Page images
PDF
EPUB

L'officier, terminant rapidement sa toilette en présence de nombreux témoins, sollicita la permission de visiter le palais, d'autres écriraient le sérail du roi des Batekė.

A peine eut-il formulé sa demande qu'il fut conduit par Mpumu Ntaba dans les huttes voisines du palais où logeaient ses femmes, pour la plupart négresses pur sang, achetées ou enlevées aux tribus environnantes, et toutes plus laides les unes que les autres; certaines avaient dépassé même la quarantaine.

Des nattes inachevées, des pagnes à demi tressés indiquaient les occupations auxquelles se livraient les royales épouses.

Franchement, ce harem ne rappelait en rien ceux que l'imagination d'un lecteur des Contes des Mille et une Nuits eût pu enfanter. Janssen en manifesta son étonnement au makoko.

« Oh ! répondit Mpumu Ntaba, je possède encore des épouses, arrivées de bien loin, en deçà des déserts immenses qui s'étendent au nord de mon royaume; je les ai achetéts à des traitants arabes. Venez, Souzou M'Pembé, je veux moi-même vous faire admirer les plus beaux ornements de ma

cour. »>

Effectivement, Mpumu Ntaba pénétra avec Janssen dans une case spacieuse, plus vaste et mieux éclairée que les précédentes, où une dizaine de femmes, accroupies à l'orientale sur d'élégantes nattes, devisaient entre elles, coquettement drapées dans de soyeuses étoffes, les bras et les jambes surchargées d'anneaux de cuivre, d'argent et d'or.

A l'arrivée des visiteurs, toutes se levèrent, et plusieurs s'élancèrent en souriant et en sautillant à la rencontre de Mpumu Ntaba.

Celles-ci différaient essentiellement des massives négresses dont regorgeaient les huttes précédemment visitées. Moresques de race noire, elles avaient les beaux traits de leurs soeurs du Sénégal et de l'Algérie: de grands yeux fendus en amandes, estompés de longs cils noirs recourbés, le nez aquilin, les lèvres rouges et délicates, la chevelure soyeuse, ondulée et abondante.

Sans tenir compte de la présence de Janssen, Mpumu Ntaba leur témoigna une vive affection; il les embrassait, jouait, riait avec elles; de leur côté, ces épouses accablaient le royal époux de leurs plus coquettes minauderies.

Dans le nombre, une fillette de quatorze ans, la préférée, la favorite de Mpumu Ntaba, était plus particulièrement l'objet des câlineries, des cajoleries de son maître.

[ocr errors]

C'est la plus jeune de mes femmes, je l'ai récemment épousée; elle vient

du pays des bananiers et des cocotiers, des rivages découpés par une immense nappe d'eaux bleues ou vertes... dit Mpumu en étendant le bras dans la direction de l'Orient. Son nom est Anina. »

C'était une Zanzibarite. Janssen lui dit quelques mots dans le dialecte kissahouili. L'enfant leva sur l'étranger des yeux rayonnants de bonheur. Depuis de longs mois elle n'avait plus entendu parler l'idiome de son pays natal; les paroles du mundelé ravivaient les plus doux souvenirs dans l'âme de cette jeune exilée.

« Veux-tu l'emmener avec toi? demanda Mpumu Ntaba, témoin nullement jaloux d'une conversation qu'il était incapable de comprendre. Je te la donne; la veux-tu ?

Merci. répliqua Janssen. Dans mon pays, plus loin que le mpoutou, je choisirai plus tard une compagne. Nous autres blancs, nous ne prenons qu'une femme et ne pouvons en associer qu'une seule à notre vie, à nos joies et à nos douleurs.

Comment! une seule épouse? exclama Mpumu Ntaba. La même pendant toute la vie?

Une seule femme,» répondit gravement l'officier.

Mpumu Ntaba, que cette réponse surprenait beaucoup, traduisit à ses favorites les paroles de l'étranger.

Les femmes se regardèrent et partirent d'un éclat de rire aussi bruyant qu'unanime.

« Les blancs ont cependant assez d'étoffes, de fusils, de mouchoirs et de perles pour acheter plus d'une femme.

Assurément, les blancs sont très riches; mais ils n'achètent pas leur épouse. Chez eux, la femme est libre; elle donne son cœur à celui qu'elle aime, et le prend pour mari, pour compagnon, pour ami de toute sa vie.» Ces paroles, traduites aux femmes, firent cesser les rires et rendirent pensives et silencieuses ces créatures déshéritées qui semblaient chercher à comprendre toute la portée du langage de l'étranger...

Le soir, les favorites, redevenues rieuses et enjouées, assistaient parées de leurs plus beaux atours au festin copieux donné en l'honneur de Janssen dans le palais de Mpumu Ntaba.

Au repas succédèrent les réjouissances tapageuses, réédition des danses et des chants de la veille, non corrigée, mais augmentée de la présence du beau sexe.

Cette nuit-là, les femmes de Mpumu Ntabase montrèrent les dignes émules. des bacchantes de l'antiquité. Enivrées de gin et de malafou, elles préludèrent, dans la toilette la plus incorrecte, à de véritables saturnales, sans

respect pour les mkissi et les idoles qui tapissaient les murs du palais. L'orgie se continuait à l'extérieur; la population du village dansait ethurlait autour des feux de joie; quelques jeunes gens tiraillaient sur la place où trònait un majestueux bombax pavoisé. (Mpumu Ntaba avait fait attacher aux rameaux de cet arbre tous les drapeaux en sa possession: banderoles aux couleurs françaises, abandonnées au roi des Bateké par M. de Brazza; pavillons importés au village par maître Ganchu, collecteur de taxes de Sa Majesté noire.)

Au cours de la fète de nuit, Janssen fut à diverses reprises surpris par les tintements d'une sonnette rappelant le tin-tin des grelots attachés en Europe au collier des animaux domestiques.

Cet appel était répété chaque fois qu'un nouveau personnage, un notable de la localité, sollicitait l'honneur de prendre part aux réjouissances de la cour. Cette ingénieuse sonnerie prévenait ainsi Mpumu Ntaba de chaque nouvelle arrivée. Nul sujet bateké n'eût séjourné du reste dans les appartements royaux sans avoir obtenu au préalable une autorisation spéciale. A jeun ou en goguette. Mpumu Ntaba était toujours un chef nègre respecté, sinon respectable; de tous les semblants de rois rencontrés par Janssen sur les bords du Congo, le roi des Bateké était sans contredit celui que ses sujets entouraient en apparence des plus grandes marques de respect et de

servilisme.

Heureux d'avoir fait cette visite, mais reconnaissant néanmoins qu'il serait mis promptement hors de combat en la prolongeant, Janssen prit congé de son hôte et s'éloigna dès l'aube du lendemain. Ses porteurs pliaient sous le faix des cadeaux dus aux largesses du roi et de la population du village.

Un soleil ardent éclaira le retour du voyageur, et lui fit chaudement payer les distractions relatives que lui avait procurées son excursion.

Le 27 février, le commandant de Msuata-Station présidait à son tour un repas moins copieux et surtout moins bruyant que le banquet de Mpumu Ntaba. Les convives européens préféraient néanmoins cette simple réunion à tous les festins de souverains nègres possibles. Brunfaut, Johnston et Janssen, malgré la frugalité de la table, resserraient les nœuds de leur récente amitié par une intime revue du passé, par des confidences réciproques et par l'échange sincère de leurs nobles aspirations d'avenir.

[graphic][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small]

PRÈS le modeste déjeuner que nous avons esquissés à grands traits dans le chapitre précédent, les blancs réfugiés à Msuata entreprirent une excursion sur le domaine géré par Janssen.

M. H. Johnston, ce voyageur artiste double d'un écrivain, a publié les impressions qu'il éprouva en rencontrant, sur ce plateau occupé depuis huit mois à peine par les agents de l'Association, une station dont les aménagements et le comfort ne le cédaient en rien aux établisse

ments similaires élevés sur les bords du Congo, plus près des portes de la civilisation, et développés successivement par les travaux assidus de leurs fondateurs.

C'est que M. Janssen, écrit M. H. Johnston, est l'un des agents les plus pratiques et les plus expérimentés de l'expédition. Son talent à tirer parti des ressources locales est surprenant; Msuata, grâce à ses énergiques et incessants labeurs, est devenu un poste hospitalier et confortable.

Il a jeté sur les bords d'un délicieux ruisseau, qui borne au nord ces possessions, un charmant établissement de bains, à l'occasion citadelle accessible au baigneur et inaccessible aux alligators jaloux de l'inviolabilité de leur domicile.

La maison d'habitation est pourvue d'un mobilier remarquable.

La batterie de cuisine est une merveille d'ingéniosité les grils sont fabriqués au moyen de baguettes de fusil hors de service; la table à manger et les banquettes sont dues aux planches accouplées d'une pirogue indigène échouée sur les bords du fleuve; le four est bâti en briques séchées au soleil.

Autour des bâtiments s'étendent des jardins potagers où croissent des légumes de toute espèce; plus loin un poulailler, chef-d'œuvre de sculpture rustique, abrite plus de quatre-vingts poules et domine une petite hutte où les pondeuses trouvent des paniers pour déposer leurs œufs; une étable bien aérée sert de retraite nocturne aux chèvres laitières de la station.

Enfin, l'administrateur général actuel de cette ferme-modèle africaine a défriché, près de l'habitation, des champs où mûrissent les arachides, amandes fournissant une huile excellente tant pour les besoins culinaires que pour l'alimentation des lampes manufacturées par Janssen et remplaçant avantageusement les gluantes chandelles en usage dans les stations. Dans les parages de Msuata on rencontre communément de petits oiseaux au plumage noir et rouge écarlate, connus sous le nom de tisseradns; d'énormes ravageurs de bananes, Schirorzis gigantea, aux plumes bleu vert, avec une crête violette; de gros ét gras guêpiers, des vautours, des aigrettes et des coucous, monotones crieurs de nuit.

Sur le territoire des Bateké, le lion règne, paraît-il, en roi dans les forêts ténébreuses; sa présence, si elle est réelle dans cette région du Congo, s'explique difficilement, car on rencontre à peine le gros gibier à poil, menu habituel de cet imposant carnivore.

Les mêmes Bateké prétendent connaître le gorille, et donnent de ce

« PreviousContinue »