Pool, par une double embouchure, des eaux noircies par les racines des manguiers.

Une jungle épaisse recouvre partout le sol et s'étend sur une plaine immense limitée au sud par une chaîne de montagnes qui s'élèvent graduellement de l'est au sud-ouest jusqu'au mont Mabengu, dont l'altitude est d'environ sept cents mètres.

Dès l'aube du 20 avril, un violent orage éveilla les dormeurs; la pluie tomba jusqu'à huit heures du matin, empêchant les explorateurs de reprendre leur marche.

« Maudite pluie, disait Stanley à Janssen; elle nous occasionne un retard préjudiciable. Vous n'ignorez pas, lieutenant, que mon émule, M. de Brazza.

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étend vers le haut Congo le réseau de ses découvertes. Nous devons lutter de vitesse avec ce rival intrépide.

- Le ciel exauce vos vœux; voilà précisément une forte bourrasque soufflant du sud-ouest qui poussera nos embarcations et nous permettra de regagner le temps perdu.

Une forte brise s'élevait en effet et refoulait les gros nuages noirs vers les plateaux herbeux, pelouses resplendissantes qui couronnent les Dover cliffs.

« Cette brise vient à propos; vous prendrez, lieutenant, le commandement de l'allège que nous pouvons livrer à ses voiles et à ses rameurs. J'embarque sur l'En Avant; essayez de dépasser le vapeur, si vous êtes un pilote habile. »

Vingt minutes plus tard, l'En Avant remorquait seulement les deux

pirogues de l'expédition et fendait les eaux du Pool, en amont du confluent de la Nselė.

L'allège, battant toutes voiles et pagayée par ses dix rameurs, courait parallèlement au steamer, en passant au plus près de la rive.

Le courant, moins fort qu'en aval, opposait à l'allège une résistance qui paralysait les efforts de ses vaillants rameurs et l'envergure de ses voiles. L'En Avant se jouait de l'obstacle et remontait le fleuve en tirant de droite et de gauche des bordées pour éviter les quelques bancs de sable où d'énormes alligators, arrachés au sommeil par le vapeur, ouvraient leurs gueules menaçantes.

Au bout d'une heure, le steamer avait gagné sur l'allège une distance de plusieurs milles. Janssen apercevait à peine l'En Avant còtoyant les criques sinueuses de la rive.

La brise n'avait pas molli, et un pilote expérimenté n'eût pas perdu l'espoir d'atteindre le steamer, ou tout au moins de perdre honorablement la victoire dans cette régate inégale.

Mais le jeune officier maniait le gouvernail en apprenti marin. Une fausse manœuvre jeta l'allège presque à la rive gauche du Congo, où des arbres gigantesques projetaient sur le fleuve d'énormes et vivaces rameaux.

Le mât de l'allège embarrassé dans les branches se cassa par suite des efforts qui furent tentés pour le dégager. On employa une demi-heure à le rajuster avec des lianes.

Puis Janssen se ravisant donna l'ordre du départ, en ayant soin de gagner le milieu du fleuve. La barre du gouvernail portée à gauche imprima la direction voulue à l'embarcation. L'allège vola sur les eaux la brise gonflait ses voiles, les rameurs excités redoublaient d'entrain; le bruit régulier des rames marquait harmonieusement la cadence d'une chanson des noirs. matelots.

A midi, l'allège accostait l'En Avant stoppé dans un chenal, en face du village de Kimpoko.

La chaleur était intolérable; les équipages noirs se plaignaient même des ardeurs inusitées du soleil. On décida de débarquer, pour manger d'abord, et pour prendre ensuite, à l'ombre des arbres tutélaires qui abritaient les huttes de Kimpoko, un regain de forces et de fraîcheur.

Le village de Kimpoko s'étend sur la rive gauche. entre deux petits cours d'eau tributaires du Congo. Sa situation est délicieuse, il occupe comme le premier gradin d'un escalier formé par des collines très boisées dont le dernier échelon se confond avec le sommet de la chaîne de montagnes

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qui court en forme de croissant, parallèlement à la rive méridionale du Stanley-Pool.

Devant les huttes le fleuve, resserré entre la rive et les bords d'une île couverte de végétation, constitue un canal où les eaux sont troublées seulement par de rares hippopotames et par des alligators en quête de gibier. Kimpoko dépend du district de Nfumu-Nguma, habité par la tribu des Banfunu, nègres qui excellent dans le métier de bûcherons et de charbonniers.

Des sentiers indigènes serpentent en tous sens à travers ce district forestier; ils sont fréquentés surtout par les Wabuma, porteurs d'ivoire, dont les nombreux villages sont perchés comme autant de nids d'aigles sur les pentes abruptes, mais boisées, de montagnes encaissant le lit du Congo à l'entrée en amont du Pool.

L'accueil sympathique fait aux voyageurs par les habitants du village de Kimpoko impression na favorablement Stanley, qui conçut le projet d'installer plus tard une station dans ces parages.

Après une halte de deux heures, la flottille quitta Kimpokʊ et passa à quatre heures et demie en vue de la pointe d'Inga, promontoire crayeux auprès duquel s'élèvent deux ou trois colonnes de même formation et qui ferme au nord l'étang de Stanley.

En amont de ce promontoire, la largeur du Congo n'est plus que de mille mètres; la profondeur est très considérable; le courant a une vitesse de trois nœuds à l'heure. Une bourrasque habituelle du sud-ouest rend très dangereuse pour les embarcations à bordage peu élevé la navigation du fleuve.

L'En Avant, remorquant toujours les deux pirogues indigènes s'engagea résolument dans le lit encaissé du Congo. Stanley avait préalablement recommandé à Janssen, pilote désormais excellent de l'allège, de ménager les bras de ses rameurs et de ne courir près du vapeur qu'en cas d'appel. Le héros de la découverte du fleuve africain se souvenait de son dernier combat, le trente-deuxième, soutenu et gagné par lui contre les indigènes riverains de cette portion du Congo.

Ainsi prévenu, Janssen toujours, aux écoutes, avait peu de loisirs pour détailler les merveilles que la flore et la faune africaine étalent sur les rives.

On nageait silencieusement à une faible distance de la rive droite; doublant de petites anses découpées au pied de falaises d'un grès de couleur grise et très dur, reposant sur des couches d'un grès tendre et rougeâtre. Parfois ces falaises s'abaissaient et laissaient deviner des vallées boisées,

LES BELGES. III.

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